Dictionnaire international des militants anarchistes
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Y’en a pas un sur cent… et pourtant des milliers d’hommes et de femmes de par le monde, souvent persécutés, embastillés, goulagisés et parfois au prix de leurs vies, ont poursuivi leur chevauchée anonyme à la recherche d’un impossible rêve : un monde sans dieux ni maîtres.

LAISANT Charles-Ange

Né à La Basse-Indre (Loire-Inférieure) le 1er novembre 1841 — mort le 5 mai 1920 — Mathématicien — Asnières (Hauts-de-Seine)
Article mis en ligne le 6 mars 2014
dernière modification le 1er novembre 2024

par ps
Charles Ange Laisant (portrait par A.J. Alexandrovitch)

Après de brillantes études au lycée de Nantes, où il eut pour condisciple et ami le futur général Boulanger, Charles-Ange Laisant entra à l’École Polytechnique d’où il sortit en 1861. Officier du génie, il assura durant le siège de Paris en 1870 la défense du fort d’Issy, le seul qui ne capitula pas, ce qui lui valut la croix de la Légion d’honneur.

Après la chute de l’Empire, il fut élu conseiller général de la Loire-Inférieure (fonction alors compatible avec la carrière militaire) ; il se trouvait en garnison à Tours lorsque survint la Commune. Par la suite Laisant abandonna la carrière militaire pour se consacrer à la politique. Après avoir donné sa démission de l’armée, il quitta l’Algérie où il avait été muté en disgrâce en raison de ses opinions « de gauche », et revint à Nantes.

Aux élections législatives du 20 février 1876, il fut élu dans la 2e circonscription de Nantes par 8.721 voix contre 5.870 au député constitutionnel et réélu le 14 octobre par 9.695 voix contre 5.611 au légitimiste. Le mandat de Laisant fut renouvelé cinq fois ; en 1885, il fut élu député de la Seine et en 1889, candidat boulangiste, il fut élu dans le XVIIIe arr. contre un socialiste. Jugeant inefficace la carrière politique, il l’abandonna en 1893.

C.-A. Laisant exerça ensuite des fonctions d’enseignant et d’examinateur à l’École Polytechnique. Il s’était promis de ne plus se mêler de questions sociales, mais, poussé par son fils Albert, que Sébastien Faure avait gagné à l’anarchisme, il devint libertaire. Le syndicalisme l’attira également et il écrivit de nombreux articles dans La Bataille syndicaliste dès sa publication en avril 1911.

A l’automne 1903, lors de l’enquête lancée dans les colonnes du Libertaire par Jean Marestan sur « la décadence de l’anarchie », il avait notamment répondu : « Je ne sais pas au juste ce qu’est l’anarchisme. Mais je constate que tous les minces progrès accomplis l’ont été dans le sens des idées de l’anarchie, c’est à dire qu’ils correspondent à une diminution de l’action gouvernementale et à un accroissement de la liberté de l’individu. Et je crois que cela continuera de plus en plus dans l’avenir. Tout gouvernement est oppressif. Tout gouvernement est réactionnaire » (cf. Le Libertaire, 27 novembre 1903)

Les questions d’enseignement retinrent particulièrement l’attention de Laisant et il devint un des dirigeants de la Ligue internationale pour l’éducation rationnelle de l’Enfance, fondée par Francisco Ferrer et dont l’organe était L’École rénovée qui parut à Bruxelles en mai 1908. Au moment du procès Ferrer en 1909, il fut membre du bureau du Comité de défense des victimes de la répression espagnole. L’exécution de Ferrer l’amena à démissionner de la Société d’astronomie dont faisait aussi partie le roi d’Espagne Alphonse XIII. Il dirigea des publications éducatives par l’image, Les Initiations, dont le but était de substituer à des abstractions des éléments concrets d’enseignement. Enfin, il s’enthousiasma pour l’espéranto auquel il consacra une brochure, L’Esperanto et l’avenir du monde (conférence publiée en feuilleton dans Le Libertaire à compter du 22 février 1908).

Au printemps 1910 il fut nommé vice-président de la section française de la Ligue internationale pour l’éducation rationnelle, aux cotés d’Anatole France (président d’honneur), Soledad Villafranca (présidente) Charles Albert (secrétaire) et Auguste Bertrand (Trésorier).

Il s’engagea également dans les diverses campagnes menées par le mouvement libertaire (affaire Aernoult Rousset, du Sou du soldat, du droit d’asile, etc.), fut membre en 1912 du Comité de l’Entraide aux militants emprisonnés et à leurs famille et présida divers meetings de la Fédération communiste anarchiste (FCA).

C.-A. Laisant, néo-malthusien, appartenait à la loge maçonnique des Libres penseurs du Pecq (Seine-et-Oise) de la Grande Loge Écossaise.

Il fut l’auteur du rapport sur l’antiparlementarisme présenté au congrès anarchiste d’août 1913.

