Dictionnaire international des militants anarchistes
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BERNARD, Paul, Auguste
Né le 26 décembre 1861 à Crest (Drôme) - Ouvrier boulanger ; galochier - Lyon (Rhône) - Genève - Barcelone (Catalogne) - Tannay (Nièvre) - Tours
Article mis en ligne le 28 novembre 2006
dernière modification le 8 mars 2024

par R.D.

Orphelin à l’âge de deux ans, Paul Bernard, qui était le frère utérin d’ Auguste Jeannet, connut une enfance difficile. Ouvrier boulanger à Lyon, il fonda un syndicat, puis accomplit son service militaire au 87e de Ligne à Cosne-sur-Loire (Nièvre). Passé sergent, il sera cassé de son grade, plus tard, au cours d’une période militaire. Il se maria avec une jeune fille de Pouilly-sur-Loire (Nièvre) dont il eut deux enfants, dont l’un fut élevé par Thuriot ; sa femme mourut quelques années plus tard et il se remaria avec la fille d’un charpentier de Tannay (Nièvre) dont il eut plusieurs enfants.

Revenu à Lyon à la fin des années 1880, il fut domicilié successivement 21 rue de la Part Dieu, 267 rue Duguesclin 62 rue Sébastien Gryphe d’où il fut congédié en juillet 1889 pour non paiement de loyer et 91 Grande rue de la Guillotière où il tint le Comptoir La Quille où se tenaient les réunions anarchistes et s’organisaient les manifestations. Il résida également rue Montesquieu chez l’ouvrier confiseur Durand, 10 rue Saint-Lazare dont il fut congédié après avoir notamment arboré le 14 juillet 1891 sur la façade des drapeaux noir et rouge, puis à partir de septembre 1891 rue de l’Hospice des Vieillards.

Bernard, qui était marié et père de deux enfants, fut un compagnon d’Octave Jahn - qui demeurait chez lui 17 rue de l’Hospice des Vieillards - dont il partagea l’activité tumultueuse et, avec Ernest Nahon, il prit une part importante à l’organisation d’un congrès régional de tous les groupes anarchistes de la région de l’Est dont Jahn avait pris l’initiative et dont l’ordre du jour, outre la grève générale et l’entrée des anarchistes dans les syndicats, prévoyait la formation d’une Fédération des ouvriers. Le congrès qui s’ouvrit à Lyon le 1er novembre 1890 au café Marcellin en présence de 150 délégués fut interrompu le lendemain par la police qui arrêta cinq des délégués. Poursuivi ainsi que Jahn pour avoir refusé de constituer un bureau lors du meeting du 31 octobre, tenu salle Rivière, qui précéda le congrès, Bernard, condamné à 5 jours de prison et 50 fr. d’amende, réussit à s’échapper et à gagner la Suisse dont il fut expulsé le 15 décembre 1890 avec Lucien Weil, les italiens Luiggi Galleani, Petraroja et Giuseppe H. Rovigo et le bulgare Stojanov Peraskiev ; tous avaient participé à la diffusion le 10 novembre du placard trilingue Souvenons nous rappelant les 5 martyrs anarchistes de Chicago (voir Petraroja). Selon la police suisse il aurait collaboré sous le nom de P. Vengeance au journal L’Émancipaation (Lyon) et sous la signature Initiative individuelle de Genève à La Révolte. Il se serait ensuite rendu en Italie où sa femme et ses enfants devaient le rejoindre à Milan et où il aurait été arrêté à Côme.

Le 22 novembre 1890, suite à une conférence tenue à Roanne le 11 octobre précédent, il était poursuivi avec Colas et Jahn, et condamné comme eux par contumace à un an de prison et 100 f. d’amende par la Cour d’assises du Rhône pour “provocation directe non suivie d’effets aux crimes de meurtre, assassinat, pillage et d’incendie et de provocation à des militaires pour les détourner de leurs devoirs”. Lors de cette réunion tenue devant environ 600 personnes à l salle de Venise, il avait notamment déclaré : “… Il ne faut pas que les travailleurs éprouvent le moindre scrupule à voler et à tuer un bourgeois… Souvenez vous que plutôt que de déposer un bulletin de vote dans l’urne, il vaudrait mieux y mettre une cartouche de dynamite parce que celle ci aurait un effet immédiat”.

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Puis il se réfugia en Espagne où à Barcelone il était en 1891 le responsable de la partie française du journal El Porvenir Anarquista (n°1, 15 novembre à n°2, 20 décembre 1891 & un supplément). Le journal rédigé en trois langues (espagnol, français et italien) était tiré à 4.000 exemplaires et dirigé par l’anarchiste italien Paolo Schicchi. Il participait à cette époque aux conférences organisées par le groupe de langue française Les Vagabonds cosmopolites dont Ardisson était l’un des animateurs.

