Dictionnaire international des militants anarchistes
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Y’en a pas un sur cent… et pourtant des milliers d’hommes et de femmes de par le monde, souvent persécutés, embastillés, goulagisés et parfois au prix de leurs vies, ont poursuivi leur chevauchée anonyme à la recherche d’un impossible rêve : un monde sans dieux ni maîtres.

SPIELMANN, Victor

Né le 10 novembre 1866 à Bergheim (Haut-Rhin) — mort en 1938 — Commerçant ; cordonnier ; publiciste — Sétif & Alger
Article mis en ligne le 10 juillet 2020
dernière modification le 8 août 2024

par R.D.

Né le 10 novembre 1866 à Bergheim (Haut-Rhin) où son père était cordonnier, Victor Spielmann serait arrivé en Algérie en 1871 avec des exilés alsaciens. Sa famille s’installa à Bordj Bou Arreridj, gros bourg en bordure de la Kabylie et des hautes plaines de Sétif. Il se déclara lui-même par la suite « colon ruiné, fils de colon ruiné ». Il se peut que sa famille, ou lui-même, comme beaucoup d’autres, ait échoué dans une tentative d’établissement colonial. Le Progrès de Sétif du 7 février 1897 publia une annonce légale concernant une saisie immobilière contre Victor Spielmann ; il s’agissait d’une maison, d’un lot de jardin et d’un lot rural, le tout mis à prix à 4 000 F.

Victor Spielmann aurait ensuite mieux réussi comme commerçant en alimentation. La police notait qu’il exerça le métier de cordonnier puis se lança dans la représentation commerciale. En 1907, il était également secrétaire du syndicat d’initiative de Bordj Bou Arreridj.

Depuis 1897, Victor Spielmann se faisait connaître par son activité de journaliste dans la presse locale. Il fut d’abord secrétaire de rédaction du Morissane, journal de Bordj Bou Arreridj qui se définissait comme « organe des intérêts du parti français antijuif ». Spielmann apparaissait en effet comme le porte-parole du parti radical dans la région et collaborait à la presse radicale : La République de Constantine, Le Progrès de Sétif, L’Avenir de Sétif, Turco-Revue, Les Annales africaines. En 1902, il était délégué général pour l’Algérie de l’Œuvre pro-Boer ; en octobre, il prit l’initiative d’un groupement général ouvrier à Bordj Bou Arreridj qui établit la liaison avec la Bourse du Travail de Constantine. Son radicalisme évolua vers un extrémisme républicain anarchisant, défendant les petits contre les gros, à commencer par les petits colons, et dénonçant les scandales de la colonisation. En 1910, il fut « candidat de protestation » au conseil général ; il fut battu, mais en 1912, il fut élu conseiller municipal de Bordj Bou Arreridj.

Victor Spielmann collabora en 1911-1912 au journal de Constantine Le Cri de l’Algérie dont le rédacteur en chef était Gaston Vulpillères, défenseur des villageois du « village rouge » d’El Kantara contre l’administration, et lié à La Guerre sociale puis à La Bataille syndicaliste, et reproduisant notamment les articles de Vigné d’Octon (voir ce nom). La position de Spielmann et du Cri de l’Algérie était plus « anticolon » et anticapitaliste qu’anticoloniale. Elle ne remettait pas en cause la colonisation mais attaquait la spéculation et les spéculateurs, les exploiteurs, invoquant la lutte sociale contre les gros colons et les sociétés capitalistes (scandale des mines de l’Ouenza dénoncé par A. Merrheim) ; elle étendait la défense du petit colon à tous les « petits », aux « petits fellahs » considérés comme des « frères de malheur », et l’hostilité aux gros, aux « fédéraux » représentés par les grandes familles du Constantinois : les Bou Diaf, les Ben Diff, les Ben Gana. Elle critiquait aussi l’administration du « capitaliste » Jonnard, gouverneur général à l’époque. Cette presse et les articles de Spielmann dressaient le tableau de la misère du Sud Constantinois notamment. Face au mouvement « Jeune Algérien », l’attitude fut faite d’abord de méfiance devant ces « bourgeois francisés » et le journal fit campagne contre la conscription.

Mais Spielmann manifestait de plus en plus des tendances indigénophiles qui le firent collaborer aussi à la presse Jeune algérienne : Al Hilal (Le Croissant) d’Alger, et L’Islam de Bône qui lui consacra un article le 15 décembre 1910. Cette action en faveur des indigènes semblait élargir les initiatives sociales auxquelles se consacrait déjà Spielmann : bibliothèques populaires, sociétés de secours mutuels, section de l’orphelinat du peuple, etc. Elle se poursuivit pendant la Première Guerre mondiale et Spielmann devint trésorier du Comité algérien de secours aux indigènes.