Vint la Première Guerre mondiale. Comme bien d’autres militants de gauche, il justifia la guerre en la déplorant. Avec ses amis anarchistes J. Grave, Kropotkine, Malato, P. Reclus, le Dr Pierrot etc., il signa en février 1916 « Le Manifeste des Seize », qui condamnait l’agression allemande.

Dans une lettre à J. Grave, des 31 octobre et 1er novembre 1914, datée de Bretteville-sur-Odon (Calvados) où il se trouvait avec sa belle-fille et ses deux petits-fils, Laisant écrivait : « … En apparence, la nation allemande dans son ensemble paraît s’être associée à la folie sanguinaire de son empereur mégalomane. Si elle est capable de reprendre conscience, de faire une révolution, de se débarrasser elle-même de ses bourreaux, de son militarisme abject et de son Kaiser, la tâche deviendra plus facile pour les esprits libres, qui ont le culte de la justice et de la raison. Sinon, nous resterons aussi impuissants dans l’avenir qu’à l’heure actuelle. » Et plus loin : « Je désire ardemment la victoire militaire contre l’Allemagne et l’Autriche, et j’y crois. Mais quand on évoque les souvenirs de 1792, je me demande si on se moque de nous. En 1792, c’était la lutte de la Révolution contre les rois coalisés ; aujourd’hui nous avons le tzar comme grand protecteur […] En 1792, le mot République soulevait l’enthousiasme unanime ; aujourd’hui, pour tous ceux qui veulent bien ouvrir les yeux, il représente 40 années de honte, d’infamie, de putréfaction, de prostitution et de mensonge… »

Dans une autre lettre, datée Asnières, 17 décembre 1914, il stigmatisait en ces termes la social-démocratie et les intellectuels allemands : « Quant aux hommes de la Social-démocratie, à l’exception de Liebknecht, quant aux intellectuels, auteurs de “l’appel aux nations civilisées” je ne peux m’empêcher de les considérer comme des êtres inférieurs aux anthropoïdes, comme des animaux inférieurs à leur Kaiser, car ils n’ont pas les mêmes excuses. » Et Laisant justifiait la défense du territoire, pensant qu’une victoire apporterait un avenir de paix, de liberté et justice.

Trois ans plus tard, dans une lettre à Sébastien Faure, dont le ton d’ailleurs restait amical, et en réponse à « l’Appel aux Intellectuels » paru dans le journal Ce qu’il faut dire, du 10 mars 1917, il précisait ainsi son opinion : « On a dû lutter contre l’invasion prussienne, comme on lutte contre un incendie ou une inondation. Cette lutte, qui se poursuit, est dure et cruelle, mais elle s’imposait. »

Pour conclure, on peut dire, qu’en dépit d’attitudes parfois contradictoires, ce qui fait l’unité de la vie de C.-A. Laisant c’est sa foi dans la science et sa foi dans l’homme pour frayer à l’humanité une voie vers une société meilleure.

Charles-Ange Laisant est décédé à Asnières le 5 mai 1920.

Son fils Albert, né à Tours (Indre-et-Loire), le 1er juin 1873, mort à Asnières (Seine) le 23 novembre 1928, qui avait été gagné à l’anarchisme par Sébastien Faure, l’aida dans ses travaux. Après un bref passage au Parti communiste à sa fondation, Albert Laisant collabora à de nombreux journaux dont Le Progrès civique et L’Ère nouvelle, publia un livre pour enfants, Magojana, et fut un temps directeur pédagogique de l’orphelinat maçonnique. Des manquements dans le domaine matériel « qui n’était pas le sien, lui ayant été reprochés par un administrateur de l’orphelinat, il abandonna ses fonctions. » Il a laissé une œuvre abondante, notamment des poésies, demeurée inédite.

Albert Laisant eut deux fils : Maurice, né le 11 mars 1909, franc-maçon et militant anarchiste, gérant du journal mensuel Le Monde libertaire, et Charles, né le 22 janvier 1911, mort le 16 décembre 1952, militant syndicaliste et anarchiste.

Oeuvre (politique) : Nombreuses collaborations dans la presse dont L’École rénovée, 1908, L’École émancipée, n° 1, octobre 1910, L’Idée libre, n° 1, décembre 1911., Les Temps nouveaux 1909-1914, Le Libertaire, La Bataille syndicaliste, Bulletin de la Ruche (Rambouillet).

Brochures et livres : L’Éducation de demain, 1906, rééditée en 1913, broch. n° 68, Bibl. Nat. 8° R 15 263. — La Barbarie moderne, Paris, 1912, 315 p. — Contre la loi de trois ans. Un peu d’histoire. Aux gouvernants. Les droits du mouton, Paris, 1913, 12 p., Bibl. Nat. 8° Lb 57/15 372. — L’Internationalisme et la classe ouvrière, Paris, 1913, 31 p — L’Illusion parlementaire, Paris, s.d., 11 p., Bibl. Nat. 8° Z 18 259. — L’Anarchie bourgeoise (politique contemporaine), Paris, 1887

Œuvre (scientifique) : voir Nouvelles Annales de Mathématiques, 4e série, t. XX, décembre 1920).


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