Dictionnaire international des militants anarchistes
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Y’en a pas un sur cent… et pourtant des milliers d’hommes et de femmes de par le monde, souvent persécutés, embastillés, goulagisés et parfois au prix de leurs vies, ont poursuivi leur chevauchée anonyme à la recherche d’un impossible rêve : un monde sans dieux ni maîtres.

RENARD, Eugène, Victor « GEORGES” ; “PARIDAEN” ; “FINOT »

Né à Paris X le 23 janvier 1870 — se suicide le 5 novembre 1934 — Sculpteur sur bois ; courtier ; indicateur — Paris — Londres
Article mis en ligne le 30 mars 2009
dernière modification le 5 août 2024

par Guillaume Davranche, R.D.
Eugène Renard

Fils d’un cordonnier, Eugène Renard vint très jeune aux idées anarchistes. Dès 1887 il créa un groupe libertaire nommé La Cloche et commença à militer sous divers pseudonymes : Max, Pinel, Blondel, Paridaen, Roussel puis finalement Georges, qu’il conserva jusqu’au bout. Il était « illégaliste » et, selon la police, il semblait ne vivre que de vols et de petites escroqueries, se promenant toujours avec un revolver et un poignard. Tiré au sort, il avait été réformé pour “une tumeur au pied gauche”. Considéré comme sans domicile fixe, il logeait d’hôtel en hôtel et parfois chez des compagnons et subsistait en distribuant des prospectus publicitaires, n’ayant jamais travaillé de sa profession d’ouvrier sculpteur sur bois.

Le 18 avril 1889 il avait été condamné à 6 mois de prison pour “complicité et tentative de vol qualifié” par le tribunal correctionnel de la Seine.

En 1890-1892, Georges fréquenta le Cercle anarchiste international qui, fondé en 1888, était le plus important lieu de rencontre et d’échanges entre militants à l’époque (voir Alexandre Tennevin). Il s’y classa dans la fraction « individualiste » emmenée par Pierre Martinet.

C’est à partir d’avril 1892, selon la police, qu’il commença à assister assidûment aux réunions publiques de nombreux groupes (Groupe de propagande anarchiste, La jeunesse communiste du XXe, les réunions Salle Georget et rue Mouffetard, Les Gars de la Butte etc.) et aussi à la Bourse du travail, à la Ligue pour la suppression des bureaux de placement et à y prendre la parole.

En 1892-1894 il se distinguait par sa condamnation du syndicalisme et son apologie de l’individualisme, du vol et de la violence. Il organisa également dans un local 90 rue Bolivar puis à la salle Georget, des conférences aux titres explicites comme « Travail et vol” ou “La prostitution et le vol dans la société capitaliste ». Dès cette époque, son attitude équivoque attira sur lui les soupçons. On l’accusa notamment d’être un agent du marquis de Morès, un leader antisémite.
Ses violentes diatribes qui auraient dû donner lieu à des poursuites, ne le furent jamais parceque, selon un rapport de 1894, « malheureusement la Préfecture de police s’est toujours vue dans l’impossibilité de fournir des témoins qui puissent sans inconvénient déposer à l’audience sur les faits dont il s’agissait » (cf. Arch. de Paris D3 U6 50).

Souvent accompagné des compagnons Petitjon, Cahusac, Baudelot, Brunet, Laurens, Vinchon, Lucas, Chabard et Ouin entre autres, il allait souvent faire du “vacarme” dans les réunions socialistes qui se terminaient alors en bagarre générale.

En juin 1892 il aurait organisé à son domicile 15 Passage Julien Lacroix, des réunions auxquelles assistèrent entre autres Ouin, Cheval, Bonnard et Guérin, pour tenter de reconstituer la Ligue des antipropriétaires. Il fréquentait également les établissements tenus par Duprat et par Constant Martin.

Au printemps 1893, il aurait été à l’origine avec Migeon de la publication du journal La Lutte pour la vie qui devait primitivement s’appeler L’Idée ouvrière. A cette époque il fréquentait assidûment les réunions du groupe anarchiste de Montmartre (XVIIIe arr.)

Le 4 juillet 1893 il avait participé avec plusieurs autres compagnons dont MIllet, Gibier, Guillemard, Brunet et Bichon, aux émeutes au quartier latin suite à la mort d’un étudiant. Selon le rapport d’un indicateur, il avait été l’un des plus violents et avait aidé à renverser plusieurs fiacres et tramways pour obstruer les rues.

Selon la police il avait vendu à cette époque, avec le compagnon Letellier, divers renseignements sur le mouvement anarchiste au journal Le Matin. Il aurait également réussi à extorquer des secours à diverses personnes dont Séverine à laquelle il s’était présenté comme un insoumis recherché voulant fuir en Angleterre.

