Dictionnaire international des militants anarchistes
Slogan du site

Y’en a pas un sur cent… et pourtant des milliers d’hommes et de femmes de par le monde, souvent persécutés, embastillés, goulagisés et parfois au prix de leurs vies, ont poursuivi leur chevauchée anonyme à la recherche d’un impossible rêve : un monde sans dieux ni maîtres.

MALATO, Charles [Charles, Armand, Antoine MALATO de CORNET dit], “TALAMO” ; “THIOSSE”

Né à Foug (Meurthe-et-Moselle), le 3 juillet 1856 — mort le 7 novembre 1938 — Correcteur ; écrivain ; publiciste — CGT — Paris — Londres
Article mis en ligne le 11 février 2011
dernière modification le 8 août 2024

par R.D.
Charles Malato (1890)

Charles Malato, né le 3 juillet 1856 selon son acte de naissance (et non le 7 septembre 1857 comme indiqué dans de nombreuses sources), était le fils d’un sicilien, ancien combattant de la révolution italienne de 1848 qui s’était réfugié en France dans la région de Toul (Meurthe-et-Moselle) où il avait épousé une Lorraine. Sa participation active à la Commune de Paris lui valut d’être condamné à la déportation en Nouvelle-Calédonie où son fils, après avoir abandonné ses études de médecine, l’accompagna et où sa femme décéda. Charles Malato y travailla comme télégraphiste et fut présent lors de la révolte des Kanaks en 1878. Suite à l’Amnistie de 1881 il put revenir en France avec son père et racontera ce séjour dans le livre De la Commune à l’anarchie (1894).

En 1886, Malato fonda avec quelques amis, dont Ortiz et Pausader, dit Jacques Prolo le journal, La Révolution cosmopolite et un groupe du même nom. Le journal sous-titré journal révolutionnaire socialiste indépendant, dont le siège se trouvait 10 rue des Roudonneaux, eut quatre numéros avant d’être poursuivi pour « excitation au meurtre et au pillage » : il avait été arrêté le 11 juin 1887 lors du meeting qu’il avait organisé à Choisy-le-Roi avec le groupe « L’Égalité sociale ». Toutefois il bénéficia d’un non-lieu et un numéro cinq fut publié sous forme de revue en 1887.

En janvier 1887, avec notamment Louise Michel, Octave Jahn, Tortelier et Devertus, il participa activement à divers meetings de protestation contre la condamnation à mort de Clément Duval. Le 25 janvier, lors de l’une de ces réunions tenues salle du commerce (Faubourg du Temple) et présidée par Murjas, il avait fait l’apologie de Duval et avait ajouté que « Tout individu qui souffre et qui ose s’attaquer à la propriété est un homme que l’on doit glorifier ».

Le 3 octobre 1887 il fut l’orateur d’un meeting de protestation contre l’exécution des anarchistes de Chicago, puis fit plusieurs conférences en province avec Louise Michel.

Début janvier 1888, lors de réunions du groupe L’Avant-garde cosmopolite, il avait proposé la formation d’une Fédération de groupes indépendants. Début avril il participa sans doute à la rédaction d’un manifeste de soutien de la Ligue cosmopolite aux prolétaires italiens, intitulé L’Homme libre dans l’univers libre, dont de nombreux exemplaires avaient été envoyés en Italie. Il y était notamment écrit : « Au nom de la solidarité des peuples, il ne doit y avoir de guerre que contre les oppresseurs de la classe ouvrière. Jetons à la face des tyrans notre cri d’union : “L’Homme libre dans l’univers libre” et travaillons à hâter l’heure de la liberté et de l’émancipation universelles ».

Le 2 juin 1888, aux cotés de Louise Michel et de Leboucher, il avait été l’un des orateurs de la fête dite de L’Internationale tenue salle Favié, 13 rue de Belleville, et à laquelle avaient assisté environ 2000 personnes.

Le 9 août 1888, aux cotés de Louise Michel, Tennevin, Espagnac, Gouzien, Pausader, Lutz, Tortelier et G. Roussel, il avait été l’un des orateurs de la réunion organisée par les groupes anarchistes du XXe arrondissement au profit des victimes de la police lors de la journée du 8 août, enterrement d’E. Eudes où il y avait eu de nombreuses bagarres avec les forces de l’ordre.

Il publia en 1889 un de ses principaux ouvrages, Philosophie de l’Anarchie, dans lequel il exposait ses théories et définissait son idéal, conforme aux thèses classiques de l’anarchisme communiste. Toutefois, il prévoyait une période transitoire de « deux ou trois générations » (cf. p. 47), avant que se réalise la société libertaire. Il habitait alors 26 rue d’Avron (20e arr.). C’est lui qui aurait surnommé Jean Grave « le pape de la rue Mouffetard ».

