Dictionnaire international des militants anarchistes
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Y’en a pas un sur cent… et pourtant des milliers d’hommes et de femmes de par le monde, souvent persécutés, embastillés, goulagisés et parfois au prix de leurs vies, ont poursuivi leur chevauchée anonyme à la recherche d’un impossible rêve : un monde sans dieux ni maîtres.

MAZZUCCHELLI, Ugo

Né le 5 juin 1903 à Carrare — mort le 6 anvier 1997 — Ouvrier carrier ; propriétaire foncier — UAI — FAI — Carrare (Toscane)
Article mis en ligne le 1er octobre 2023
dernière modification le 5 août 2024

par R.D.
Ugo Mazzucchelli

Ugo Mazzucchelli né à Carrare le 5 juin 1903 d’Ario Dante et d’Amalia Lorè, est le deuxième de cinq enfants, d’une famille pauvre dirigée par son père qui a toujours été carrier de métier. Après les premières années d’école primaire, Ugo a commencé à travailler dans la carrière et c’est dans cet environnement dur et fascinant qu’il a découvert la dure réalité de l’exploitation et a commencé à se forger une conscience politique et sociale fortement imprégnée de ces idéaux libertaires qui ont longtemps été connues dans la ville du marbre, et avaient pris racine parmi les classes populaires.
Après avoir déménagé avec sa famille à Nazzano, grâce à la lecture des brochures que lui avaient transmis Romiti, un vieil ami de Pontremoli, et du périodique Cavatore, il décida de fonder avec d’autres jeunes le groupe de jeunesse anarchiste Né dio né padrone (Ni Dieu ni Maître). Au siège de la Chambre du Travail de Carrare, il rencontra Alberto Meschi, le leader libertaire du mouvement syndical du secteur du marbre, et fut fasciné par lui. Après la Biennale Rouge et le début de la réaction fasciste, Ugo eut ses premières expériences politiques et avait connu la prison.

Dans la nuit du 19 juin 1921, à Nazzano, après un échange de tirs avec une unité de carabiniers, il fut arrêté avec une quinzaine d’autres camarades dont Ugo Bianchi, Francesco Menconi, Ettore Mariotti, Mario Rolla, Primo Mannucci. Le groupe de Mazzucchelli était stat posté pour tenter de défendre le siège de la Ligue des Carrières et des Scieurs contre une expédition de fascistes annoncée, mais l’arrivée des carabiniers avait fait échouer le plan des anarchistes.

En décembre suivant, Mazzucchelli et ses compagnons furent condamnés à deux ans, deux mois et dix-neuf jours de prison, à une amende de 250 lires et à une amende de 106 lires. En mars 1922, la Cour d’appel de Gênes réduisit la peine à neuf mois et quatorze jours d’emprisonnement et l’amende à 150 lires.
Après avoir purgé sa peine dans les prisons de Massa, Lucques, Pise et Gênes, Mazzucchelli retrouve la liberté e tle fascisme dirigé localement par son Ras local Renato Ricci. Contraint de quitter Nazzano, il tenta de trouver du travail à Seravezza, puis retourna à Carrare et rejoignit ensuite un cousin à Pianamaggio où il rencontra Giuseppina Michelini — sœur d’Arturo, un anarchiste tué traîtreusement par les fascistes — qui deviendra sa compagne.
Mazzucchelli tente également d’émigrer en France pour échapper à la répression mais fut arrêté et rapatrié.

Les années de clandestinité commencèrent, Mazzucchelli vivant presque toujours dans les montagnes où il travaillait de manière spartiate, rejoignant de temps en temps sa femme, mais les recherches et contrôles continus de la police l’obligèrent à s’installer dans la région de La Spezia où il tenta cependant de ne pas perdre le contact avec ses camarades de classe. Durant cette période, il rencontra Gino Lucetti, Gino Bibbi, Stefano Vatteroni et Pasquale Binazzi.

Pendant ces années du fascisme, Mazzucchelli a complété son éducation culturelle en s’épargnant du dur travail de la carrière et en rétablissant les liens avec ses amis et camarades qui seront fondamentaux pour la reprise de la lutte contre le fascisme en 1943.

Peu avant le déclenchement de la lutte pur la libération, il acheta, au prix de grands sacrifices, une petite carrière à Calocara. Après les premières défaites du régime, Mazzucchelli noua également des relations avec les représentants des autres forces antifascistes et, à l’été 1943, le premier “Comité civique” fut créé dans sa maison de San Ceccardo, suivi d’autres initiatives. à la base de la formation du Comité local de libération nationale (CLN).
Entre septembre et octobre 1943, se formèrent en Italie des groupes armés d’antifascistes qui donnèrent naissance aux premières formations partisanes. Les anarchistes de Carrare, poussés par l’action incessante de Romulado Del Papa et Onofrio Lodovici, ne font pas exception et constituèrent les premiers groupes de pompiers mais surtout ils appuyèrent logistiquement le CLN, qui se réunissait souvent au “Buco” de via Beccheria, un lieu au niveau du ruisseau Carriona avec de multiples issues de secours et portes masquées mises en place par des libertaires.
Mazzuccheli, dans la carrière Lorano II, située dans une position difficile d’accès pour les personnes peu familiarisées avec la région, récupéra des armes et offrit l’hospitalité à divers déserteurs et hommes recherchés, dont les frères Bernieri et le professeur Napoléon Vanelli. Il avait ensuite organisé une « patrouille volante » qui devint, par la suite la brigade partisaneMazzucchelli à laquelle avaient également adhéré ses fils Alvaro et Carlo.

