Dictionnaire international des militants anarchistes
Slogan du site
Descriptif du site
LEPIEZ, Leon, Auguste
Né au Havre le 8 mars 1870 – mort le 17 avril 1907 - Typographe - Le Havre - Guyane
Article mis en ligne le 12 octobre 2015
dernière modification le 7 mars 2024

par Dominique Petit, ps

Dès 1889, Léon Lepiez, dont le père était cordonnier et la mère marchande de poissons, entretenait des relations suivies dans le milieu anarchiste puisqu’il informait, dans La Révolte, les autres militants de sa nouvelle adresse, chez ses parents, au 6 rue Grouchy au Havre.
Fin 1888 ou début 1889, il aurait "outragé un adjudant du 129e de Ligne" mais l’affaire serait restée sans suite faute de preuves suffisantes.

Le Père Peinard du 30 novembre 1890 annonça qu’à la suite d’une soirée familiale organisée à propos de la pendaison des anarchistes de Chicago, les participants organisèrent une manifestation spontanée sur le boulevard, chantant la Carmagnole. La police voulut emmener au poste l’un des manifestants et une bagarre s’ensuivit, au cours de laquelle Lepiez fut mis en état d’arrestation et condamné le 18 décembre suivant à 3 mois de prison pour "coups à des agents", jugement confirmé en appel à Rouen. Il devait être libéré le 18 mars 1891.

Le 31 mars 1891, se tenait la première réunion d’un groupe de propagande dans les campagnes à la brasserie de la Loire, rue d’Etretat, Lepiez était le correspondant du groupe. Tiré au sort, il avait été ajourné du service militaire pour "faiblesse de constitution" et était qualifié par la police “d’anarchiste des plus violents”. Ses idées lui avaient fermé les portes des ateliers et il n’était même plus appelé à faire les remplacements qui se présentaient.

Le 14 juin 1891, la Coalition révolutionnaire havraise, dont il était avec Heudier l’un des animateurs, organisait une réunion publique dans la salle du Café du Progrès, place St Vincent pour discuter de la nécessité du groupement révolutionnaire et de la prétendue réforme des trois huit. On pouvait se procurer les cartes d’entrées chez Lépiez et Heudier.
Début juillet 1891, il animait une réunion avec Bisson et Heudier, au quartier François. Le commissaire présent les interpellait sur l’absence de bureau. Les anarchistes obtempérèrent en nommant président « le premier venu ».

Le 28 décembre 1891, il ne put accepter la gérance du journal Le Falot cherbourgeois, édité à Cherbourg par Lepsalier, puisqu’il était privé de ses droits civils pendant 5 ans, par contre il proposa de venir distribuer le journal et de faire les affichages.

Le 3 février 1892, lors d’un tirage au sort, il avait été surpris à distribuer aux jeunes gens sur la voie publique un écrit autographié intitulé Les anti-patriotes aux conscrits dont 2 ou 4 exemplaires furent retrouvés à son domicile ainsi qu’un carnet avec de nombreuses adresses de militants anarchistes de toute la France et de l’étranger, certains responsables de journaux anarchistes (L’Homme libre, Le Falot cherbourgeois, L’Attaque, La Révolte, L’En Dehors, Le Libertaire d’Alger) ou de militants en vue comme Martinet, Zévaco, Pouget.Sur ce carnet figurait également un décompte du coût de l’achat d’une certaine quantité de nitroglycérine et de nitrate d’ammoniaque. Avaient également été saisis une "adresse aux compagnons havrais", une "adresse aux ouvriers du port", une feuille manuscrite "pourquoi sommes nous anarchistes", une liste de souscription à L’Agitateur révolutionnaire du Havre, une lettre du compagnon A. Hastey (fils) et quelques fragments d’écrits que Lepiez avait jeté dans le feu au moment d’être fouillé. A cette même époque il était abonné au journal Le Falot (Cherbourg).

Fin février 1892, il avait envoyé à Darnaud à Foix, avec lequel il était en contact, un projet de manifeste intitulé La grève des conscrits.

