Issu d’une famille très modeste, Jean Saulière fut de bonne heure pupille de la nation, puisque son père fut tué, à l’âge de vingt-neuf ans, en mai 1916 à Verdun. Sa mère le confia alors à ses parents, qui l’élevèrent tant bien que mal. À treize ans, il quitta le lycée Montaigne, à Bordeaux, pour suivre, dans la même ville, les cours de comptabilité et de dactylographie à l’École Jamet Buffereau, puis il travailla comme employé de bureau.
En 1929, il se fit embaucher comme représentant de commerce, activité qu’il exerça pendant dix ans, exception faite des onze mois de service militaire effectués en 1932-1933. C’est à l’issue de cette période qu’il prit contact avec des militants bordelais et qu’il assista aux conférences données à Bordeaux par Sébastien Faure. Il adhéra peu après aux Jeunesses libertaires dont il devint secrétaire en 1938, avec Laurent Lapeyre. Dès cette époque il fut également actif à la SIA (Solidarité internationale antifasciste) fondée par Louis Lecoin et il milita pour le contrôle des naissances. L’affaire des stérilisations de Bordeaux l’incitera à se faire vasectomiser avec plusieurs de ses camarades dès la libération du docteur Bartoseck, fin 1937.
Jean Saulière consacra alors une part non négligeable de ses activités à la création avec Aristide Lapeyre et Gérard Duvergé d’une école expérimentale, L’Envol, qu’ils implantèrent à Feugaroles (Lot-et-Garonne) et dont il était prévu d’ouvrir officiellement les portes le 1er octobre 1939. Les événements empêchèrent évidemment cette œuvre de fonctionner.
Refusant d’obéir à l’ordre de mobilisation, Jean Saulière se cacha chez divers camarades ou amis pendant plusieurs mois à Bordeaux puis, muni pour tous papiers d’un livret militaire de réformé, que lui avait remis Marcel André Arru un de ses camarades, il partit en train pour Marseille où il arriva le 13 février 1940. Quelques jours après, il se fit embaucher sous cette nouvelle identité comme employé-gérant d’un petit poste d’essence situé au 46 route Nationale, dans le quartier Saint-Loup. Dès lors, Jean Saulière réussit à se faire délivrer de vrais papiers au nom de Arru et il fit rapidement la connaissance de plusieurs militants anarchistes locaux, ou réfugiés à Marseille comme Voline. Bientôt rejoint par Armand Maurasse, un compagnon bordelais originaire de Saint-Domingue, démobilisé de Syrie, qu’il hébergea chez lui,
Assez rapidement se constitua ainsi un groupe clandestin anarchiste international qui se réunit à son domicile et confectionnant des tracts tirés d’abord à la gélatine.
André Arru étendit ses relations militantes à l’occasion de voyages dans les départements limitrophes d’abord (Toulon, Nîmes, Montpellier) puis dans toute la zone non occupée (Perpignan, Toulouse, Agen, Foix, Lyon, Saint-Étienne) et même jusqu’à Paris. Partout, de petits noyaux militants se mirent ainsi en relations avec le groupe de Marseille et, en juillet 1943, un congrès clandestin fut organisé à Toulouse. Il se réunit pendant deux jours dans la petite ferme appartenant à l’anarchiste Alphonse Tricheux.
Pendant toute cette période, André Arru fit ainsi imprimer à Toulouse, par les frères Lion des affiches, des tracts et une brochure de 45 pages, intitulée Les Coupables. Il assurait lui-même le transport et la répartition à tous ses contacts de ce matériel de propagande qui était ainsi diffusé assez largement et, en juin 1943, il fit également imprimer le n° 1 d’une publication anarchiste intitulée La Raison, organe de la Fédération internationale syndicaliste révolutionnaire.
André Arru-Saulière avait par ailleurs organisé à son domicile une officine de fabrication de faux documents (cartes d’identité, bulletins de naissance, actes de naturalisation, ordres de mission, etc.) qui rendit de précieux services à quantité de personnes en difficulté. En même temps, il hébergea de nombreux proscrits (Juifs, réfugiés politiques de toutes nationalités). Malheureusement, une famille à laquelle il avait fourni de faux papiers fut dénoncée, arrêtée et le dénonça à son tour. La police perquisitionna alors son domicile, le 3 août 1943 et procéda à son arrestation ainsi qu’à celles de sa compagne Julie Vinas et d’Étienne Chauvet, un autre militant anarchiste en rupture de STO qui travaillait alors avec lui. Interrogés pendant plusieurs jours, ils reconnurent les faits qui leur étaient reprochés sans donner aucune autre indication à la police et finalement furent incarcérés. André Arru et son camarade se retrouvèrent donc au quartier politique de la prison Chave à Marseille. Mais, parce qu’ils étaient tous deux anarchistes — et donc « non patriotes » — ils furent laissés pour compte lors de l’évasion organisée par les communistes en mars 1944.
