Dictionnaire international des militants anarchistes
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Y’en a pas un sur cent… et pourtant des milliers d’hommes et de femmes de par le monde, souvent persécutés, embastillés, goulagisés et parfois au prix de leurs vies, ont poursuivi leur chevauchée anonyme à la recherche d’un impossible rêve : un monde sans dieux ni maîtres.

GRANDJOUAN, Jules

Né à Nantes (Loire-Inférieure) : 22 décembre 1875-12 novembre 1968 — Dessinateur — PCF — CGT — Paris — Nantes
Article mis en ligne le 7 février 2024
dernière modification le 8 août 2024

par Guillaume Davranche, R.D.

Ayant perdu son père (Julien Grandjouan, herbager) à l’âge de 7 ans, Jules Grandjouan fut élevé par sa mère et par son grand-père, horticulteur. Après des études au lycée de Nantes, il étudia le droit à Paris en 1895-1896. Le 18 décembre 1897, il épousa Bettina Simon à Paris (VIe arr.). De retour à Nantes, il travailla comme clerc de notaire mais, dès cette époque, donna des dessins à des journaux de la région.

Au début des années 1900, il vint résider à Paris et se consacra exclusivement au dessin. Portraitiste, pastelliste, affichiste caricaturiste, illustrateur, il devint en quelques années un des artistes les plus réputés de sa génération, publiant environ un millier de dessins dans L’Assiette au beurre et 400 dans Le Rire et dans la presse ouvrière. Illustrateur de nouvelles de Maupassant et de poèmes de chansonniers de Montmartre, il consacra également deux recueils à sa ville natale : Nantes la grise (1899) et Les Vingt-huit ponts de Nantes (1923). Il portraitura plus de 200 hommes politiques — Lénine, Trotsky, Briand, Jaurès… — et réalisa des centaines d’esquisses de la danseuse Isadora Duncan, rencontré en 1903. Grand illustrateur du monde ouvrier, il publia, de 1903 à 1911, des cahiers intitulés Les Esclaves modernes. Il y croquait verriers, mineurs, métallurgistes, égoutiers, carriers ou boulangers sur leur lieu de travail. Sa manière d’intégrer le texte, le dessin et la couleur en fait par ailleurs un des inventeurs de l’affiche politique moderne. Un catalogue raisonné de son œuvre (4 700 œuvres répertoriées) a été réalisé par sa petite-fille Noémie Koechlin.

Parallèlement à son itinéraire artistique, Grandjouan fut un militant engagé dans le mouvement ouvrier libertaire. À partir de 1899-1900, il fréquenta les milieux artistiques « avancés », se liant avec Naudin, Delannoy, Hermann-Paul et Steinlen qui l’influença beaucoup. Anarchiste dès cette époque, il collabora activement, parfois comme rédacteur, plus souvent comme dessinateur, au Libertaire en 1899, à La Voix du peuple de 1903 à 1910, aux Temps nouveaux de 1905 à 1910, au Conscrit en 1906, à La Guerre sociale de 1906 à 1910, à L’Almanach de la révolution en 1907, à La Voix des verriers en 1907, à La Bataille syndicaliste de 1911 à 1914. Cela lui valut maintes poursuites.

Syndicaliste actif, Grandjouan fut délégué aux congrès CGT de Marseille, 5-12octobre 1908 (du syndicat des lithographes) et où il avait défendu la motion antimilitariste et antipatriote (voir Bidamant), et de Toulouse, en octobre 1910. Il ne figure pas toutefois sur les listes de délégués au congrès de Marseille. Pourtant, il y était puisqu’il déposa une motion, au nom de l’Union des syndicats de la Seine, sur l’antimilitarisme. Il déclara à ce sujet : « La patrie n’est qu’un prétexte pour exploiter et diviser les travailleurs », « L’armée n’est que le moyen brutal d’assurer cette exploitation et cette division » ; en conséquence, « il est temps d’étudier la réalisation pratique de la grève générale et de l’insurrection en cas de guerre » (p. 182 du compte-rendu).

À l’aube du 11 juin 1909, son domicile fut perquisitionné dans le cadre de l’enquête sur la vague de sabotage contre les lignes télégraphiques et téléphoniques. Il habitait alors 1, rue Rataud, à Paris 5e.

En 1910, Jules Grandjouan fut l’initiateur et l’animateur du Comité révolutionnaire antiparlementaire, qui mena une campagne abstentionniste à l’occasion des élections législatives. Étaient membres de ce comité 26 militants issus de toutes les fractions libertaires, syndicalistes révolutionnaires ou socialistes antiparlementaires : Georges Durupt, René de Marmande, Miguel Almereyda, Eugène Merle, Jules Grandjouan, Harmel, Tissier, Auguste Bertrand, Charles-Albert, Marc Pierrot, André Girard, Jean Grave, Eugène Péronnet, Louis Matha, Silvaire, René Dolié, Pierre Monatte, François Marie, Jean-Louis Thuillier, Charles Desplanques, Alphonse Ardoin, Georges Ardouin, Henry Combes, Maurice Girard, Albert Jacquart, Eugène Laval. Grandjouan en réalisa les affiches : « Le vol des Quinz’Mill’ » et « Ne vote plus, prépare la révolte ». Il habitait à cette époque 31, rue Lhomond, à Paris 5e.

