D’origine modeste — son père était charron de village — Francis Delaisi (parfois orthographié Delaisy) fit d’excellentes études à Laval puis alla au lycée à Rennes où il découvrit le socialisme et se lia d’amitié avec un répétiteur, Gustave Hervé. À la sortie du lycée, il adhéra au Parti ouvrier socialiste révolutionnaire (POSR) de Jean Allemane, et s’engagea dans la lutte dreyfusarde avec l’instituteur Francis Leray, traducteur de Kropotkine. C’est cet engagement qui lui valut, selon lui, d’être privé de sa bourse d’agrégation. Il échoua au concours de 1900 à 1902.
Abandonnant le professorat dans les lycées de l’Ouest, il gagna ensuite Paris où, « à force de travail », il se fit une « situation indépendante » dans la presse bourgeoise, se spécialisant dans les questions économiques et de politique étrangère. À partir de 1906, il collabora en parallèle à divers journaux révolutionnaires sous divers pseudonyme : Z à La Guerre sociale et à L’Action directe ; Crisis à La Révolution ; Cratès à La Vie ouvrière et aux Hommes du jour. Il collabora également à La Grande Revue et à Pages Libres, et à La Bataille syndicaliste à partir d’avril 1911.
Il publia dans La Guerre sociale d’importantes études sous forme de feuilletons. En 1910, dans « La démocratie et les financiers », il concluait que le parlementarisme était une mascarade, le vrai pouvoir revenant aux hommes d’argent. En 1911, dans « La guerre qui vient », il présentait les risques de guerre européenne comme résultant des tensions anglo-allemandes, et prédisait le risque le plus grand pour l’année 1914. En 1912, dans « Les maîtres de la France », il enquêtait sur les trusts capitalistes qui se partageaient les différents secteurs économiques.
Dans La Guerre sociale des 16 et 29 novembre 1910, sous le pseudonyme de Z, il ouvrit une polémique sur le financement originel de L’Humanité par des proches de Rothschild et par la Compagnie des agents de change de Paris. Dans le feu de la polémique, L’Humanité révéla la véritable identité de Delaisi, ce qui devait lui fermer les portes de la presse bourgeoise.
À partir de 1910, Francis Delaisi devint un conseiller écouté du secrétaire de la fédération CGT des Métaux, Alphonse Merrheim. Il semble qu’il ait alors usé des relations qu’il avait nouées dans les milieux économiques pour lui procurer des informations de première main. Les solides études et les monographies publiées à l’époque dans La Vie ouvrière et L’Union des métaux lui doivent beaucoup. Il contribua ainsi au développement d’une tendance « économiste » au sein de la CGT, insistant sur la nécessité d’une connaissance approfondie des milieux capitalistes avant d’établir une stratégie syndicale. Son ami Édouard Sené reprocha d’ailleurs au « Delaisisme » de refroidir les ardeurs révolutionnaires spontanées en soulignant trop la puissance de l’organisation patronale (« Le Delaisisme » dans Le Réveil anarchiste ouvrier du 15 mai 1913).
Francis Delaisi se rapprocha, à la même époque, de la Fédération révolutionnaire communiste (FRC). Dès mai 1911, il était annoncé à un meeting de la FRC en faveur de la Révolution mexicaine, aux côtés d’Hubert Beaulieu et de Victor Griffuelhes. À l’été 1911, suite à l’incident d’Agadir, il figura à la tribune de plusieurs meetings de la FRC contre la guerre. Jusqu’en 1914, on le vit ensuite régulièrement aux tribunes des meetings de l’organisation anarchiste.
Il ne semble pas que Francis Delaisi ait eu de penchants judéophobes, contrairement à ce que l’on a parfois écrit. Comme beaucoup de révolutionnaires déçus du dreyfusisme, il pensait certes que le capital était essentiellement détenu par deux fractions en état d’alliance conflictuelle, l’une juive, l’autre catholique, et que l’Affaire Dreyfus avait donné durablement l’avantage à la fraction juive. Mais après le meeting antimaçonnique et antisémite du 3 avril 1911 organisé par Émile Janvion, il réfuta cette croyance. Dans Les Hommes du jour, il donna un article drolatique, « Comment l’on ne devient pas antisémite » où il concluait : « Il n’y a ni capitalisme juif, ni capitalisme catholique. Il y a le capitalisme tout court. Le jour où nous leur ferons rendre gorge, nous ne leur demanderons pas quel genre de baptême ils ont reçu. »
En 1912, Delaisi désapprouva la « rectification de tir » de Gustave Hervé. Avec Pouget et Vigné d’Octon, il refusa de s’associer au manifeste du 8 mai 1912 annonçant que La Guerre sociale renonçait à l’antiparlementarisme. Au contraire, il participa très activement à la campagne abstentionniste conduite par la FRC à l’occasion des élections municipales. Membre du Comité révolutionnaire antiparlementaire, il rédigea une partie de sa propagande. En juin 1912, il fut membre du comité de parrainage et de la commission de contrôle de la caisse L’Entraide mise sur pied par la FRC (voir Édouard Lacourte).