Il y a sans doute identité avec l’ouvrier serrurier Paul Bernard qui, en octobre 1891, avait été arrêté calle de la Estrella à Barcelone par la police venue appréhender Antoine Charreyre et Ravachol, recherchés en France.

Le 9 février 1892, suite à un attentat à la bombe Plaza Real, il fut arrêté avec une cinquantaine de compagnons - dont Paolo Schicchi - et avec sa compagne enceinte, qui devait décédée le 5 avril des suites des mauvais traitements subis. Lors de son arrestation la police aurait trouvé à son domicile deux cartouches de dynamite. Depuis la prison de Barcelone, il avait fait parvenir à la fin novembre une lettre où on pouvait lire : “… Il serait grand temps d’en finir avec cette odieuse comédie où se joue, non seulement notre liberté mais notre santé et la vie de ceux que nous aimons. Déjà, malgré nos précautions préventives, la gale nous dévore, les ulcères déchirent nos chairs tandis que la vermine fouille nos plaies ; nos nuits sont des nuits de tourments et d’insomnies absolument à cet enfer décrit par les écrivassiers cléricaux ; nos tortures deviennent chaque jour plus insupportables et nous n’osons plus tendre la main aux amis qui nous viennent voir. Si c’est avec de pareilles monstruosités que les bourgeois espèrent désarmer notre haine et nous convaincre des bonnes qualités de leur justice, nous les plaignions… Nous ne demandons pas plus de clémence que nous n’en accorderions à ces gens-là dans un moment de lutte, mais puisqu’ils prétendent à la justice, qu’ils l’appliquent. Nous ne demandons rien de plus". (cf. La Révolte, 23 décembre 1892)
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Il revint clandestinement en France vers la fin décembre 1892, fut jugé sur appel de sa première condamnation et vit la peine de trois ans dont il avait été frappé ramenée à dix mois de prison ; il en effectua la moitié, puis bénéficia d’une amnistie. À sa sortie de la Centrale de Fontevrault, il revint dans la Nièvre.

En 1893, à l’aide de capitaux fournis en grande partie par un cousin avoué à Largentière (Ardèche), il s’associa avec un nommé Guyard pour fonder une petite fabrique d’outils de sabotiers et de galochiers au moulin de Vesves, à Tannay ; la fabrique employait cinq ou six ouvriers ; y vint aussi Jean-Baptiste Thuriault (Thuriot à l’état-civil) lui aussi militant « anarchiste » et qui occupa les fonctions de chef de fabrication.

Le moulin de Vesves (ou mieux, pour les autorités, « le groupe de Tannay ») devint vite le point d’attraction numéro un pour les autorités qui y voyaient le « foyer d’anarchisme » du département. La personnalité de Bernard, son passé et celui de Jean-Baptiste Thuriault qui leur valaient la réputation d’être « nettement partisans de la propagande par le fait », leurs lectures (Le Libertaire et La Sociale), les bruits qui couraient sur les prétendues opinions de leurs ouvriers, leurs rapports avec des militants comme Gauthé et Barage, contribuèrent à cette méfiance ; elle fut encore accentuée par les ragots (Bernard renvoyant un ouvrier qui aurait salué les gendarmes) colportés par l’associé Guyard, en mauvais termes avec Bernard au point qu’il se mit au service des autorités pour jouer les indicateurs. Aussi Bernard et J.-B. Thuriault étaient-ils, aux yeux des autorités, « deux anarchistes des plus dangereux, capables de tout et prêts à toutes les besognes ».

Arrêté à Paris le 1er février 1894, il fit opposition aux jugements de la cour d’assises du Rhône (2 ans de prison en 1890) et de celle de la Loire (1 an de prison en 1890). Le 12 mars 1894, en appel, la cour d’assises de la Loire le condamna à 1 an de prison et 100 francs d’amende, sans circonstances atténuantes pour "provocation directe de crimes de meurtre, pillage et incendie".

P. Bernard fut à nouveau inquiété par la police et comparut au « procès des Trente » en août 1894. Il fut libéré après le verdict d’acquittement général.

Ces poursuites et la réputation qui était faite aux associés compromirent l’entreprise et, après une période de prospérité (avec de nombreuses commandes de toute la France et même de l’étranger), les affaires subirent les contrecoups de cette méfiance ; l’usine dut fermer et, en juillet 1896, Bernard alla s’établir à Cravant (Yonne) où il ouvrit une nouvelle fabrique avec, en grande partie, le même personnel ; il y fit faillite en 1899.