À la mi-avril 1944, Mazzucchelli fut arrêté et incarcéré à la prison Malaspina de Massa. Vers la fin mai, les partisans organisèrent l’enlèvement du fils du directeur de la prison et parvinrent à obtenir la libération de Mazzucchelli et d’autres prisonniers politiques en échange de sa liberté.
Ayant retrouvé sa liberté, Mazzucchelli réorganisa son propre groupe qui, sous le nom de formation autonome Gino Lucetti, qui avait rejoint la Brigade Garibaldi Ugo Muccini, puis Gino Menconi.

Tout au long de son activité partisane, Mazzucchellise se préoccupa constamment d’aider les plus nécessiteux et de trouver les fonds nécessaires au financement de la formation. Il parvint efficacement à organiser quelques rencontres entre les chefs de famille les plus riches de la région, souvent compromis avec le régime passé, et à les « convaincre » de la nécessité de souscrire des sommes substantielles pour la cause de la Résistance. Pour chaque « expropriation », un récépissé régulier était délivré et un rapport adressé au Comité local de libération nationale : en peu de temps, de septembre à novembre 1944, plus de cinq millions de lires furent ainsi récoltées.

Pendant ce temps, l’avancée alliée s’était arrêtée et l’espoir de voir Carrare libéré en quelques semaines s’était évanouit.
Mazzucchelli avait alors traversé la ligne de front pour contacter les forces alliées. Il avait alors été remplacé provisoirement à la tête de la Brigade par Francesco Bragazzi et Alcide Lanzotti.
Un long automne-hiver commença par des affrontements avec les nazis-fascistes qui avaient lancé fin novembre une contre-offensive décisive, obligeant les formations partisanes au repli. La formation de Mazzucchelli parvint à se se replier et, après mille tribulations, à franchir la ligne de front après la mi-décembre.
Mazzucchelli avait alors rejoint le reste de la famille déplacée à Lucca avec ses enfants.

Fin mars 1945, Mazzucchelli avec une vingtaine d’hommes forma le groupe de combat Michele Schirru et gagna de nouveau les montagnes au-dessus de Carrare.
Massa est libérée le 10 avril et le lendemain c’est au tour de la ville de marbre, où environ 710 soldats allemands sont capturés par les partisans et remis aux alliés.

Ugo Mazzucchelli pensa immédiatement à tous les problèmes liés à l’après-guerre, à la reconstruction et à la réactivation du mouvement qui avait une large audience dans la ville. Le rôle que les anarchistes ont joué dans la lutte antifasciste et dans la Résistance leur a donné un poids et une responsabilité qui les ont amenés à occuper des postes au sein du conseil du gouvernement provisoire et du Comité de libération nationale (Romualdo Del Papa et Onofrio Ludovici), en à la junte (Ismaele Macchiarini) et au conseil municipal (Renato et Adolfo Viti), non sans créer de profondes contradictions et tensions dans les relations entre camarades.
Mazzicchelli ne ne fit pas partie des partisans les plus enthousiastes de ces choix, étant à ce moment, impliqué dans la création de la Coopérative Il Partigiano qui ouvrit 25 centres de ventes d’aliments de base à bas prix et la coopérative Gino Lucetti qui offrit du travail à plusieurs milliers de travailleurs et qui permirent toutes deux la récupération de la vie sociale et économique de la ville face à la inertie des autorités locales.

Dans ce climat de reconstruction et d’assiduité vertueuse, l’idée d’un « anarchisme concret, raisonné et rationnel » prend forme chez Mazzucchellli qui, par une action progressive, est capable de transformer immédiatement pour le mieux les conditions de vie et de travail des travailleurs. Mais cette idée de l’anarchisme ne coïncide pas avec celle de Romualdo Del Papa, l’autre leader de la Résistance libertaire de Carrare, dont le pragmatisme exaspéré le conduit, au contraire, à soutenir pleinement la collaboration avec les corps politiques nés de la Résistance et à arriver ensuite à des positions fortement anticommunistes. Une longue controverse personnelle commença entre les deux, alimentée par les divergences politiques et leurs fortes personnalités respectives.

