Voici un exemple de « militant anonyme », que l’on ne connaît que par quelques évocations dans sa correspondance et des souvenirs de Louis Mercier et d’Edgar Morin. Il a été impossible de retrouver son « vrai » nom. Vers 1939, il reçut des papiers d’identité du véritable André Eugène Germain et vécut dès lors sous ce nom.
Il aurait déserté en 1914. Il fréquentait alors les milieux individualistes anarchistes à Paris. Il partit pour Allemagne où il fut en contact avec le mouvement spartakiste. Il y fit la connaissance de plusieurs anarchistes dont Augustin Souchy, Fritz Kater, Helmut Rüdiger. Puis il alla semble-t-il en Italie et participa au mouvement d’occupation des usines, et vécut peut-être en Belgique par la suite.
Il participa à la Révolution espagnole. En 1939, après la défaite, il parvint à rejoindre Bruxelles avec sa compagne et leur fille. Selon Louis Mercier, il finança leur voyage outre-mer grâce à un vol de bijoux.
Il émigra alors au Chili, où le retrouva Mercier, qui ne portait pas encore ce nom. Est-ce lui qui lui procura sa nouvelle identité ? Dans une lettre adressée à H. Rüdiger en octobre 1956, Mercier écrivait à son propos : « Il s’agit d’un vieux copain, très sûr, qui a bourlingué depuis 1917 (prison en Allemagne notamment). Il était responsable à la frontière espagnole jusqu’en 1939. Copain d’Ernestan, Durruti, Ascaso dans l’émigration bruxelloise. Aujourd’hui chilien et installé à Santiago. Je l’ai fait nommer trésorier du Comité pour la liberté de la culture à cet endroit. Tu peux donc lui parler franchement. Il est capable de se taire. »
Edgar Morin l’a rencontré et l’évoque dans ses Souvenirs sans lui donner de nom : il aurait été gardien dans une hutte en Terre de Feu, responsable de la construction d’une route à travers la cordillère des Andes, chauffeur de camion…
Ce militant, qui apparaît sous le nom d’Albert dans les mémoires de Mercier, et qui collabora également aux travaux de la Commission internationale de liaison ouvrière (CILO) fondée en 1958 par Mercier, est décédé d’un cancer généralisé à Santiago du Chili le 1er juillet 1964 sous le nom d’André Germain. Il avait depuis de nombreuses années une compagne prénommée Lucienne.
« C’était une force de la nature, toujours en mouvement, sans trêve tourné vers l’action, écrit Mercier dans sa nécrologie. D’instinct et de formation individualistes, il avait pourtant participé tout au long de sa vie, qui fut riche en aventures, à bien des combats sociaux. […] Au Chili même, il avait repris la lutte, tant dans le mouvement syndical que dans les organisations antitotalitaires. »