Dictionnaire international des militants anarchistes
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Y’en a pas un sur cent… et pourtant des milliers d’hommes et de femmes de par le monde, souvent persécutés, embastillés, goulagisés et parfois au prix de leurs vies, ont poursuivi leur chevauchée anonyme à la recherche d’un impossible rêve : un monde sans dieux ni maîtres.

GALLO, Charles, Auguste

Né le 7 février 1859 à Palais (Morbihan) — mort le 23 septembre 1923 — clerc d’huissier puis employé ; typographe — Nancy (Meuthe et Moselle) — Paris
Article mis en ligne le 26 juin 2007
dernière modification le 8 août 2024

par R.D.

Enfant naturel abandonné par sa mère, Charles Gallo avait été élevé par des personnes charitables. Intelligent et studieux, il devint maitre adjoint dans une école, puis clerc d’huissier et employé.

En 1879, arrêté pour fabrication de fausse monnaie, il était condamné à 5 ans de réclusion. A sa sortie de prison, où il avait semble-t-il été converti au protestantisme, il avait quitté Rouen pour aller en avril 1885, sur recommandation d’un protecteur, travailler comme typographe à Nancy (Meurthe-et-Moselle). Selon la police, il « étudiait beaucoup… passait ses soirées à la bibliothèque de la ville… dépensant tout son argent à l’achat de livres politiques et parlant souvent de Kropotkine ». Il avait semble-t-il d’abord fréquenté brièvement le Parti radical, avant de rompre et de former un éphémère Cercle d’études sociales comptant une dizaine d’ouvriers dont les cordonniers Bernard, les frères Godard, Lapègue et Astier originaire de Reims et le coiffeur Lépollard. Il recevait alors d’un cordonnier parisien, dont le nom serait Bouriant, journaux et brochures et les réunions du groupe se déroulaient dans sa chambre du Faubourg des trois maisons. Il travaillait alors également comme gardien d’une maison de campagne où, selon la police, il aurait hébergé l’ouvrier François Martin recherché par la justice à Paris et au profit duquel il aurait fait une collecte avant de la faire passer au Luxembourg. La police signalait également qu’il était abonné à La Guerre sociale et au Cri du peuple, qu’il parlait l’anglais, l’allemand et étudiait l’hébreu.

En novembre ou décembre 1885, son protecteur de Rouen, à qui il était allé rendre visite, avait envoyé une lettre anonyme au préfet, signalant que Gallo « versait de “plus en plus dans l’anarchisme » et un projet d’attentat des anarchistes contre la Chambre des députés que Gallo toutefois n’approuvait pas.

Gallo décidait de commettre un attentat. Il quittait Nancy le 16 février 1886 et allait à Paris, empruntait un revolver à un ami et se procurait 200g d’acide prussique. Le 5 mars 1886, il se rendait à la Bourse vers 3h de l’après midi et, du haut des galeries supérieures il projetait sa bouteille d’acide et tirait trois coups de feu. Arrêté, il était interné à la prison de Mazas d’où il écrivait à plusieurs reprises au journal Le Révolté (cf. 1er mai et 15 mai 1886). Il comparait le 26 juin devant la cour d’assises de la Seine et au cours de l’audience il provoque des incidents qui nécessitent le renvoi de l’affaire à une autre session. Entrainé hors de la salle, il crie « Vive la révolution sociale ! Vive l’anarchie ! Mort à la magistrature bourgeoise ! Vive la dynamite ! ». Le 15 juillet il comparait à nouveau et manifeste des regrets de n’avoir pas réussi : « Malheureusement je n’ai tué personne » et déclare avoir voulu « accomplir un acte de propagande par le fait des doctrines anarchistes ». Condamné à 20 ans de travaux forcés et astreint à la relégation comme récidiviste, il était envoyé à Avignon, puis à St Martin de Ré d’où il partait le 6 décembre 1886 pour le bagne de Nouvelle-Calédonie où il débarquait le 29 mars 1887 à l’île de Nou. Le 10 septembre 1887 il se révoltait contre un gardien auquel il donnait un coup de pioche dans le ventre. Il était lui même blessé de deux balles dans la tête et avait le bras cassé. Il était condamné à mort le 30 décembre 1887 puis cette peine était commuée en travaux forcés à perpétuité le 7 août 1888. Dans une lettre publiée dans La Révolte (21 décembre 1889) il précisait que suite à ses blessures il restait « avec la la mâchoire et la langue presque paralysées et ne peut plus parler qu’avec une extrême difficulté » et ajoutait « Malgré tout je suis encore vivant et plus que jamais résolu à lutter contre la bourgeoisie ».