Les 15-19 septembre 1945, pour confirmer le rôle central de l’anarchisme carrarais, s’est tenu dans la ville le premier congrès national de création de la Fédération anarchiste italienne (FAI). M.azzucchelli est délégué, avec Mario Perossini, Stefano Vatteroni et Romualdo Del Papa, de la Fédération Communiste Libertaire (FCL) de Massa et Carrara. Dans le débat, Mazzucchelli soutint la nécessité pour l’anarchisme de participer activement au mouvement ouvrier et d’établir un « comité syndical » pour coordonner les groupes. Le congrès fut aussi l’occasion de revoir d’anciens camarades et de connaître de nouveaux militants : Mazzucchelli rencontra des camarades avec lesquels il se liera d’une profonde amitié comme Ugo Fedeli, Alfonso Failla et Umberto Marzocchi, vétéran de la guerre civile espagnole et de la Résistance en France.
Pour Mazzucchelli il était essentiel que le mouvement ait immédiatement une orientation claire et soit soutenu par une forte propagande et c’est pourquoi il fut à l’initiative de nombreuses publications dont les périodiques Il Cavatore (1945-1956) etIl’94 (1945 — 1949).) dont il occupa le poste de rédacteur en chef de certains numéros.

Ces années représentent un moment de reprise heureuse et intense pour l’anarchisme carrarais, qui connaît un grand développement sur tout le territoire de la province, des dizaines de nouveaux groupes se forment et Mazzucchelli est l’un des protagonistes majeurs de ce réveil. Il participe également activement au mouvement national et est présent à tous les principaux congrès et conférences en tant que représentant de la Fédération de Carrare. Le retour de Meschi pour les anarchistes et pour Mazzucchelli lui-même raviva un instant l’espoir de reprendre le contrôle de la Chambre du Travail mais le rêve fut vite brisé en raison de l’hégémonie du PCI qui exprima une claire opposition à l’anarchisme.

Dans les années suivantes, Mazzucchelli devint particulièrement actif dans l’aide aux exilés espagnols et, ayant atteint un certain bien-être économique, il contribua aux initiatives culturelles du mouvement et soutint en particulier l’expérience des camps d’été pour enfants nécessiteux à Marina di Carrara. Son attention se porta sur les initiatives visant à valoriser l’histoire du mouvement anarchiste et dans ce domaine il ne ménagea aucun effort pour soutenir les publications et la recherche mais aussi pour ériger des pierres tombales et des monuments (Lucetti, G. Pinelli, Franco Serantini…). Pour Mazzucchelli, la mémoire devint un engagement précis de témoignage mais aussi une opportunité de débat et de réflexion sur l’histoire de l’Italie.

En 1963, il crée la section locale de la FIAP, l’association de partisans non communistes fondée par Ferruccio Parri. À la fin des années 70, un engagement clair dans la lutte contre le militarisme l’a amené à adhérer, avec son inséparable ami Umberto Mazocchi, à la Ligue pour le désarmement unilatéral fondée par l’écrivain pacifiste Carlo Cassola.

Au début des années 80, malgré son âge avancé, il entreprend la dernière bataille de sa vie : celle pour un monument à la mémoire de Gaetano Bresci. L’initiative, combattue par les forces politiques modérées et de droite, a le mérite d’ouvrir un débat à plusieurs voix sur la violence et le terrorisme à un moment délicat de l’histoire du pays, bénéficiant d’une large attention de la presse et de la télévision. Mazzucchelli ne se laissa pas intimider par les plaintes et les critiques et poursuivit son projet — avec l’aide d’un Comité qui rassembla bientôt des dizaines de soutiens de militants, de citoyens et de professeurs d’université, comme ceux d’Enzo Santarelli et Pier Carlo Masini — jusqu’à ce qu’il échoue à ériger le monument devant le cimetière de Turigliano.

C’est véritablement le dernier effort, Mazzucchelli fatigué et aussi en partie déçu par les polémiques personnelles qui le voient parfois au centre d’affrontements au sein du mouvement décide de s’en distancer. Après plus de quarante ans de militantisme infatigable au sein de la FAI, Mazzucchelli a mûri son détachement définitif en prenant position en faveur de la guerre du Golfe et en invitant ensuite à voter pour l’Ulivo (1991-1996). Dans cette position, on peut lire une évolution progressive des interprétations originales de l’anarchisme, considéré comme une doctrine sociale et une action politique visant à construire immédiatement les conditions d’une transformation radicale de la société sur des bases égalitaires et libertaires, vers une « démocratie libertaire » de la société. et un abandon définitif de l’idée de révolution comprise comme une rupture violente des relations sociales et économiques, mais aussi l’urgence de marquer une séparation avec cette partie du mouvement qui n’accepte pas la « dérive » de ses positions en les stigmatisant. Peut-être sa passion pour les jeunes avec lesquels il aimait dialoguer dans les dernières années de sa vie et sa fidélité déclarée aux paroles de Malatesta peuvent-elles éclairer la pensée de ses dernières années : « La haine ne produit pas l’amour ; le monde ne peut pas être renouvelé par la haine et la révolution de la haine échouerait complètement ou conduirait à une nouvelle oppression ».

Ugo Mazzucchelli est décédé à Carrare le 6 janvier 1997 et a été incinéré.

Œuvre : — Testimonianze : Carrarae i suo monumenti : la forza della ragione e le sue evoluzioni (198 ?) [sur les monuments etplaquescomméorzatives à Carrare].


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