Brièvement interpellé le 11 janvier 1893 — pour “refus de circuler” aux abords du Palais Bourbon avec notamment G. Leboucher, J. Dejoux, P. Caberd, Moucheraud — et en juillet 1893, Renard, qui demeurait alors au 21 rue Pascal, fut condamné à Laon le 13 novembre de la même année à six mois de prison pour “provocation de militaire à la désobéissance et au meurtre et au pillage” lors d’un discours fait lors d’une réunion publique à Saint-Ouen le 11 novembre précédent devant une cinquantaine de personnes à l’occasion de l’anniversaire des martyrs de Chicago. Il y avait notamment fait l’apologie de Ravachol et de la propagande par le fait. Il fut arrêté le 1er décembre 1893 et incarcéré à Sainte-Pélagie puis à la Santé pour purger cette peine. Libéré le 23 avril 1894, il prononça un violent discours le 1er mai au meeting tenu au Château d’Eau et fut arrêté le lendemain au sortir d’une réunion salle su commerce, Faubourg du Temple.

Il fut une nouvelle fois arrêté le 4 juillet avec Henri Deforge alors que tous deux allaient avenue Trudaine chez Paul Gibier dit Gilbert qui venait lui même d’être arrêté. Lors de son interrogatoire il prétendit ne plus être anarchiste, ne plus s’occuper de politique depuis sa libération de prison en avril et avoir l’intention de se conduire à l’avenir en bon travailleur et avait affirmé ne pas connaître Gilbert. Interné à Mazas, pour « association de malfaiteurs », il sera remis en liberté provisoire le 27 juillet avant de bénéficier d’un non-lieu en juin 1895.

Selon un indicateur, il se livrait à cette époque de plus en plus à des séances de magnétisme lors des réunions publiques.

À la fin de 1894, il était en exil à Londres, domicilié au 97, Charlotte Street. C’est durant cet exil qu’il devint le principal protagoniste d’une scission dans le mouvement anarchiste. Dénonçant le tournant syndicaliste prôné par l’équipe de The Torch (voir Émile Pouget), Georges appela à la scission, et Le Journal des débats du 18 octobre 1894 lui prêta ces paroles : « Si les compagnons de Londres tiennent à l’épithète d’anarchistes, dont on a trop abusé, qu’ils la gardent. Nous autres, nous n’avons pas besoin de qualificatifs, nous sommes uniquement des libertaires, des individualistes absolus. » Georges prenait également ses distances avec les attentats, déclarant « ce mode d’action inutile », bien qu’il pensât qu’il continuerait à y avoir « des fous, des fanatiques et des malheureux qui se suicideront sans résultat pour la cause de l’émancipation humaine ». Il dénigrait même la révolution, estimant que si elle advenait, « elle ne profiterait qu’aux socialistes, qui instaureraient un gouvernement plus tyrannique encore ».

Le 12 novembre, lors d’un meeting à Grefton, il annonça que le communisme anarchiste serait bientôt relégué au « musée des religions préhistoriques pour faire place à la jeune anarchie, à l’anarchie individualiste. » (lettre à un correspondant). Dans un texte daté de ce même mois de novembre et intitulé “L’Individualisme” il écrivait : « … Nous croyons que la liberté absolue ne sera possible pour l’individu, que lorsque tous les individus composant l’espèce jouiront de cette liberté. Voilà pourquoi nous cherchons à répandre l’anarchie… Nous croyons que la liberté ne se décrète pas, elle est matériellement si les individus sont libres moralement, elle ne peut être si moralement ils sont esclaves de beaucoup ou de peu de préjugés. Voilà pourquoi nous ne croyons pas qu’un révolution puisse instaurer la liberté, et que celle ci ne sera que le résultat d’une longue période d’évolution. Est ce à dire que nous devons nous désintéresser de la prochaine révolution, qui est un fait inéluctable… Non ! Non parce que cette révolution doit être pour nous un merveilleux outil de propagande et la propagande pour nous n’est pas un devoir, mais une des formes de notre jouissance. La Révolution ? Non seulement nous y prendrons part, mais nous essayerons de la diriger parce que cela est une nécessité si nous ne voulons que les plus mortels ennemis de la liberté, les Collectivistes, ne profitent de l’action pour perdre pour longtemps la cause de la liberté ».

Rentré à Paris en février 1895, Georges poursuivit sa propagande anticommuniste. Avec Deherme et Carteron, il fut parmi les animateurs du groupe L’Individu libre. C’est sans doute à cette époque qu’il commença à donner des renseignements à la police. Son premier rapport, sous le nom de code « Finot », fut enregistré le 16 mars 1895. Il habitait alors au 11, rue d’Orchampt, à Paris 18e.

Après l’effacement de Martinet en 1896, Georges devint le militant le plus en vue du « parti individualiste ». Une de ses activités de prédilection consistait à aller perturber les réunions socialistes. Le 1er mai 1895 il fit ainsi quelque scandale dans une réunion du POSR, avant que la police n’intervienne pour évacuer la salle. Il allait également porter la contradiction dans les réunions organisées par le courant anarchiste communiste. Il condamnait également l’idée de grève générale qu’il présentait comme « un nouveau tremplin électoral, inventé par les candidats socialistes, impossible à réaliser, tous les travailleurs n’ayant pas les mêmes intérêts ».