Le 19 mars 1892, comme chez Bohler et Inglebert, une perquisition était effectuée à son domicile, la police y avait trouvé de l’encre d’imprimerie, mais, lorsqu’on lui avait demandé où se trouvait sa pierre ou sa machine à imprimer, il avait refusé de répondre. La police avait également saisi quelques exemplaires de la lettre de menaces suivante, destinée aux journaux locaux : “Mes chers vendus, je vous préviens que si vous continuez à déblatérer contre les anarchistes, que je ferais sauter votre boite ainsi que vos sales demeures. Vengeance”. Lepiez prétendit que cela lui avait été laissé par un camarade.

Le 26 avril 1892, le commissaire spécial du Havre, était informé que des anarchistes avaient l’intention de faire distribuer dans les casernes un manifeste aux soldats, leur démontrant que l’ouvrier n’a pas de patrie et leur recommandant de refuser au 1er mai de tirer sur leurs frères. Ce manifeste était autographié dans une imprimerie clandestine. Cette imprimerie se trouvait en fait 92 rue du Champ de Foire, où travaillait Lepiez.
Lepiez ignorait que le brouillon du manifeste qu’il avait montré à un compagnon se faisant appeler Cordier, commis-voyageur, était en réalité un agent de la sûreté nommé Marchand.
Dans la nuit du 26 au 27 avril, aux abords de la caserne du Havre, Lepiez afficha le placard incitant les militaires à la désobéissance. Il colla une vingtaine de placards Le Père Peinard au populo, à Sanvic. Ce fut en revenant au Havre, pour coller le reste qu’il fut arrêté dans la soirée du 28. La police saisit dans son lit, 90 exemplaires de l’affiche du Père Peinard qui devaient être collées au Havre.
Le même jour les anarchistes Bellin, Dodillon, Caron, Glaser, Vautier, Heudier et Goubot étaient également arrêtés.

Le 12 mai 1892, les gendarmes escortèrent Lepiez, de la prison au conseil de révision. Le préfet lui demanda si c’était bien lui qui, au moment du tirage au sort de la classe 1891, avait répandu un factum révolutionnaire destiné à détourner, les jeunes gens, de leur devoir envers leur patrie. Il lui répondit : « Mon écrit était antipatriotique. Je n’ai fait qu’accomplir un devoir, car je ne connais pas d’autre patrie que l’humanité. »

Le 4 juillet 1892, Lepiez, fut extrait de la prison du Havre et transférés à Rouen pour passer en cours d’assises. Le 26 juillet 1892, à l’audience, une compagnie du 24e de ligne occupait la Conciergerie ; 14 gendarmes étaient de service dans la salle et à la prison, enfin des agents de la sûreté occupaient des places dans l’auditoire.
Aux charges relevées contre lui Lepiez répondit qu’il n’avait pas à se défendre d’actes qu’en sa qualité d’anarchiste, il se glorifierait d’avoir commis et que lorsque le moment serait venu, il justifiera d’un alibi. Le président donna lecture du manifeste distribué aux soldats : « On vous a arrachés à vos travaux pour vous revêtir de la tunique infâme. Souvenez-vous que les ouvriers n’ont pas de patrie, parce qu’ils n’ont rien à défendre… Si, au 1er mai, la bourgeoisie apeurée vous ordonne de tirer sur nous comme l’année dernière à Fourmies, refusez. ». Ce manifeste était signé « un groupe d’anarchistes havrais ».
Lepiez reconnut être l’auteur du manifeste. Il déclara à propos de l’agent de la sûreté qui lui avait donné de l’argent : « Je ne peux pas dire que Marchand m’a poussé, mais il m’a aidé ; j’ai bien vu tout de suite qu’il était un mouchard, mais… j’ai accepté l’absinthe et l’argent, car je voulais le garder pour utiliser les fonds qu’il me fournissait ; c’est avec ça que j’ai fait imprimer mes placards ».
Quand à l’affiche du Père Peinard, le passage incriminé était le suivant : « Peuple, si tu veux être heureux, il faut que tu reprennes tous les biens que les bourgeois t’ont volés, et ce n’est que par la révolution que nous arriverons, c’est pour cela que nous disons : ne vote pas, révolte-toi ». L’affiche fut considérée par le tribunal comme un appel au meurtre.
Lepiez était en outre accusé avec deux co-inculpés Lapointe et Paridaen, d’avoir commis un vol chez M. Ernst le 4 janvier 1892 au hameau de la Croix-Blanche à Bléville et d’une tentative d’incendie. Lepiez nia sa participation, lors de l’audience il fournit un alibi : au moment du vol, il était chez Mme Fraisune commerçante mais le témoignage fut mis en cause par le président car il n’avait pas été présenté lors de l’instruction.
Me Jennequin l’avocat de Lepiez plaida l’acquittement, la participation de Lepiez au vol et à l’incendie ne reposant que sur l’accusation de Lapointe, quant aux placards anarchistes, il insista sur le rôle de la police dans l’affaire, pour faciliter la publication des affiches : « Ces écrits avaient été provoqués par le policier Marchand, et les moyens de les produire en ont été fournis à Lepiez par les subsides en argent donnés par cet agent de police et qui provenaient des fonds secrets ».
Quant à Lepiez, la plaidoirie de son avocat terminée, il déclara : « Quelque soit le verdict, je suis et je resterai anarchiste ».