Dans une lettre datée du 18 novembre 1900, envoyée de Nouméa et publiée dans Les Temps nouveaux (19 janvier 1901), les compagnons internés en Nouvelle-Calédonie, appelaient tous les camarades à se mobiliser en faveur de Gallo, rappelant que depuis 6 ans, à, la suite de ses réclamations, il avait été interné dans « un cabanon de l’asile des aliénés du bagne » ; qu’après avoir giflé un médecin qui avait reconnu « qu’il n’était pas fou, mais qu’il le maintiendrait toujours à l’asile, parce qu’il était anarchiste et qu’il lui plaisait de venger la société », il avait été finalement placé chez « Les impotents » où il avait continué d’être l’objet de brimades et puni à plusieurs reprises de divers mois de « cachot noir et de fers ». Les compagnons terminaient ainsi leur appel : « Nous, ses amis, nous estimons qu’il est perdu si quelqu’un n’intervient pas au plus vite. Voila pourquoi nous venons vous prier de vous concerter entre vous pour ouvrir une vigoureuse campagne de presse, afin d’attirer l’attention des hommes de cœur sur ce pauvre martyr… Comptant sur votre concours et votre appui… Vos compagnons fidèles et dévoués à la défense de la noble cause de la justice, de la vérité et de l’humanité ».

Début 1901 et suite à une dénonciation du transporté Laurent Bompard, Gallo, matricule 17142, fut soupçonné par l’administration, d’avoir eu en mains, comme Massoubre et Le Berre, un numéro des Temps nouveaux de Paris, auquel il avait adressé plusieurs lettres et textes (dont l’un intitulé Au fond de l’enfer social) dénonçant la situation des bagnards. Dans l’une des lettres saisie par l’administration, il écrivait : « je peux dire qu’en dénonçant les abominations, les atrocités calédoniennes, et par ricochet, celles qui se commettent plus ou moins dans toutes les prisons, dans tous les pénitenciers, les bagnes ou lieux de répression quelconques, j’estime faire une œuvre des plus utiles au point de vue anarchiste… ». Dans une autre lettre il écrivait également son respect pour les anarchistes chrétiens de Hollande et pour Tolstoï : « Le père ou fondateur de la nouvelle école littéraire et socialiste de Russie m’a toujours inspiré ; depuis que je le connais, la sympathie la plus vive et la plus profonde ; son admirable intelligence de notre époque et de ses besoins, son amour des pauvres et des opprimés, son élan vers la justice et le progrès m’ont plus d’une fois arraché des larmes d’enthousiasme ». Il se déclarait alors comme un « anarchiste chrétien et non pas catholique » et écrivait encore : « … Enfant du peuple et né dans les couches les plus sombres et les plus douloureuses du prolétariat, je ne me suis jamais senti le désir de séparer ma cause de celle de mes frères de misère et je les ai toujours défendus de toutes mes forces… ».

Vers 1901 « Depuis plus de treize ans que je suis livré sans défense à la tyrannie et à l’arbitraire des tortionnaires néo-calédoniens, je souffre sans remâche… » et Gallo de préciser : « … Voilà un an que les soins les plus indispensables me sont absolument refusés, à moi, comme à tous ceux que la maladie, l’âge ou les infirmités mettent hors d’état de fournir la somme de travail exigée des condamnés. »

En 1902 Gallo n’était plus qu’« un cadavre vivant », d’après la lettre d’un compagnon qui avait reçu de ses nouvelles et lançait un appel en sa faveur, appel appuyé par Jean Grave dans Les Temps nouveaux (22-28 novembre 1902). Par la suite il ne fut plus jamais question de Gallo dans la presse anarchiste.

Charles Gallo est mort le 23 septembre 1923 à l’infirmerie du bagne de l’île de Nou.


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