Haut-Marnais, les ascendants de Jean Prugnot avaient été, du côté paternel, charpentiers de père en fils, et du côté maternel, petits paysans-vignerons. Son père, Gaston Prugnot, originaire de Wassy, et sa mère, Marthe Jacquin, originaire de Saint-Urbain, étaient employés des PTT. En 1913, ils quittèrent Chaumont pour Vesoul (Haute-Saône) où Prugnot poursuivit des études secondaires au lycée Gérôme jusqu’au baccalauréat. En septembre 1914, en vacances chez ses grands-parents, non loin du front au moment de la bataille de la Marne, il assista à l’exode des réfugiés, et des scènes vécues au cours de ces tragiques événement lui inspirèrent, dès son jeune âge, une horreur de la guerre qui ne devait que s’accentuer par la suite.
Il passa en 1925 le concours de surnuméraire des PTT. Reçu, il se fit mettre en disponibilité pour poursuivre ses études et il entra, en 1926, à l’Institut industriel du Nord, à Lille, d’où il sortit ingénieur civil en 1929, après avoir été menacé d’exclusion pour refus des cours obligatoires de préparation militaire supérieure. Après une nouvelle année d’études à l’École supérieure d’électricité de Paris (1929-1930), il effectua son service militaire au 1er génie à Strasbourg (Bas-Rhin). Versé au peloton des élèves officiers de réserve, il échoua volontairement aux examens. Détaché dans une brigade topographique du service géographique de l’armée, il y rencontra Henri Philippon, alors directeur de la revue La Courte paille, qui lui fit connaître Monde de Barbusse et Nouvel âge littéraire d’Henry Poulaille. C’est Henri Philippon qui, en 1932, le mit en relation avec ce dernier dont les idées le marqueront profondément et qui deviendra l’un de ses intimes.
En janvier 1932, Prugnot trouva un emploi d’ingénieur sur un chantier de la ligne Maginot, à Lembach (Bas-Rhin), où il se maria en 1933. Mais à la suite de licenciements dûs à la crise économique, il perdit cet emploi en juillet de la même année. Après être resté en chômage deux ans pendant lesquels il écrivit un roman, Béton armé, où il retraça son expérience des chantiers de travaux publics et montra l’angoisse et la révolte d’une jeunesse sans travail (roman qui sera publié dans Le Peuple en 1937, puis aux Éditions Grasset en 1946), il parvint en 1935 à se faire réintégrer dans l’administration des PTT, fut nommé surnuméraire à Paris, puis commis au Central téléphonique de Strasbourg.
Adhérent à la Fédération postale CGT, il milita au syndicat national des agents des PTT et tint pendant deux années la chronique littéraire dans le journal PTT, hebdomadaire de ce syndicat, chronique dans laquelle il s’attacha particulièrement à faire connaître des écrivains prolétariens. À l’occasion de ses voyages à Paris, il se lia avec Marcel Hasfeld, Pierre Monatte, puis Louis Lecoin, et fréquenta à partir de 1936 Le Musée du soir, rue de Médéah ; il y noua des relations suivies avec de nombreux écrivains, artistes et militants.
En 1938, il fut délégué au congrès de la Fédération postale à Vichy, devint secrétaire de la section du Bas-Rhin de son syndicat et créa avec Jean Magri (voir ce nom), militant de l’enseignement, un groupe du Centre syndical d’action contre la guerre. Au cours de l’été 1938, par l’intermédiaire de Maurice Wullens, il fit la connaissance de Marcel Martinet hospitalisé à La Robertsau, dans la banlieue strasbourgeoise, et, après lui, celle de Victor Delagarde directeur de l’Association des ouvriers en instruments de précision, à Paris, qui le fit embaucher comme ingénieur d’études dans cette importante coopérative ouvrière de production où il travailla jusqu’à la retraite en 1972.
C’est vers 1938 qu’il avait fait la connaissance au Musée du Soir de Maurice Lime. Ce dernier était ensuite exclu du PC pour avoir protesté contre les massacres staliniens et trouvait refuge à l’Association des ouvriers en instruments de précision où Prugnot travaillait comme ingénieur.
Mobilisé comme sergent au 1er génie en septembre 1938, puis en septembre 1939 dans la zone évacuée du Rhin, et ne cachant pas ses opinions antibellicistes — il avait approuvé le tract Paix immédiate de Lecoin —, sa mise en affectation spéciale qui avait été accordée fut annulée ; Prugnot fut cassé de grade et changé de corps. Passé au 38e génie dans la région de Haguenau, il réussit en juin 1940, avec quelques camarades à échapper à l’armée allemande. Démobilisé à Villeveyrac (Hérault), il rejoignit Paris en août et reprit son travail à l’usine.
« Antifasciste et antistalinien », il ne prit pas part directe à la Résistance pendant l’occupation allemande, mais apporta, au sein de son entourage, une aide efficace à certaines victimes des persécutions raciales. Il fut très lié, pendant cette période avec Paul Delesalle et le resta, jusqu’à sa mort, avec sa femme Léona retirée à la Fondation Galignani.
Après la Seconde Guerre mondiale, Jean Prugnot adhéra à la CNT, puis à l’organisation autonome : la Fédération des techniciens ingénieurs, cadres et assimilés de la Métallurgie (FTICAM), enfin à la CGT. Très attiré par l’étude des sciences humaines et des traditions populaires, Prugnot avait suivi, pendant la guerre, les cours de l’Institut d’ethnologie de l’Université de Paris. Devenu un familier d’Arnold van Gennep, il collabora après 1945 aux revues que celui-ci avait fondées avec Henry Poulaille, puis aux revues publiées par ce dernier, notammet en 1954 à la revue de littérature prolétarienne Maintenant (Paris, 10 numéros, 1945-1948).
Venu à Paris pour voir Jean Maitron avec qui il collaborait au Dictionnaire des militants, il était pris d’hémorragies. Après un court repos, il rentrait en Alsace et décédait le 15 août 1980 à Haguenau (Bas-Rhin).
OEUVRE : Béton armé, Grasset, 1946. (autobiogr) — Avant-propos à Lettres de Georges Sorel à Paul Delesalle, Grasset, 1947. — Introduction à La Librairie du Travail de Marie-Christine Bardouillet, Maspero, 1977. — Collaboration au Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français.