En août 1896 il était l’un des animateurs, avec Babet et Fallier, du nouveau groupe individualiste La Vérité qui se réunissait rue Vieille du Temple.

Dans ses rapports, « Finot » ne cessait de mettre en valeur le rôle de Georges, qu’il comparait aux autres grands noms de l’anarchisme (Malatesta, Merlino, Pouget…). Il se présentait volontiers comme « le théoricien”, “l’homme » du courant individualiste, tandis qu’il minorait le rôle des autres.

Durant l’Affaire Dreyfus, il milita dans les rangs dreyfusards. En avril 1898, il fit partie, avec Émile Janvion et Louis Broussouloux, du groupe de 5 militants partis combattre la campagne électorale de Drumont à Alger. L’équipée fut un échec. Dès leur arrivée à Marseille, une bande de ligueurs antisémites de Jules Guérin les repéra et embarqua avec eux sur le bateau. Dès leur débarquement à Alger le 19 avril, une affiche fut placardée dans la ville, mettant les habitants en garde contre « les anarchistes » lanceurs de bombes à la solde des Juifs. Les cinq militants, en terrain fortement hostile, furent contraints de repartir.

Le 20 août 1899, Georges prit part à la manifestation appelée par Le Journal du peuple place de la République, aux abords du « fort Chabrol » des antisémites. Au cours d’une bagarre avec des contre-manifestants nationalistes, il dégaina son revolver et blessa grièvement deux personnes. Suite à cela il ne fut condamné qu’à 200 francs d’amende. Le quotidien antidreyfusard L’Intransigeant y vit la preuve définitive qu’il était un mouchard et écrivit : « Georges la casserole a été brûlé par ses patrons ». Le même mois, il fut condamné à six mois de prison pour complicité de vol avec deux autres compagnons.

Il participait activement aux réunions du groupe Les Iconoclastes animé par Janvion.

En février 1900, il fut le premier parmi les individualistes à donner une lecture publique de L’Unique et sa propriété de Max Stirner, qui venait d’être traduit en français. En avril 1901, il lança le mensuel individualiste L’Homme, qui eut 7 numéros.

En avril 1902, il perdit un œil au cours d’une bagarre (avec des guesdistes selon Armand, avec des étudiants selon Jean Grave). Il s’éclipsa alors du mouvement anarchiste, ne réapparaissant qu’épisodiquement autour des groupes individualistes se formant dans la capitale, dans les réunions de L’anarchie — il y écrivit en juillet 1905 un article intitulé « Qu’est-ce que l’individualisme ? » — et après l’affaire Bonnot. Il anima ainsi le cercle des Libres Entretiens en 1913-1914, où il défendait la pureté de la doctrine individualiste et un anticommunisme sourcilleux. En parallèle, il continuait à travailler pour la préfecture de police. On trouve notamment des rapports signés “Finot” sur les activités d’Émile Janvion jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale.

En 1903 il était avec notamment Libertad l’un des animateurs du groupe Les Iconoclastes du XVIIIe arrondissement.

Réformé en raison de la perte de son œil, il ne fut pas mobilisé en 1914. Pendant la guerre il participa aux réunions tenues autour d’E. Armand à la Maison commune, 49 rue de Bretagne (cf. rapport de police, 7 mai 1916) ainsi qu’aux réunions du groupe des Amis de Par delà la mêlée du nom de la revue dirigée par E. Armand.
S’agit il du Georges Renard qui, à la veille de la guerre, était membre du groupe des XIe et XIIe arrondissemenrs dont le secrétaire était Laurent Desgouttes et qui avait participé au Milieu libre de la Pie fondé au printemps 1913 par Georges Butaud ?

Après guerre il adhéra au groupement La Ghilde Les Forgerons et Il fut, avec Raoul Alas-Luquetas, le co-fondateur et rédacteur de l’organe individualiste L’Homme (Paris, 7 numéros d’avril à août 1901). Henri Zisly écrivait à propos de ce journal : « Fondateurs-rédacteurs : Eugène Renard, Raoul Alas Luquetas, le premier, plus connu sous le nom de « Georges » dans les milieux anarchistes et suspecté par certains d’être un indicateur de la police ; et le second, digne représentant du rastaquouère (sic). En résumé, de l’individualisme bourgeois » (cf. Le Semeur, 3 mars 1926).

Armand et Mauricius, qui n’avaient jamais perdu le contact avec lui, l’aidèrent financièrement dans les derniers temps. Il était alors, selon Mauricius, « un homme isolé, perdu, frappé par la maladie et le malheur » (lettre à Armand). Le matin du 5 novembre 1934, il se tira une balle dans la tête.


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