Dictionnaire international des militants anarchistes
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EDELSTADT, David
Né à Kaluga (Russie) le 21 mai 1866 – mort le 17 octobre 1892 - Ouvrier en boutonnière ; poète - Russie - New York & Cincinnati
Article mis en ligne le 19 octobre 2013
dernière modification le 7 septembre 2023

par ps
David Edelstadt (carte postale)

Né dans une famille juive, David Edelstadt avait été profondément marqué par la vie de son père, Moïse, enrôlé de force pendant 25 ans dans l’armée tsariste, une pratique courante du régime impérial souvent utilisée contre les juifs. Bien que disposant de peu de moyens la famille s’attacha à lui donner une bonne éducation avec un professeur particulier qui lui apprit à lire et écrire. Eduqué dans la langue russe – il publia son premier poème dans cette langue à l’âge de 12 ans – il pratiquait également avec sa mère Ethel le yiddish, langue qu’il allait ensuite utiliser tant pour la communication que pour la propagande.

En 1880 plusieurs de ses frères allaient s’installer à Kiev où David les rejoignit et commença à travailler dans une cordonnerie qui servait également de lieu de réunion pour les étudiants et les révolutionnaires. C’est là qu’il entendit parler pour la première fois du groupe Narodnaia Volia (La volonté du peuple) et de ses membres impliqués en mai 1881 dans un attentat contre le Tsar puis exécutés. David leur dédia plus tard le poème Sophia Perovskaia.

C’est le pogrom survenu à Kiev le 8 mai 1881 qui lui fit prendre conscience de sa judéité et le bouleversa à un tel point qu’il tomba malade et dut être hospitalisé. Au cours de cette hospitalisation dans un bâtiment réservé aux juifs blessés pendant ces journées, il fut présenté au docteur Mandelstamm, président d’un comité qui aidait les juifs à émigrer aux États-Unis pour y fonder des colonies agricoles. Il s’intégra alors au comité local de Kiev qui comptait 90 membres et se réunissait chez Mandelstamm où ils rédigèrent même un projet de Constitution pour les futures colonies de tendance socialiste.

Poussé par Mandelstamm, David Edelstadt, dont deux des frères avaient déjà émigrés aux États-Unis, fit partie d’un groupe qui, au printemps 1881 quitta Kiev et, via Cracovie, Breslau, Berlin et Hambourg, gagna l’Angleterre d’où le 15 mai 1882 à Liverpool, tous s’embarquèrent pour Philadelphie où ils arrivèrent le 29 mai puis gagnèrent New York où ils furent hébergés dans un bâtiment de Greensland (Long Island) propriété de la Société d’aide aux immigrants juifs aux États-Unis (HIAS). Après que le président de la HIAS leur ait annoncé qu’il n’y avait plus de fonds pour fonder de nouvelles colonies, le groupe de nouveaux immigrants se sépara après s’être partagé l’argent restant et David décida de rejoindre l’un de ses frères à Cincinnati (Ohio).

A Cincinnati, il adhéra d’abord au cercle révolutionnaire russe Narodovoltses, puis à l’Union des travailleurs juifs de Cincinnati qui avait été fondée le 19 avril 1885 et regroupait 14 sections en 1886. Cette même année 1886 il assista à Chicago à une conférence donnée par Albert Parsons l’éditeur de l’hebdomadaire Alarm (Chicago-New York, 1884-1889) et animateur de l’Association nationale pour la journée de 8 heures. Suite au mouvement de grève déclenchée à cette occasion le 1er mai 1886 à Chicago et à la manifestation du 4 mai de Haymarket où suite aux affrontements avec la police un policier et plusieurs manifestants furent tués et de nombreuses personnes blessées, les principaux responsables anarchistes - Parsons, Spies, Fielden, Michael Schwab, Adolph Fischer, George Enegl, Louis Lingg et Oscar Neebe – furent arrêtés. C’est cette répression qui amena David Edelstadt à s’intéresser à l’anarchisme et c’est à cette époque qu’il écrivit plusieurs poèmes en yiddish sur la Commune de Paris et Louise Michel. Au printemps 1886, après avoir tenté d’organiser un syndicat des ouvriers de la confection, il fut licencié et ne trouvant plus d’emploi, partit alors s’installer à New York.