En 1919, il quitta Bordj Bou Arreridj pour s’installer à Alger. Les rapports de police firent état de ses « bonnes affaires » bien qu’il ait été dit aussi être « joueur ». Il acheta une villa à Alger — Villa Francisco Ferrer, Avenue du Frais Vallon — tout en conservant à Bordj Bou Arreridj des immeubles estimés à 6 000 F. En tout cas, Spielmann paraissait surtout entreprendre à Alger une carrière de journalisme, voire une carrière politique. Il adhéra au Parti communiste, tout en participant à la Fraternité algérienne, le mouvement de l’Émir Khaled, poursuivant l’action des Jeunes Algériens et organisant ses campagnes en liaison avec les Jeunesses communistes ; il y avait souvent passage de l’un à l’autre mouvement. Il collabora ainsi à la fois au journal communiste La Lutte sociale, où il traitait de la question indigène, au journal de l’Émir Khaled, L’Ikdam, publié à Alger, et à L’Éveil de l’islam publié à Bône en 1923.

Cette même année 1923, il avait été nommé trésorier du Comité de secours aux indigènes, fondé à Alger le 2 février 1923, et présidé par Bentami pour porter assistance aux victimes ds intempéries et de la famine due à de mauvaises récoltes, situation qu’il dénonça dans les colonnes du Libertaire (13 avril 1923).

En juin 1923, Spielmann fonda un journal bimensuel, Le Trait d’union qui entendait être l’organe de la Fraternité algérienne, prit en charge les revendications algériennes (« La Libération des indigènes ne sera l’œuvre que des indigènes libérés eux-mêmes », 5 juin 1923) et travailla au « rapprochement des races ». Il tint à Alger une maison d’édition qui portait le nom du journal et publia notamment la conférence faite en juillet 1924 par l’Émir Khaled sous le titre : « La situation des Musulmans d’Algérie ». Il prit la parole à la réunion intercoloniale du 11 septembre 1924, salle de l’Utilité sociale à Paris (réunion vraisemblablement organisée par l’association paracommuniste de l’Union intercoloniale), comme « directeur du Trait d’union et membre de la Région algérienne du Parti communiste ». Lors de la répression de la campagne communiste contre la guerre du Rif, il fut poursuivi pour provocation de militaires à la désobéissance, puis acquitté. Alors que cette concordance aboutissait en France à la naissance de l’Étoile nord-africaine en 1926, en Algérie le Parti communiste semblait faire montre de sectarisme, et, sans que les causes fussent claires, il y eut rupture entre le mouvement du Trait d’union et Spielmann et la Région communiste d’Algérie.

Après son départ ou son exclusion du Parti communiste, il maintint sa maison d’édition et fonda en 1927 La Tribune indigène algérienne, publication mensuelle qui parut jusqu’en octobre 1928. Le 19 juillet 1928 son domicile du 6 rue Pirette avait été l’objet d’une perquisition où avaient été saisi divers titres de journaux anarchistes et d’avant-garde.

Il semble avoir conservé par la suite son attitude en faveur de la fraternisation des races. A partie de 1929 il collabora à La Voix libertaire, l’organe de l’Assocaition des anarchistes féféralstes (AFA) dont il était le correspondant pour l’Afrique du Nord et où il était plus particulièrement chargé de la question coloniale.

Au début des années 1930 il était le directeur des Éditions du Trait d’Union à Alger qui publia plusieurs brochures. Fon 1931 il était l’un des organisateurs du Comité de défense sociale d’Alger regroupant militants socialistes, libertaires et syndicalistes pour assurer la défense de Marguerite Aspes (voir ce nom) emprisonnée. Il fut en 1934 le secrétaire du Comité Francisco Ferrer de secours au peuple espagnol antifasciste dont le trésorier était Poignant. En 1936 il en était toujours le secrétaire au coté de Marcel Bataillon (trésorier).

Victor Spielmannl mourut en 1938 à Alger.

En juin 1939, le journal La Défense, qui continuait la tradition « Jeune Algérien » en l’infléchissant vers le réformisme musulman de l’Association des Oulémas, ouvrit une souscription pour éditer un recueil d’articles de Spielmann intitulé Pour l’émancipation du peuple indigène algérien, quarante ans de journalisme 1900-1938. L’ouvrage ne vit pas le jour.

OEUVRE : La colonisation algérienne et la question indigène, 1922. — Critique et commentaires de l’étude du problème de l’entente et de la coopération des races, 1923. — Les grands domaines nord-africains : cComment et pourquoi l’on colonise, 1928. — Le Centenaire du point de vue indigène, 1930. — L’Émir Khaled, son action politique et sociale en Algérie de 1920 à 1923, 1938 ; — Les événements de la Palestine (1930) ; — M’Sila Hodna, colonisation 1900-1922 ; — La question indigène ; — L’Expropriation des Ouled Dieb (1930 ?)


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