Après une heure et demie de délibéré Lepiez, Lapointe et Paridaen étaient reconnus coupable du vol et de la tentative d’incendie chez M. Ernst. Lepiez fut en plus, jugé coupable de provocation à la désobéissance et d’injures à l’armée, l’excitation au pillage étant écartée.
Lepiez et Paridaen furent condamnés à 10 ans de travaux forcés et Lapointe à 8 ans. A l’énoncé du verdict, Lepiez, se tournant vers le fond de la salle, pendant que les gendarmes l’emmenaient, s’écria : « Vous qui restez, du courage ! … »
Dans la voiture cellulaire qui les ramenait à la prison, les trois condamnés continuèrent à crier à pleins poumons : « Vive l’anarchie ! ».

Cette affaire du Havre eut un rebondissement tragique à Saint-Denis où Chapuillot et Meyruels assassinèrent Bisson, l’un des compagnons anarchiste du Havre, accusé d’avoir livré à la police Lepiez, Lapointe et Paridaen.

Lepiez purgea sa peine au bagne de Guyane (matricule 25741).

Les 22 et 23 octobre 1894, des bagnards anarchistes, participèrent à une révolte à l’Ile Saint-Joseph, bien que n’y ayant pas participé, sa case fut saisie. Il fut ligoté et jeté au cachot, subissant de mauvais traitements. Puis on le transféra avec d’autres prévenus à Cayenne, pour comparaître devant le tribunal spécial maritime où il fut acquitté.
Après le procès, tous les anarchistes furent regroupés à part, dans une case sur l’Ile Saint-Joseph.
Atteint semble-t-il de dysenterie, en même temps que Paridaen, il fut hospitalisé. Ce fut l’occasion pour eux d’y rencontrer Clément Duval. Paridaen fut vivement rétabli mais Lepiez, de constitution plus délicate ne put jamais guérir totalement et fut toujours maladif, ce qui lui créa beaucoup de problèmes avec les surveillants. Mais selon Duval « dans toutes circonstances il fut toujours très digne, sut faire respecter ses idées ».
Lepiez sortit de l’hôpital retourna à l’Ile Saint-Joseph, travailla à traîner une brouette, un travail au-dessus de ses forces, mais trop fier pour se plaindre, continua jusqu’à l’épuisement. Après un nouveau séjour à l’hôpital pour 3 semaines, il revenait sur le chantier aussi faible. Finalement on lui donna un travail un peu moins pénible.

Il fut libéré le 1er septembre 1902, deux jours plus tard, on l’avertissait que le président de la république lui avait fait grâce du restant de sa peine !
Mais sa peine ayant dépassé 8 ans, il était astreint à la relégation perpétuelle en Guyane. En novembre, son avocat publia un article dans le Progrès du Havre pour demander que la grâce présidentielle soit étendue à la relégation.
Mais rien n’y fit Le Journal officiel de la Guyane publia son avis de décès le 17 avril 1907.


Dans la même rubrique

LEONARD, Emerand, Louis
le 14 juin 2023
par R.D. ,
Dominique Petit
LEMOIGNE (ou LE MOIGN), Jean
le 15 décembre 2020
par R.D.
LEMOS NUÑEZ, José
le 8 mai 2020
par R.D.
LEMAIRE, Claude
le 16 février 2020
par R.D.
LEMANCEAU, Elie
le 18 novembre 2019
par R.D.