
Fils d’un jardinier, Germain Delatousche avait commencé à dessiner vers sept ou huit ans, reproduisant des dessins d’illustrés, alors qu’un accident à la jambe l’avait immobilisé au lit pendant trois ans et lui fera garder toute sa vie une jambe raide. Lorsqu’il quitta l’École primaire, à treize ans, son père voulut en faire un cordonnier, mais Delatousche désirait devenir peintre, et il insista tellement qu’il fut mis en apprentissage à l’atelier de C. Lorin, à Chartres, où, pendant quatre années, il s’initia au métier de peintre verrier. En 1915 suite à la guerre, l’atelier ayant fermé ses portes, Delatousche dut, pour vivre, s’astreindre aux tâches les plus diverses. D’abord peintre en bâtiment dès septembre 1915, il fut ensuite vendeur aux « Nouvelles Galeries » du Mans, puis premier commis à « La Ville des Ternes » à Paris où il était arrivé début 1917, comique excentrique, peintre de cartes postales, décorateur sur verre à l’atelier Queneville, trieur de courrier et postier ambulant à la gare de Lyon, peintre en voitures, déchargeur de wagons à la gare de Vaugirard, débardeur aux Halles, garçon maçon, manœuvre chez un charpentier en fer, garçon limonadier… La matérielle ainsi plus ou moins bien assurée, Germain Delatousche, opiniâtre, continuait à étudier le dessin et la peinture.
Membre des Jeunesses syndicalistes du 15e arrondissement, il était allé, pendant la guerre, avec quelques compagnons, au café concert Excelsior, près de la place d’Italie, pour assister à un concert de Montéhus et lui réclamer vainement et bruyamment les chansons antimilitaristes Les soldats du 17e et La Grève des mères. Cette intervention s’était terminée au poste de police. Comme le raconte L. Louvet, il n’avait pas d’inimitié personnelle mais « ça le révoltait de voir Montéhus, ci-devant militant socialiste, monter sur les planches vêtu de bleu horizon, un bandeau sanguinolant autour du crâne, surenchérir sur les conneries patriotardes de l’époque. »
En mai 1919 il organisait au café « La Comète » rue de Vaugirard la première exposition collective faite depuis la fin de la guerre et intitulée « Résurrection du quartier latin ». C’est cette même année 1919 qu’il exposait pour la première fois au « Salon des Jeunes », et en 1920 faisait son premier envoi au « Salon des Indépendants ».
En mai 1921, il entrait au cabaret montmartrois La Vache Enragée de Jules Depaquit, RogerToziny et Maurice Hallé. « Germain Delatousche, jeune pâtre de La Vache », écrit J.-D. Maublanc, « remplissait les verres, soutenait les choeurs, ordonnait les cimaises. Il cumulait avec ses fonctions de bistrot, celles de metteur en page, de collaborateur et d’accrocheur de toiles d’amis. C’est dans ce cabaret, qui devint aussitôt le siège de la « Commune libre de Montmartre », qu’il fit montre de ses aptitudes à l’organisation d’expositions, qu’il groupa ses premiers fidèles et qu’il fonda son premier groupe, « Les Compagnons… » dont l’un des principaux soutiens était le journal La Vache enragée (Paris, 1917-1933). Les expositions de ce groupe se succédèrent jusqu’en 1927, à « La Vache enragée », à « L’Olympia », au « Moulin de la Chanson », au « Café du Parnasse », etc. A cette époque, se souvient J. P. Monteil « il avait l’allure traditionnelle des bohèmes de la belle époque. Il portait les cheveux longs… il avait une lavalière, un chapeau à larges bords et fumait une pipe au long tuyau… il avait une cape très ample dont il jetait le pan droit sur l’épaule gauche avec la prestance d’un mousquetaire… ».
À l’automne 1922, Delatousche, une fois de plus sans travail, menait une existence de clochard jusqu’au moment où il trouvat à s’employer de nouveau comme décorateur sur verre dans différents ateliers (Gauthier-Cohen-Électro-Construction) — En 1924, il entrait au Comité directeur du groupe « Partisans » qui publiait la revue du même nom (un numéro unique en avril 1924) dont le financement devait être assuré par des cotisations mensuelles des adhérents du groupe (entre autres Ferjac, H. Martinet, Louis Moreau, Paulémile Pissaro, Maurice Savin), et participait au « Salon d’Automne ». C’est à cete date, semble-t-il que fortement influencé par , il commençait à pratiquer la gravure sur bois art dans lequel « comme par sa peinture » écrit Maublanc « il a fixé le vénérable et sensible visage du vieux Paris… Montparnasse l’a inspiré parfois et Montmartre, mais c’esy le XIIIe arrondissement, principalement le quartier des Gobelins, les boyeux populeux et braillards du quartier Mouffetard qui l’attirent le plus volontiers ». À partir de 1925, il fit de nombreuses expositions particulières et organisa des manifestations collectives d’artistes. Enfin, en 1926, il signait son premier contrat avec M. Saint-Martin. Il était élu, en 1927, sociétaire du « Salon d’Automne » et obtient le « Grand Prix de l’appui aux Artistes », de fondation américaine, pour l’ensemble de son œuvre.
Pendant la guerre d’Espagne, G. Delatousche, avec plusieurs autres artistes sympathisants dont Claudot, Vlaminck, M. Luce, Louis Moreau, avait organisé au début de l’été 1937 une exposition d’œuvres d’art offertes au profit des orphelins de la Colonie libertaire organisée par la Solidarité Internationale Antifasciste (SIA) à Llansa.