Francis Delaisi rompit définitivement avec Hervé et La Guerre sociale en août 1912, et donna désormais exclusivement ses articles à La Bataille syndicaliste.
En mars 1913, Francis Delaisi perdit l’oreille de Merrheim et fut écarté aussi bien de La Vie ouvrière que de La Bataille syndicaliste. En janvier, il avait fait savoir à Merrheim et Monatte que certains milieux radicaux accepteraient volontiers de combler le déficit financier de La Bataille syndicaliste, sans doute en vue de maintenir en vie un quotidien ouvrier concurrent de L’Humanité, peut-être aussi pour œuvrer à un rapprochement des syndicalistes avec la tendance pacifiste de la bourgeoisie radicale (Joseph Caillaux). Merrheim avait fermement refusé ces financements « malpropres ». Delaisi avait néanmoins trouvé des voies détournées pour acheminer l’argent radical vers La Bataille syndicaliste. S’en apercevant, Merrheim et Monatte rompirent avec Delaisi.
En août 1913, il participa comme observateur au congrès anarchiste national. Dans Les Temps nouveaux du 23 août 1913 il donna son sentiment sur le débat sur le syndicalisme tenu au congrès et défendit la ligne confédérale de la CGT, dans laquelle il ne voyait nul « assagissement ». Il émettait le vœu « de voir cesser ces polémiques entre syndicalistes et anarchistes et de voir les deux mouvements marcher parallèlement chacun sur son terrain et avec ses méthodes particulières, sans que des militants qui s’estiment passent leur temps à se déchirer pour l’unique profit des politiciens dont l’infiltration est plus menaçante que jamais ». Il était domicilié à cette époque 6 Avenue de l’Observatoire.
A l’automne 1913, aux côtés notamment de Bidamant, Thuillier, Charles Doghe et Pierre Martin, il participait à la campagne pour la suppressin des Conseils de guerre et l’(amnistie des soldats emprisonnés.
Durant la guerre, Delaisi fonda et dirigea l’œuvre Les Orphelins de la guerre. Elle réunissait à Etretat 450 enfants selon une lettre qu’il adressa le 21 avril 1915 à Jean Grave (IFHS). Il lui disait consacrer alors ses loisirs à amasser des documents et à consigner ses observations : « À quoi bon tenter de parler à des sourds avec un bâillon sur la bouche », ajoutait-il. Et il précisait : « La crise actuelle ne m’a pas surpris, c’est sans doute pour cela qu’elle ne m’a [pas] changé ; comme tant d’autres. »
Sans doute à cause de sa campagne d’avant-guerre contre L’Humanité, Delaisi demeurait mal vu des socialistes SFIO mais il était resté en bons termes avec les syndicalistes de la CGT, notamment avec Léon Jouhaux, qui le consultait volontiers. Après l’armistice de novembre 1918, Francis Delaisi suivit la trajectoire de Léon Jouhaux et de la direction de la CGT. Il s’éloigna alors définitivement de l’anarchisme pour se rallier au réformisme syndical. Dans l’Entre-deux-guerres, il fut un des théoriciens du planisme.
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ŒUVRE : La Démocratie et les Financiers, Éditions de la Guerre sociale, Paris, 1911, 205 p. — La Guerre qui vient, Paris, 1911 — Contre la loi Millerand, Publication des Temps nouveaux, n° 60, 1912, 32 p. — Le Patriotisme des plaques blindées, Nîmes, 1913. — (Alphonse Merrheim et Francis Delaisi), La Métallurgie. Son origine et son développement. Les forces motrices, Paris, 1913, X-640 p. — Le Pétrole, 1921 — Les Contradictions du monde moderne, Payot, 1925 — Les Bases économiques des États-Unis d’Europe, 1926 — Les deux Europes, Payot, 1929 — La Bataille de l’Or, Payot, 1933 — La Banque de France aux mains des 200 familles, Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, 1936 — La Révolution européenne, Édition de la Toison d’or, Bruxelles, 1942 — L’Ouvrier européen, préface de Georges Albertini, Édition de l’Atelier, 1942 — Paradoxes économiques, préface de Georges Albertini, Éditions du RNP, 1943.