Entré en contact avec le syndicat des ouvriers juifs (Yiddisher Arbeter Fareyn), il participa alors à la campagne de soutien à Henry George, candidat à la mairie, pour qui la propriété était responsable de tous les problèmes sociaux existant dans le monde et qui avait proposé un impôt unique sur la richesse. Edelstadt espérait également que H. Georges appuierait la campagne menée en faveur des accusés de Chicago pour les sauver de la peine de mort. C’est lors de cette campagne que fut fondé le 9 octobre 1886, le même jour que la condamnation à mort des anarchistes de Chicago, Pionire der Frayhayt (Pionniers de la liberté) le premier groupe anarchiste juif fondé à New York et adhérent à l’association internationale des travailleurs. Ses premiers membres étaient 12 ouvriers dont Faltsblat, Kaplansky, Strashunsky, Bernstein et Yulelevitch, auxquels se joignirent rapidement des intellectuels - Yanovsky, Lewis, Hillel Solotaroff, Katz et Maryson, puis plus tard Alexander Berkman et Emma Goldman qui écrira à propos de David que c’était « un être spirituel, naturellement idéaliste, dont les chants révolutionnaires sont chéris par tous les travailleurs » (cf. Living my life).

Le groupe Pionire, auquel Edelstadt avait adhéré, organisa de nombreuses conférences, réunions, fêtes pour recueillir des fonds pour les accusés de Chicago qui furent finalement exécutés le 11 novembre 1887 et pour lesquels David écrira en russe le poème En souvenir des jours de mai 1886. Le groupe se réunissait alors dans le quartier de Lower East Side chez Abraham Yankev Netter chez qui David devint un proche ami d’Anna Netter la fille d’Abraham et la future compagne de Michael Cohn. David dédiera à Anna le poème Ikh gedenk di shtunde zise (Je me souviens de la douce heure).

Revenu pour quelques mois à Cincinnati où il fut membre du syndicat révolutionnaire Truth seeker (chercheur de vérité) avant de participer au développement du syndicat anarchiste Der umparreiyisher (Les sans partis), il ne tarda pas à être licencié de l’atelier de boutonnières où il travaillait et regagna New York où il adhéra à la Fareynikte Yidishe Geverkshaftn qui venait de se former et regroupait tous les syndicats juifs de New York de toutes tendances. Il écrivit alors plusieurs poèmes en russe publiés dans l’organe social-démocrate Znamia (Drapeau) notamment sur les martyrs de Chicago. Puis il cessa d’écrire pour la presse socialiste, les désaccords devenant trop importants entre socialistes et anarchistes.

David Edelstadt

Le 15 février 1889 le groupe Pionire commença à publier l’hebdomadaire Di Varhayt (La Vérité), premier journal anarchiste yiddish aux États-Unis, dirigé par Josef Jaffa, où Edelstadt commença dès le premier numéro à publier ses poèmes tout en participant aux réunions et lectures hebdomadaires tenues par le groupe. A la même époque il perfectionnait son écriture du yiddish avec l’aide du compagnon Moshe Katz. Il participa également comme orateur à plusieurs conférences tenues par d’autres groupes de militants juifs notamment à Baltimore, Providence, Boston et surtout à Philadelphie où avait été fondé en 1889 le groupe Riter der Frayhayt (Chevaliers de la liberté).

Chaque année à l’occasion de Yom kippour, le groupe organisait un bal et éditait un pamphlet antireligieux Tefilah zakah layamin hanora’im leskabatot, lemo’adim ulekhol yemot hashana (Prière pour les jours de peur, pour le Sabah, les fêtes et pour tous les jours de l’année) où étaient parodiées les prières juives. En 1889 Edelstadt envoya à la Tefilah son poème Di tsayt fun farshtand (Le temps de la lumière) qu ne fut finalement pas publié.

Au bout de 5 mois, le 17 juillet 1889, Di Varhayt dut cesser sa publication et David Edelstadt commença sous le pseudonyme de Pascarel une collaboration avec l’hebdomadaire socialiste Der Morgenshtern (L’étoile du matin) qui parut du 30 janvier au 20 juin 1890.

Parallèlement Edelstadt participait au soutien à la grande grève des ouvriers horlogers de New York, à l’aide aux immigrants juifs arrivant en Amérique et à la campagne menée pour la libération des trois compagnons condamnés à perpétuité pour l’affaire de Haymarket et pour lesquels il écrivit plusieurs articles dans Der Morgenshtern, puis dans le nouvel hebdomadaire anarchiste en yiddish Freie arbeter shtime (La voix du travailleur libre). L’hebdomadaire dont le premier numéro fut publié le 4 juin 1890 était à l’origine l’organe de la Fédération internationale du travail qui regroupait 32 organisations de travailleurs juifs et dont les directeurs étaient l’anarchiste Roman Lewis et le social-démocrate Abba Braslavsky. Dès le premier numéro l’hebdomadaire prit une orientation nettement anarchiste et ne tarda pas à être l’objet d’attaques personnelles et de critiques dans la presse socialiste. Edelstadt, qui chaque semaine publiait un poème dans le journal, ne tarda pas à répondre à ces attaques et notamment à critiquer sévèrement les sociaux-démocrates dans un poème paru le 19 décembre 1890 et intitulé Undzer ideal (Notre idéal). F. A. Frank, qui était alors directeur du Freie Arbeter shtime, lui demanda de participer au 2e congrès des 32 organisations d’ouvriers juifs qui se tint à New York le 25 décembre 1890 et où Edelstadt fut nommé directeur de l’hebdomadaire. Ce travail auquel il allait se consacrer à plein temps, allait être le seul qui lui permit de gagner un peu d’argent avec ses écrits (5 à 10 dollars par semaine), bien que la plupart du temps et pour des raisons éthiques, il ne toucha pas sa solde.