Transférés alors à la maison d’arrêt d’Aix-en-Provence, ils s’en évadèrent, avec une trentaine d’autres détenus, grâce à la complicité d’un gardien, dans la nuit du 24 au 25 avril 1944. Tous trouvèrent refuge un moment à Lambruisse, près de Vauvenargues, dans une ferme tenue par Marcel Grégori, anarchiste d’origine italienne, puis se cachèrent près de là, dans le maquis, pendant trois semaines. Étienne Chauvet gagna ensuite le Vaucluse où il avait un point de chute tandis qu’André Arru se rendait à Lorgues (Var) au domicile de l’anarchiste Louis Coder. Celui-ci le mit en rapport avec des résistants locaux qui lui fournirent des papiers et un ordre de mission au nom de André Suchet, grâce auxquels il partit alors pour Toulouse, en juin 1944, où il fut accueilli (avec sa compagne Julita libérée entre-temps) et hébergé par Marcelle et René Clavé. Il s’intégra aussitôt au groupe anarchiste local également clandestin et reprit sans attendre son activité militante. C’est ainsi que dans les jours mêmes de la libération de la ville fut diffusé le Manifeste des groupes libertaires de la région toulousaine et que fut réuni, à Agen, les 29 et 30 octobre suivants, le « pré-congrès » de reconstitution au grand jour du mouvement libertaire et de la Fédération anarchiste.
Dans le même temps, André Arru se vit confier le soin de reconstituer la Solidarité internationale antifasciste (SIA) sur le plan national et il convoqua le premier congrès au printemps 1945. Suite à des désaccords avec la direction de la CNT espagnole, il démissionna en mai ou juin 1945 de son poste de permanent de la SIA et en juillet revint s’installer à Marseille où il reprit ses activités professionnelles d’artisan réparateur de cycles puis de VRP.
Les 27-28 juillet 1946, avec J. Gambarelli et Tony Peduto, il fut le délégué de la Fédération locale de Marseille au congrès régional tenu par la FA dans cette ville. Il y fut élu au Comité régional avec S. Ratour et T. Pedutto et l’année suivante fut nommé secrétaire du Comité régional de la XIIe région de la FA. En 1950 lors d’une conférence à Vichy il fut arrêté, figurant toujours sur les bulletin de recherche de la police en tant qu’insoumis en 1940. Il fut finalement relâché après huit heures passées au commissariat. Après s’être opposé à la tendance qui autour de G. Fontenis, s’était emparé de la FA, devenue FCL, il fit partie de la nouvelle Fédération anarchiste reconstituée autour de Maurice Joyeux et des frères Lapeyre notamment.
En 1947 il fut jugé pour son insoumission en 1939, mais fut finalement acquitté en raison de l’aide apportée à divers réfractaires pendant la guerre et l’occupation.
A cette époque, il collabora au Libertaire, surtout de 1949 à 1951 où il donna principalement des articles anticléricaux. Après le congrès de la FA en juin 1952 où la tendance menée par Georges Fontenis prit le contrôle de l’organisation, renommée Fédération communiste libertaire (FCL), il participa avec le groupe de Marseille à la reconstitution fin 1953 d’une nouvelle Fédération anarchiste autour notamment de Maurice Joyeux, Maurice Laisant et Aristide Lapeyre.
En 1957, il ouvrit une librairie-papeterie : « La boîte à bouquins » qui reçut la visite, avec table de signatures, de Georges Brassens, venu lors d’une tournée chanter au bénéfice des camarades espagnols. Il anima le groupe anarchiste Marseille-centre et assura un temps le secrétariat et la coordination de la propagande sur le plan régional (12e région de la Fédération anarchiste). Le 15 janvier 1959, dans une longue lettre à Matice Laisant, il affirmait renoncer à son militantisme anarchiste, la FA persistant à se comporter comme une organisation politique, revenait à Stirner, son « auteur de chevet”) et qu’il ne lui était « plus possible d’être un anarchiste social et de faire de la propagande en ce sens”). Il resta toutefois membre du groupe FA de Marseille, mais ne participa plus aux réunions et, en 1965, sommé par le groupe de venir eux réunions ou d’adhérer individuellement à la FA, il choisit alors de démissionner.
À partir de 1960, André Arru reprit son travail de VRP et parallèlement poursuivit ses activités militantes notamment à la Libre Pensée dont il fut membre de la commission administrative nationale et délégué à la propagande (1963-1966). Il parcourut ainsi la France entière pour donner des conférences ou organiser des manifestations (expositions, etc.). Après des dissensions avec le comité national de cette organisation — dont un des membres avait été accusé de malversations —, la Fédération départementale des Bouches-du-Rhône devint autonome et il en fut l’un des principaux animateurs jusqu’au milieu des années quatre-vingt. De plus, lors de la « guerre du Golfe », André Arru-Saulière participa activement à la constitution d’une section locale de l’Union pacifiste de France. Il était également membre du CIRA-Marseille, et adhérent à l’A.D.M.D. (Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité).
Il se maria le 25 mai 1994 à Marseille, avec Sylvie Knoerr. Sentant ses facultés intellectuelles diminuer, André Arru mit volontairement fin à ses jours le 2 janvier 1999 et fut incinéré au cimetière Saint-Pierre de Marseille dix jours plus tard. Selon ses voeux, ses cendres ont été dispersées en mer.
ŒUVRE : L’Unique et sa propriété de Max Stirner, É. Lucifer, Bordeaux, 1939, 20 p. (rééd. revue, augmentée et ill., en suppl. au Libertaire, Le Havre, 1993, 37 p.). — Très importante collaboration à la presse libertaire et anticléricale.