Delatousche avait installé son atelier, où il devait demeurer la plus grande partie de sa vie, au 33 de la rue Croulebarbe (XIIIe), au fond d’une cour occupée par un entrepôt de maçonnerieet local figurant sur la liste de vérifications des domiciles d’anarchistes (1935). C’était un endroit calme qu’il avait aménagé lui-même de façon rustique, où il recevait ses amis et entreposait ses diverses collections (chandeliers en cuivre, cartes postales et couvercles de boites de camembert entre autres). C’est là qu’en janvier 1941 il avait acceuilli deux prisonniers évadés qu’ils ne connaissaient pas mais qui avaient été envoyés par des copains, et ça lui suffisait. Plus tard, après la guerre il allait continuer à donner de nombreux bois et dessins à la presse libertaire dont Le Libertaire, Défense de l’homme dont il illustrait la couverture des douze premiers numéros, L’Homme et la vie (Paris, 4 numéros de février à mai 1946), une édition des Propos subversifs de Sébastien Faure, la revue littéraire fondée par Henry Poulaille Maintenant (Paris, 10 numéros de fin 1945 au printemps 1948) et Le Musée du soir (Saint-Étienne, 1957-1962) réservée à la littérature prolétarienne.
Son atelier de la rue Croulebarbe situé dans une maison, déjà ancienne, appelée à être démolie et objet des spéculateurs qui y élevèrent un gratte ciel, Delatousche dut, bien à contre-coeur, la quitter et alla s’installer au 36, boulevard de Clichy (XVIIIe). Il se maria alors, peu avant son départ en Loire-Atlantique, à Bourguenois dans une grande maison qu’il allait retaper, étant tour à tour maçon, plombier, menuisier etc. tandis que sa compagne Camille continuait de travailler comme assistante sociale. Atteint d’une grave maladie, il devait y décéder quelques années après le 31 octobre 1966.
Plusieurs de ses toiles ont été acquises par des musées français (Carnavalet, en particulier) et étrangers. Dessinateur et graveur sur bois, Germain Delatousche a collaboré à une quantité considérable de journaux et de revues, et il a illustré de nombreux livres. J.-D. Maublanc qui est sans doute celui qui a le mieux parlé de l’art de Delatousche écrivait de lui « il est de taille moyenne, a l’œil vif, le cheveu vigoureux et indiscipliné, la face ravinée et la jambe traînante… il a le rire clair, jeune, éclatant, ce qui indique une conscience franche, une spontanéité assez gavroche, qu’il assaisonne d’un accent savoureux… » et à propos de sa peinture des vieilles maisons de Paris « Ce sont des ruines pleines de murmures, et tout en écrivant l’histoire du vieux Paris, elles expriment à merveille, le drame intérieur de l’artiste… car la peinture de G. Delatousche, comme toute vraie peinture, est le verbe direct d’une âme… ».
L’œuvre de Germain Delatousche est le reflet de la misère qu’il a subie. Il a su y transposer sa vision accablante des vieilles rues désertes — il les montrait toujours ainsi, et volontairement — des quartiers populaires de Paris (le XIIIe était son quartier de prédilection), des maisons délabrées, des mornes coins de zones. Et cependant, s’il était un révolté, il n’était nullement un être triste ou morose. Dans ses moments les plus noirs, il demeurait un homme gai, entier, un compagnon accueillant. Il soutenait les publications libertaires, et Henri Bourrillon, qui fut un de ses intimes, rapporte qu’il était abonné à nombre de revues anarchistes ou anarchisantes « alors que souvent il ne savait pas s’il pourrait manger le lendemain… ».
JOURNAUX ET REVUES auxquels (entre autres) Germain Delatousche a collaboré comme dessinateur et graveur : La Vache Enragée — L’Internationale — Le Raffût — Le Titre Censuré — Feuilles libres — Comoedia — Septimanie — Les Chansons de la Butte — Les Primaires — Partisans –La Revue anarchiste — L’Art vivant — La Revue anarchiste — Le Progrès civique — L’Almanach de la paix pour 1934 — Le Quotidien — Les Humbles — L’Élan syndicaliste — L’En dehors — Maintenant — L’Almanach de la Paix (1934) — Le Libertaire (1945-50) — Ce Qu’il faut Dire (2e série) — Contre Courant — L’Intrus.
QUELQUES LIVRES parmi ceux qu’il a illustrés (dessin ou gravure sur bois) : Maurice Hallé : Par la Grand’route et les Chemins creux (1921) — Gaston Couté : Cris du cœur (1923) — C.A. Bontemps : Ba-ta-clan (1923) — Georges Vidal : Jules le bienheureux (1926) — C.A. Bontemps : Ton cœur et ta chair (1926) — M. Constantin Weyer : La Bourrasque (1929) — Eugène Bizeau : Croquis de la rue (1933) — Charles le Goffic : La Payse (1930) — Régis Messac : Quinzinzinzili (1935) — Léon Frapié : Sentiments (1937) —Régis Messac : La cité des asphyxiés (1937) — Francis Carco : Paname (1938) — L.-F. Rouquette : L’Épopée Blanche (1940) — H. Poulaille : Le Pain quotidien (1939) — J.-D. Maublanc : Éphémères (1939) — J. D. Maublanc : Préludes (1938) — R. Ringeas : Gaston Couté —
SUR GERMAIN DELATOUSCHE : Cf. J.-D. Maublanc : Germain Delatousche (Éd. de La Pipe en écume, Paris, 1941) — Tristan Rémy : Germain Delatousche (L’Ex-Libris français, n° 41, 4e semestre 1955) — Henri Bourrillon : In memoriam Germain Delatousche (D° n° 85/86-1966/1967) — Roger Denux : L’École libératrice, 1966 — Lucien Bourgeois : Maintenant, n° 4, novembre 1946 — J.-P. Monteil : Contre Courant, mars 1967.