Pendant toute cette période il écrivit de très nombreux poèmes en yiddish sur les luttes ouvrières, la lutte des femmes, les martyrs de Chicago… qui furent mis en musique et devinrent très populaires tant en Amérique qu’en Europe dans les milieux juifs révolutionnaires.

En octobre 1891, la tuberculose contractée dans les ateliers de textile de Cincinnati et New York où il avait travaillé dans des conditions épouvantables, s’aggrava et l’obligea à quitter son poste en septembre 1891. Il fut alors remplacé à la direction de l’hebdomadaire par Moshe Katz. Puis, avec l’aide financière des compagnons, il alla alors se faire soigner à Denver (Colorado) d’où il continua d’envoyer des poèmes au journal ainsi qu’à l’organe de la Fédération anarchiste juive de Londres Arbeiter fraynd (Londres, 1885-1914), jusqu’à son décès survenu à Denver le 17 octobre 1892 à l’âge de 26 ans.

David Edelstadt avait été enterré dans le seul cimetière juif de Denver géré par des réformistes juifs allemands. Ses restes furent finalement transférés en novembre 1915 au cimetière Golden Hill à Golden (Colorado) où lui fut rendu un hommage par sa famille, ses amis et compagnons et l’ensemble des organisations juives de Denver.

Tombe de David Edelstadt

Un seul recueil de ses poèmes avait été publié de son vivant sous le titre Falks gedikhte par le compagnon Isidoro Kopeloff, mais les trop nombreuses erreurs typographiques avaient profondément déçus Edelstadt.

Dans un rapport sur l’histoire du mouvement anarchiste juif aux États-Unis, rédigé à l’occasion du congrès antiparlementaire international (voir Delesalle) devant se tenir à Paris en septembre 1900, le compagnon A. R. Cohn écrivait à son propos : “Le camarade Edelstadt était un homme doué d’un merveilleux talent poétique et en même temps plein d’enthousiasme pour les droits du peuple ; plus qu’aucun autre écrivain en jargon, il savait atteindre les cœurs des opprimés, de ceux qui souffrent, et maintenant on peut dire que chaque homme dont le cœur bat d’une juste indignation contre la tyrannie, possède dans sa poche un volume des poésies d’Edelstadt”. (cf. Supplément littéraire des Temps nouveaux, n°29)

Œuvres (choix) : - Di Undankbare negerin (la femme noire méprisée) ; - Der 13ter Merts (Le 13 mars, sur La Commune) ; Historisher moment (Un moment historique, sur la Commune) ; Ikh gedenk di shtunde zise ; - Arbeiter Froyen (Femmes ouvrières) : - In kampf (Dans la lutte) ; - Sofia Perovskaia ; - Arbetslozikay (sans emploi) ; - Kegu eygenem goryl (Contre mon destin) ; - Der ershter shtral (Le premier rayon de lumière, sur l’apparition du premier numéro de « Di Varhayt) ; - Tsuruf der varhayt (Appel à la vérité) ; - Di tsayt fun farshtand (Le temps de la lumière) ; - Mayntsavoe (Ma volonté) ; - Natur un mensh (Natire et homme) ; - Der Shnayder (Le tailleur) ; - Yesies mistrayim (L’exode d’Égypte) ; - Mayn lesten hoffenung (Mon dernier espoir) ; - Der arbeter (Le travailleur) ; - Der veker (L’alarme) ; - Tsu mayu shvester (A ma sœur) ; - Oyf der vakhe (En garde) ; - Der Kinstler un der Eyzel (L’artiste et l’âne) ; - Der Eyzel un der zunenshtral (L’âne et le rayon de soleil) ; - Tsu di farteydiker fun finsternish (Aux défenseurs de l’obscurantisme, contre les juifs orthodoxes) ; - A redaktor’s kholem (Le rêve du rédacteur) ; - Dikhter (Un poète) ; Der farvundeter odler (L’aigle blessé) ; - Trepen (larmes) ; -Der abend glock (la cloche du soir) ; - Di tsayt lid (Le chant du temps) ; - Tsum kenig Toyt (Au roi Mort) ; - Le Mineur (traduit en français in Le Libertaire, 13 juillet 1919).


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