Instituteur dans une école primaire de la province de Zélande, Christian Cornélissen collabore dès la fin des années 1880 à Recht voor Allen, le périodique officiel de la Sociaal-Democratische Bond, dont il devient en 1891 un des principaux militants aux côtés de Ferdinand Domela Nieuwenhuis (il est membre du comité central et responsable du secrétariat international de la SDB). Après l’éclatement de la SDB en 1894 et la formation du parti social-démocrate hollandais (Sociaal-Democratische Arbeiders Partij, SDAP), il s’investit dans la révolutionnaire Socialistenbond.
C’est en qualité d’envoyé spécial de Recht voor Allen et de délégué de l’Union syndicale des cheminots hollandais qu’il assiste en 1891 au Congrès de Bruxelles de la Seconde Internationale, où il participe à l’élaboration d’une motion antimilitariste soutenue par l’extrême-gauche du congrès.
En 1893, Cornélissen fut un des fondateurs de la centrale syndicale hollandaise Nationaal-Arbeid-Secretariaat (NAS), fortement influencée par le syndicalisme révolutionnaire français. La même année, il avait fait la connaissance de Fernand Pelloutier au Congrès de Zurich de la Seconde Internationale, au cours duquel il se solidarisa avec les anarchistes expulsés des séances du congrès. En 1895 il avait été poursuivi devant les assises de Liège pour « affiliation à une association de malfaiteurs ». Ses contacts avec les militants anti-autoritaires lui permirent d’organiser une stratégie de riposte en vue de l’expulsion probable des anarchistes au Congrès de Londres de l’Internationale en 1896.
Les 25 et 26 décembre 1897, il participa au congrès tenu par les socialistes révolutionnaires hollandais, à la veille duquel il avait, aux cotés de Domela Nieuwenhuis, été l’orateur de la conférence “Que veulent les socialistes révolutionnaires ?”.
La décomposition de la Socialistenbond face à la montée en puissance des sociaux-démocrates ainsi que ses rapports de plus en plus tendus avec Domela Nieuwenhuis poussa Cornélissen à s’établir à Paris au printemps 1898. Il restera cependant toujours en contact avec les milieux révolutionnaires hollandais, collaborant au Volksblad, le quotidien de tendance syndicaliste révolutionnaire et à divers périodiques anarchistes.
En France, Cornélissen reprit contact avec les principaux militants anarchistes et syndicalistes qu’il avait rencontré dans les congrès internationaux. Il participa aux activités du groupe anarchiste des ESRI (Etudiants socialistes révolutionnaires internationalistes), notamment lors de la préparation du congrès international antiparlementaire qui devait se tenir à Paris en septembre 1900, mais qui fut interdit et fut l’auteur du rapport “Sur la nécessité d’établir une entente durable entre les groupes anarchistes et communistes révolutionnaires” (les communications prévues furent cependant publiées dans le Supplément littéraire des Temps nouveaux). Dans Les Temps nouveaux (17, 24 & 31 août 1901) il fut également l’auteur d’une étude sur « Le mouvement communiste en Hollande ».
Très discret dans ces activités organisationnelles par crainte de l’expulsion, Cornélissen fit preuve d’une activité journalistique importante. Sa connaissance de l’anglais et de l’allemand en plus du français et du néerlandais le firent utiliser par la CGT pour servir d’interprète à de nombreuses reprises. Il collabora au Libertaire et aux Temps nouveaux ainsi qu’à La Voix du peuple et tint la rubrique internationale de La Bataille syndicaliste (il signait souvent ses articles sous le pseudonyme de Rupert, en référence au nom de sa femme Lilian Rupertus). Inscrit au carnet B, Cornélissen ne put obtenir sa naturalisation française car la Sûreté bloqua le décret que son ami Métin, devenu ministre, avait soutenu.
Selon la police il était membre en 1910 de la Fédération Communiste Révolutionnaire et de l’organisation de Combat (groupe d’autodéfense). D’autre part, toujours selon la police, le 29 novembre 1910, il aurait écrit à l’ambassadeur du Japon à Paris pour le menacer « d’une agitation au cas où on exécuterait des anarchistes condamnés au Japon pour attentat contre la vie de l’Empereur ». Il habitait alors 38 rue de Sèvres à Clamart.
De par ses liaisons avec le mouvement libertaire hollandais, Cornélissen fut une des chevilles ouvrières de la préparation du congrès anarchiste international qui eut lieu en 1907 à Amsterdam. A cette occasion, il organisa une rencontre entre syndicalistes libertaires afin de les persuader de systématiser les liaisons internationales entre les mouvements se réclamant de cette tendance. A l’issue de ce congrès, il édita et rédigea pratiquement seul un Bulletin international du mouvement syndicaliste (Clamart, 335 numéros, 8 septembre 1907- 15 mars 1914) qui reste une mine d’information sur cette mouvance internationale, titre repris ensuite par Th. A Markmann (Amsterdam, 18 numéros d’avril 1914 à janvier 1915). Il joua également un rôle central dans la préparation du congrès syndicaliste révolutionnaire international de Londres de 1913. C’est à cette occasion qu’il s’opposa à Monatte et à l’équipe de la Vie ouvrière, qui refusaient d’envisager la constitution d’une Internationale syndicaliste révolutionnaire venant directement concurrencer le Secrétariat des centrales réformistes dirigé de Berlin par Carl Legien. Le congrès de Londres de 1913 impulsa une dynamique qui aboutira en 1922 à la fondation de l’AIT de Berlin (anarcho-syndicaliste).
