Né dans une famille ouvrière, Maurice Charron avait commencé à travailler très tôt après avoir obtenu son brevet élémentaire. Fréquentant la Bourse du travail de Chateauroux, il devint au début des années 1910 un propagandiste anarchiste individualiste mais aussi syndicaliste puisqu’il était en 1913 l’un des animateurs des jeunesses syndicalistes locales formées, semble — t-il, surtout pour obtenir un local de réunion. Ce groupe de jeunesses organisa des conférences contre la guerre aux Balkans, mena une importante campagne antiparlementaire (1914) et publia au moins deux brochures : L’impôt progressif sur le revenu digné Le Termite et Le mirage patriotique de. Maurice Charron.
Il distribuait alors les journaux d’E. Armand Hors du troupeau (1911-1912) et Les Réfractaires (1912-1914) et collaborait sous le pseudonyme de Pierre Chardon à L’Anarchie. Il s’était marié en 1914 avec l’institutrice Jeanne Lemoine qui lui apportera une aide précieuse jusqu’à son décès de la grippe espagnole en 1918.
En août 1914, il ne se présenta pas à la commission de réforme et fut incorporé d’office avant d’être réformé 20 jours plus tard pour « faible constitution ». Antimilitariste convaincu, il s’opposa aux anarchistes ralliés à l’union sacrée et publia la brochure « Les anarchistes et la guerre : deux attitudes » (1915) et en 1916 fit une tournée de conférences contre la guerre dans toute la région (Tours, Bourges, Chateauroux, Chatellerault, etc). Début janvier 1916 il avait adressé à Charles Benoit du groupe des Temps nouveaux une longue lettre contre signée par la Jeunesse syndicaliste de Chateauroux, par Téty de Limoges et de nombreux compagnons de la Fédération anarchiste du centre, où l’on pouvait lire : « Que vous vous occupiez d’adoucir les rigueurs de l’heure présente aux camarades que le militarisme a happés, nous le comprenons, mais qu’à cette occasion vous éprouviez le besoin de vous solidariser avec vos ennemis d’hier, les gouvernants français, voilà ce que nous ne pouvons admettre. Antipatriotes, antimilitaristes en temps de paix, vous voila donc devenus patriotes et militaristes ; internationalistes d’hier, vous êtes maintenant convaincus que la défense nationale est une œuvre pie à laquelle nous devons collaborer avec enthousiasme… Nous ne pouvons pas vous suivre dans cette évolution qui atteste la fragilité de vos idées, car c’est dans l’épreuve que s’affirme les convictions… Nous sommes avec Romain Rolland… Nous sommes avec Bertoni, réduisant à néant les fausses justifications que vous invoquez nous sommes avec Malatesta, avec Emma Goldman, avec Domela Nieuvenhuis, en un mot avec tous ceux qui ont conservé intact l’intégrité de la pensée anarchiste dans la tourmente actuelle. Nous n’ignorons pas que vous allez nous traiter de doctrinaires parce que nous affirmons notre fidélité aux principes qui hier encore étaient les vôtres… Des nôtres sont partis, mais ils n’ont pas justifié leur attitude par des sophismes. Ils se sont soumis à la force, mais ne l’ont pas légitimée ; le militarisme a pu prendre leur corps, il n’a pu conquérir leur pensée… C’est pourquoi nous ne choisirons pas entre le succès des Alliés et celui de l’Allemagne. Nous considérons le résultat, quel qu’il soit, comme un désastre universel pour la pensée humaine et pour l’avenir de nos idées. Demain nous reprendrons la tâche de propagande pour laquelle vos brusques revirements vous ont disqualifié… Quant à nous, jeunes et vieux, mobilisé ou non, nous somme et nous resterons des antimilitaristes, des antipatriotes, des ennemis de la maîtrise, réfractaires aux préjugés sociaux et aux solidarités imposées. Nous serons en pensée et en fait le plus possible ce que vous n’êtes plus, ce que vous ne pouvez plus être sérieusement… des anarchistes » (cf. APpo BA 1499)
Grâce à une petite imprimerie clandestine montée chez lui à Déols il édita plusieurs tracts et brochures dont « La Guerre » (août 1916) et le numéro unique de Le Semeur (juin 1916) soi-disant imprimé à Genève et auquel collaborèrent Eugène Bizeau (poème à la gloire de Paul Savigny, insituteur fusillé pour avoir déserté), le typographe Bonneau et le graveur Louis Moreau. Selon Martial Desmoulins, il fut également l’auteur d’une image antimilitariste distribuée dans les tranchées et représentant un soldat français et un soldat allemand s’embrochant au nom de la Patrie. Il collabora également aux journaux Ce Qu’il faut Dire de Sébastien Faure, Par delà la mêlée (Orléans, 1916-1917, puis Déols en 1917-1918) aux cotés d’E. Armand puis, après l’arrestation d’Armand et sa condamnation en janvier 1918, fut le responsable du journal La Mêlée (Deols, 15 mars 1918 à juin 1919 puis Paris jusqu’en février 1920).
Lors du procès d’Armand auquel il avait assisté à Grenoble, il contracta une très forte bronchite dont il ne se remit pas. Revenu en avril 1919 à Déols d’une convalescence dans le sud après la mort de sa compagne institutrice emportée quelques mois avant par cette même grippe, Pierre Chardon, qui avait également collaboré à la revue de Maurice Wullens Les Humbles (Roubaix 1913-1914 & Paris 1916-1940), décédait de tuberculose le 2 mai. Une nécrologie paraissait dans le numéro 25, 1er juin 1919 de La Mêlée dont l’administration était alors reprise par Marcel sauvage.
Le Libertaire, malgré « Les divergences de vue, les différences de tactique qui nous séparaient » lui rendit également hommage rappelant que « plusieurs années durant, nous nous sommes associés pour lutter contre l’esprit guerrier, puis la séparation se fit. Chacun selon son tempérament, ses conceptions, allant vers le milieu, vers la propagande qui lui convenait. Lui l’anarchiste individualiste, nous anarchistes communistes » (cf. Le Libertaire, 11 mai 1919)
E. Armand écrivit à son propos : « Je n’ai jamais rencontré un camarade avec lequel je me suis senti plus à l’aise, plus moi-même, plus libre dans l’intimité ». (cf. L’En Dehors, mi-août 1928).
Albin Catonne Albin lui a consacré un numéro de sa revue Croquis brefs (Lyon, 21 numéros d’avril 1922 à décembre 1923).
Œuvres : — Le Mirage patriotique (Ed. Jeunesses Syndicalistes, Chateauroux, 1913) ; — Les anarchistes et la guerre (Genève, 1915).