Les portraits « officiels » de Bernard, à cette époque, sont assez contradictoires : ceux reposant sur l’information Guyard sont particulièrement noirs : « C’est un homme parfaitement dangereux […]. Bien vivre, se promener, en un mot faire le propriétaire et partant ne pas travailler tel est son procédé ». On le prétend dur avec les ouvriers et détesté par eux (rapport du 8 avril 1896).

Mais, d’autres notes officielles de la même époque sont plus nuancées : « Assurer les gens à lui et en faire des amis, ou les perdre s’ils ne se soumettent pas à ses idées » (12 avril 1896). « Intelligent, énergique et résolu, nettement partisan de la propagande pour le fait » (20 septembre 1896) ; ou encore, du commissaire spécial de Nevers, le 21 octobre 1901 : « Homme très intelligent, ouvrier habile, ayant en politique des connaissances assez étendues » ; « intelligent, beau parleur, propagandiste” ; “très intelligent, sait se faire écouter ».

La faillite de Cravant ramena Bernard dans la Nièvre avec sa femme et ses quatre enfants ; Nevers fut la première étape ; il s’y lia à Combemorel et aux collaborateurs de l’Observateur du Centre, journal de la fédération socialiste de la Nièvre, mais ne trouva pas de travail et connut la misère.

Le commissaire spécial, contre, semble-t-il, la promesse de renoncer à l’action politique et syndicale, le fit alors embaucher comme ouvrier tourneur à l’usine Commentry-Fourchambault (mai 1900), bien qu’il le tînt encore pour un « irréductible qui devrait être l’objet d’une surveillance constante ». Bernard tenta alors de remettre sur pied le syndicat local des ouvriers métallurgistes, considéré comme « inexistant » ; il envisagea même la mise sur pied de cours professionnels (il y enseignerait le dessin) et, dans ce but, demanda une subvention au ministère du Commerce. Sa personnalité entraîna un avis défavorable de la part des autorités nivernaises ; on craignait son influence dans une localité où existait « une population laborieuse trop facilement instable ».

Sur ces entrefaites, en juillet 1901, l’usine Commentry-Fourchambault étant liquidée, Bernard, au nombre des ouvriers renvoyés, organisa des réunions de protestation au cours desquelles il attaqua la société Commentry-Fourchambault et fit paraître dans La Voix du Peuple de violents articles contre la société et le maire de la localité ; parallèlement il entama un procès contre l’entreprise pour obtenir une indemnité ; il entretint aussi des contacts avec le conseiller général du canton (Pougues-les-Eaux), le radical Serrus et avec le député, autre radical, Massé, « qui redoutent son influence » et qu’il combattait jusqu’alors.

En octobre 1901, il quitta Fourchambault avec sa famille, pour Tours ; il devait y représenter la Cie d’assurances-accidents l’Éternelle ; cette place lui fut procurée par le conseiller général Serrus, inspecteur de plusieurs compagnies d’assurances.

Le même Serrus intervint auprès du commissaire spécial de Nevers pour que Bernard ne soit pas signalé à Tours (toujours par crainte de la perte de l’emploi), ajoutant que celui-ci lui avait promis « de ne plus faire de politique » et que lui, Serrus, « était bien trop heureux de l’avoir fait partir de Fourchambault ». Vaines démarches puisque le préfet recommanda Bernard à son collègue de Tours en ces termes : « Il a toujours été considéré comme dangereux et s’il semble moins violent que par le passé, c’est qu’il a été aux prises avec la misère, que ses idées lui ont aliéné bien des sympathies et qu’enfin la prudence lui a conseillé le calme et la dissimulation… Il n’en reste pas moins un apôtre fervent de l’anarchie si les circonstances étaient favorables et d’autant plus dangereux qu’il ne manque pas d’intelligence et sait se faire écouter par les ouvriers ».

La Cie d’assurances le congédia naturellement quelques mois plus tard ; il revint à Fourchambault où, poussé par la misère, il aurait même fait des offres de service au commissaire spécial ; quoi qu’il en soit, les élections législatives de 1902 le virent agent électoral du radical Massé « qui lui donna 300 f environ et lui aurait fait allouer certaines sommes par le ministre de l’Intérieur ». Massé fit alors employer Bernard dans les ateliers de son beau-frère Vermorel, industriel à Villefranche-sur-Saône (Rhône) et Bernard quitta la Nièvre fin avril 1903. Mais il semble bien qu’il continua à figurer sur les listes d’anarchistes à surveiller.

Est ce lui ou Joseph Bernard qui en 1885, selon la police, avait comme pseudonyme Corneille ?


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