En 1914, Cornélissen s’engagea avec passion dans le soutien à l’Union sacrée, développant dans plusieurs brochures des arguments anti-allemands qui l’isolèrent des milieux libertaires. Après la guerre, bien que fidèle jusqu’à la fin de sa vie à ses convictions syndicalistes révolutionnaires, il s’investit plus particulièrement dans son activité scientifique.
Cornélissen s’intéressa très tôt aux questions économiques. Il lut dès la fin des année 1880 les œuvres de Marx, d’Engels et des grands théoriciens socialistes mais également les économistes classiques. En 1891, il prépara la première traduction hollandaise du Manifeste communiste. Mais c’est avec sa venue à Paris en 1898 qu’il se mit à fréquenter les grandes bibliothèques parisiennes. Désireux de réfuter la théorie de la valeur des économistes classiques mais également de Marx, il en vint à élaborer une théorie inductive du salaire qui lui valut une renommée internationale. Ces recherches aboutirent en 1903 à la publication de sa Théorie de la valeur, qui fut poursuivie par l’élaboration de son Traité général de science économique dont l’édition s’étala jusqu’en 1944.
Cornelissen est décédé à Domme (France) en 1942.
Collaborations : Recht voor Allen, Volksblad, la Société nouvelle, l’Humanité nouvelle, les Temps nouveaux, la Voix du peuple, la Bataille syndicaliste, la Vie ouvrière, le Mouvement socialiste, Revue des idées, Archiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik, Orto, etc.
Œuvres : Clemens, Kritiek van een Radicaal op Karl Marx, La Haye, Liebers, 1891. Les diverses tendances du parti ouvrier international. A propos de l’ordre du jour du Congrès international ouvrier socialiste de Zürich (1893), Bruxelles, éd. de la Société nouvelle, 1893, 23 p. Le communisme révolutionnaire. Projet pour une entente et pour l’action commune des socialistes révolutionnaires et des communistes anarchistes, Bruxelles, éd. de la Société nouvelle, 1896, 53 p. Ed. hollandaise : Amsterdam, Oudkerk, 1897 et sous le titre Revolutionair Kommunistisch Manifest, Amsterdam, Boer, 1905. En marche vers la société nouvelle. Principes, tendances, tactique de la lutte de classes, Paris, Stock, 1900, coll. Bibliothèque sociologique n° 29 ”, 321 p. (trad. hollandaise en 1902, portugaise en 1908, espagnole en 1909). Christiaan Cornelissen, Directe actie-zelf doen, Amsterdam, Wink, 1904. Bulletin international du mouvement syndicaliste, Paris, 1907-1914, 336 numéros. Uber die Evolution des Anarchismus, Tubingen, Moww, 1908. Les dessous économiques de la guerre. Les appétits allemands et les devoirs de l’Europe occidentale, préf. de Charles Andler, Paris-Nancy, Berger-Levrault, 1915. Les conséquences économiques d’une paix allemande, Paris, Berger-Levrault, 1918. Über die theoretischen und wirtschaftlichen Grundlagen des Syndikalismus, Leipzig, Verlag von C. L. Hirschfeld, 1926, pp. 63-81 (Forschungen zur Völkerpsychologie und Soziologie, Band II : Partei und Klasse im Lebensprozek der Gesellschaft, 1926). Les générations nouvelles. Essai d’une éthique moderne, Paris, Mercure de France, 1935, 382 p. Théorie du salaire et du travail salarié, Paris, Giard et Brière, 1908, 704 p. (Bibliothèque internationale d’économie politique). Théorie de la valeur. Avec une réfutation des théories de Rodbertus, Karl Marx, Stanley Jevons et Boehm-Bawerk, Paris, Giard et Brière, 1913, 2e éd. entièrement revue, 480 p. (Bibliothèque internationale d’économie politique). Traité général de science économique, Paris, Marcel Giard, 1926- (Bibliothèque internationale d’économie politique). Tome 1 : Théorie de la valeur avec une réfutation des théories de Rodbertus et Karl Marx, Walras, Stanley Jevons et Boehm-Bawerk, 2e éd. réimprimée, 1926, XI-476 p. Tome 2 : Théorie du salaire et du travail salarié, 1933, 2e éd. entièrement revue, 724 p. Tome 3 : Théorie du capital et du profit, 1926, 2 vol., 466-662 p. Tome 4 : Théorie de la rente foncière et du prix des terres, 1930, 380 p. El communismo libertario y el régimen de transicion, trad. E. Muniz, Valencia, Biblioteca Orto, 1933. Les générations nouvelles. Essai d’éthique moderne, Paris, Mercure de France, 1935.
Anthony Lorry http://www.pelloutier.net/glossaire/detail.php?id=2