Avant la campagne antiparlementaire de 1910, le mouvement anarchiste français n’avait jamais été capable de coordonner une opération politique à l’échelon national. A cette occasion, ils polarisèrent au-delà de leurs propres rangs, en entraînant des syndicalistes et même des socialistes de la gauche du PS. À l’apogée de la campagne, pas moins de 250 comités locaux, implantés jusque dans les zones rurales, collèrent des dizaines de milliers d’affiches et distribuèrent des centaines de milliers de brochures et de journaux. Cette réussite quantitative autant que qualitative, qui dut beaucoup à la ténacité de Grandjouan, fut, par la suite, un tremplin pour l’organisation des forces révolutionnaires.

Dans La Guerre sociale du 25 mai 1910, Grandjouan s’opposa au projet de Parti révolutionnaire défendu par Miguel Almereyda et critiqua à ce moment-là le manque de fond théorique de l’hervéisme. Cependant, il ne rejoignit pas les autres anarchistes hostiles aux PR lorsque ceux-ci fondèrent, à la fin de 1910, la Fédération révolutionnaire communiste.

En 1911, Grandjouan fut condamné pour un dessin antimilitariste à dix-huit mois de prison et à 30 000 francs d’amende. Il préféra se réfugier à Darmstadt, en Allemagne, dans l’école de danse d’Élisabeth Duncan, sœur d’Isadora. Il voyagea ensuite à travers l’Allemagne, l’Égypte et l’Italie. Il revint en France en février 1912 et fut amnistié en février 1913.

En 1914, en raison de sa myopie, Grandjouan fut mobilisé dans le service auxiliaire (convoyeur de chevaux puis dessinateur en constructions navales). Après l’armistice, il sympathisa avec la révolution d’Octobre et le communisme. Il fut néanmoins radié du Carnet B de la Seine lors de la révision de 1922 au motif qu’il ne faisait « plus l’objet d’aucune remarque au point de vue national ».

Lors des élections législatives de 1924 dans la Loire-Inférieure, il conduisit la liste du Bloc ouvrier et paysan (PCF). En 1926, il fit le voyage de Moscou et en revint avec un album de plus de 200 dessins qu’il publia sous le titre de Russie vivante. En 1928, il participa à la fondation du Cercle de La Russie neuve. Cette même année, il se présenta comme « socialiste » aux élections législatives dans la 1re circonscription de Nantes, face à un socialiste SFIO, Dalby, et à un communiste, Sanquer. Il restait néanmoins dans l’orbite communiste puisqu’il fut élu représentant en France du bureau international des peintres révolutionnaires et invité à Moscou en 1930 pour « travailler à la cause des beaux arts prolétaires ». Cependant, cette même année, il se fâcha définitivement avec le PCF pour avoir soutenu un peintre anarchiste italien. Il fut alors rayé du bureau international des peintres révolutionnaires.

En 1932, il se présenta à nouveau dans la 1re circonscription de Nantes, et fut battu.

Il mena dès lors une vie retirée. Toutefois, en 1935, il revint vers l’extrême gauche puisqu’il participa à l’organisation de la Conférence nationale contre la guerre qui siégea à Saint-Denis les 10-11 juillet et qui dénonça le pacte Laval-Staline (voir Louzon).

Sa fille Edwige, inspectrice de dessin des écoles de la Ville de Paris, épousa en 1926 Jean Langevin, fils de Paul, bien connu comme savant et comme citoyen « engagé ». En 1926, H. Grandjouan (est-ce son fils Henri ?) assurait l’impression de la revue libertaire Plus Loin (voir Marc Pierrot) et, en 1933, assistait à ses banquets.

Jean Cassou a pu écrire que l’œuvre de Grandjouan reflétait « L’épopée du syndicalisme et du socialisme dans leur neuve ardeur, leur premier élan, l’ardeur et l’élan de la révolte anarchiste » (Jules Grandjouan, op. cit., p. 9).

Principales œuvres militantes :
— Portraits de militants : Almeyreyda, Cordier, Delzant, Griffuelhes, Lévy, Malato, Marck, Merrheim, Pouget, Renard (cf. pp. 51-52 du Catalogue, op. cit.).
— Affiches : Briand et Villeneuve-Saint-Georges, 1907. — L’Art emprisonné, 1909. — Les Quinz’mill’, 1910. — Ne vote plus, prépare la révolte, 1910. — Leurs Retraites, 1910. — La Révolution, 1910 (Catalogue, op. cit., p. 27).
Après la guerre, Grandjouan fit des affiches pour la CGT (affaire Cottin), pour l’amnistie (Marty et les mutins de la mer Noire), en hommage à Liebknecht, affiches aussi en 1924 pour le Bloc ouvrier-paysan (ibid., p. 28).
— Couvertures de brochures de la Bibliothèque syndicaliste que dirigeait Pouget, L’Action directe, par exemple.

ŒUVRE : Grandjouan déclara un jour avoir été l’auteur de 2 000 dessins, « ce qui est bien au-dessous de la vérité », souligne sa fille, Edwige Langevin (op. cit., p. 16). On consultera, pour en avoir un large aperçu, le catalogue de l’Exposition Jules Grandjouan, musée des Beaux-Arts de Nantes, 27 juin-10 octobre 1969, ainsi que l’inventaire (9 volumes parus à ce jour) réalisé par Noémie Koechlin, Jules Grandjouan : Dessinateur de presse et illustrateur, auto-édition.


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