Fils d’une famille de commerçants-agriculteurs libres de Bogorodskïé, faubourg de Nijni Novgorod (aujourd’hui Gorki), Jean Lébédeff avait obtenu le 12 mars 1907 un brevet de l’école de navigation de Nijni Novgorod et était devenu capitaine d’un navire sur la Volga. Il cacha à l’époque plusieurs militants révolutionnaires à bord de son bateau. En novembre 1908, il expulsat de son navire, avec l’aide de ses passagers, quelques gardes du tsar qu’il abandonna sans armes sur une rive désertique. Pour échapper à la répression tsariste, il quitta clandestinement le pays. Passant par la Finlande, le Danemark, l’Allemagne il arrivait en Belgique où à Ixelles il retrouvait son frère aîné Nicolas étudiant à l’Université libre dirigée par Élisée Reclus.
En 1909 il arriva à Paris et s’insatalla dans un meublé de la rue Saint-Étienne-du-Mont (5e arrondissement) et, pour survivre exerça divers petits métiers. Puis il prit des cours de dessin. En 1911 il déménagea au 118 boumevard du Montparnasse, entra aux Beaux-arts. Il fréquentait également l’académie de Léon Léonovitch Tolstoï (fils de l’écrivain) et l’Académie russe de Paris constituée d’émigrés souvent de tendances anarchistes ou anarchisantes. Suite à un différent sur le financement de l’Académie par une possible source tsariste, l’Académie se scindait en deux en 1912 et Lébédeff restait fidèle au groupe antitasriste du 54 avenue du Maine, mais l’année suivante devint le président de l’autre groupe au 21 avenue du maine. Il suivit surtout l’école du maître graveur Paul Bornet où il s’initia à la xylographie. Il ne cessera plus dès lors d’exercer tant comme paysagiste que comme portraitiste cet art de la gravure sur bois. Dans le quartier de Montparnasse, il fréquenta les milieux artistiques et y rencontra Picabia, Maïakovski, Ravel, Goeki, Mac Orlan, Eric Satie, Blaise Cendrard, Soutine, Modigliani — qui fera un portrait de lui que le modèle détruira- André Salmon, etc. Il fréquenta également l’atelier de Henri Matisse à Issy-les-Moulineaux et celui d’Anatole France au bois de Boulogne.
Du 15 avril au 1er mai 1919, le groupe La Ghilde des forgerons organisa une exposition de ses bois gravés à la galerie d’art du Luxembourg, 73 boulevard Saint-Michel.
Lébédeff allait influencer de nombreux jeunes graveurs dont Germain Delatouche fondateur du groupe Les Compagnons qui organisa plusieurs expositions (Antral, Claudot, Lébédeff, Paulémile Pissaro, Delatousche, etc.) et dont Lébédeff fut membre de 1921 à 1927. Pendant toute cette période de l’entre-deux guerres il fut très lié au milieu libertaire et plus particulièrement aux militants russes exilés dont Voline et Makhno. Il héberga ce dernier plusieurs mois à son domicile et effectua plusieurs démarches auprès des pouvoirs publics pour lui permettre d’obtenir des papiers. Ami de P. Kropotkine, il se chargeait d’accueillir puis de guider sa femme lors de ses voyages à Paris. Il collabora à cette époque à plusieurs titres de la presse libertaire dont Le Néo Naturien (Chatillon –sur-Thouet, 22 numéros de novembre 1921 à août 1927) auquel collaboraient également le graveur libertaire Louis Moreau, à La Vache enragée (Paris, 1917-1933 journal de la Commune libre de Montmartre dont il était membre et qui était dirigé pat M. Hallé ainsi qu’à L’En Dehors (Orléans) d’E. Armand notamment en 1938.
Pendant l’occupation allemande, il cacha dans son atelier de Fontenay-sous-Bois plusieurs amis juifs et anarchistes traqués par la Gestapo et pour lesquels il falsifiera à plusieurs reprises les papiers d’identité.
Après la guerre, il épousa Kamille Klimeck, fille d’une famille bourgeoise polonaise, avec laquelle il aura un fils, Georges. Il continua de collaborer à des titres de la presse libertaire dont L’Unique (Orléans, 1945-1956) d’E. Armand et la revue Maintenant (Paris, 10 numéros de l’automne 1945 au printemps 1948) d’Henri Poulaille. En 1947 il illustra la couverture du livre de Voline « La révolution inconnue » (Ed. des Amis de Voline) ainsi que l’ouvrage de F. Planche consacré à Kropotkine (1948). Le bouquiniste des quais de Seine Louis Lanoizelée qui l’avait rencontré au début des années 1950 écrivait de lui : « Jean Lébédeff a toujours été un bohême dans le bon sens du mot. L’argent lui fondait dans les doigts. Quand je l’ai connu il avait des vêtements usagés qu’il portait jusqu’à l’extrême limite, Pour lui, seul comptait le travail bien fait. Il était content, presque fier, quand il venait me montrer le tirage d’un bois finement gravé… Pour bien montrer qui était vraiment Lébédeff, je vais raconter (une) histoire. Une amie de ma femme venait de perdre son mari. Elle lui avait demandé si elle connaissait, dans son entourage, un homme grand et mince, afin de lui donner des vêtements. Nous avions tout de suite pensé à Lébédeff qui avait la taille pouvant convenir. Nous lui avions donné un paquet volumineux contenant pardessus, complet, chaussures, chemises, etc. Notre ami continuait de venir nous voir avec ses vêtements élimés. Je lui avais demandé alors pourquoi il ne mettait pas les vêtements que la dame lui avait donnés. Il me répondit qu’un ami était venu chez lui dans un état d’extrême indigence. « Il avait juste ma taille et ma minceur, je lui ai donné presque tout le paquet ». Ce geste généreux est tout Lébédeff : un pauvre donnant à plus pauvre que lui ».
En 1972 il se retirait avec sa compagne Marie Claire Blanc Maguelone et leur fils François à Gallargues-le-Montueux dans le Gard, mais malade depuis une dizaine d’années, il décédait à l’hôpital de Nîmes le 21 septembre 1972. Jean Lébédeff a été enterré au cimetière de Saint-Gilles du Gard.
Un peu plus d’une centaine d’ex-libris créés par J. Lébédeff ont été inventoriés et reproduits dans la revue L’Ex-libris français (n°274, printemps-été 2017) dans une étude de Jacques Laget de l’Association française pour la connaissance de l’ex-libris.