Charles Malato (fiche de police)

Collaborateur de L’Attaque (Paris, 66 numéros du 20 juin 1887 au 26 avril 1890), fondée par Ernest Gegout, Malato, qui demeurait 7 rue Eugène Sue, fut condamné avec celui-ci, le 28 avril 1890, par la cour d’assises de la Seine, à quinze mois de prison — qu’ils purgèrent à Sainte-Pélagie — et 3.000 francs d’amende pour « provocation au meurtre, pillage et incendie ». Le même jour, Malato, considéré comme italien, fit l’objet d’un arrêté d’expulsion, qui ne fut rapporté que le 29 avril 1895. Après sa libération vers l’automne 1891, il participa aux conférences hebdomadaires du Groupe parisien de propagande anarchiste aux cotés notamment de Michel Zévaco, G. Leboucher et Jacques Prolo (voir Portfolio).

il alla alors à Londres d’où sous le pseudonyme de Cosmos il aurait collaboré au journal L’Intransigeant.

Malato vécut quelques années à Londres. Il collabora à la Fortnighty Review et y fit partie du groupe « L’Avant-Garde », avec Malatesta, Kropotkine, Louise Michel, groupe qui se livra en particulier à une propagande en faveur de l’entrée des anarchistes dans les syndicats — en 1892, il avait protesté contre la campagne anti-1er Mai menée par Sébastien Faure. Il y fut aussi l’un des fondateurs de l’hebdomadaire Le Tocsin (Londres, 31 décembre 1892- 21 octobre 1894) dont le gérant était L. Nikitine et qui selon un rapport de la police française aurait été financé « avec quelques centaines de francs provenant d’on ne sait quelle expédition heureuse tentée par Gustave Mathieu » (cf. Arc. Nat. F7/13053, L’anarchisme en France, 1897). Dans ce même rapport Malato était qualifié comme un « écrivain de valeur, orateur supportable, fort instruit, fort disert, parlant 4 ou 5 langues… » dont il ne fallait pas perdre de vue que « malgré son aspect doux, son éducation soignée, ce philosophe, ce polyglotte, cet érudit n’hésiterait pas, à une heure donnée, devant les pires moyens de propagande ».

C’est à Londres, où il avait eu l’occasion de rencontrer Émile Henry, qu’interviewé après l’attentat du café Terminus (12 février 1894), il déclara : « L’acte d’Émile Henry, qui est pourtant un anarchiste de haute intelligence et de grand courage, a surtout frappé l’anarchie […] J’approuve toute violence qui vise l’obstacle, qui frappe l’ennemi, non celle qui frappe aveuglement. »

Revenu en France en 1895, il fut également particulièrement actif pour dénoncer les persécutions contre les anarchistes espagnols suivant l’attentat de la rue Cambios Nuevos (juin 1896) et le procès de Montjuich (décembre 1896) où avaient été condamnés à mort plusieurs compagnons (voir Tomas Ascheri) et noua des relations avec le militant espagnol Tarrida del Marmol.

En 1897 il était rédacteur à L’Aurore et à « L’Intransigeant.

Le 5 janvier 1897, à la salle du Tivoli Waux-hall de la rue de la Douane, il fut, aux cotés notamment de S. Faure, Prost et Girault, l’un des orateurs du meeting L’Inquisition en Espagne, pour dénoncer les tortures et les condamnations à mort prononcées suite à l’attentat de la rue Cambios Nuevos. Le meeting, auquel avait adhéré le groupe Freedom de Londres, avait réuni quelques 2000 participants.

Le 8 août 1897, aux cotés notamment de Tarrida del Marmol, de Marcel Sembat et d’Aristide Briand, il fut l’un des orateurs de la matinée-spectacle organisée par Le Libertaire au profit des « martyrisés de Montjuich et de leurs familles ».

Au moment de l’Affaire Dreyfus, et pour répondre aux manifestations nationalistes, il fit partie du comité « Coalition révolutionnaire » fondé en octobre 1898, avec Sébastien Faure, Pouget, Mirbeau, etc., pendant du « Comité de Vigilance » qui rassemblait les différentes fractions socialistes, et, en 1899, il collabora au Journal du Peuple fondé par Sébastien Faure pour défendre Dreyfus (n° 1, 6 février, n° 299, 3 décembre). Cette même année, le 12 juin, Malato fut à nouveau condamné, cette fois à 50 f d’amende, par la 8e chambre du tribunal correctionnel, pour port d’arme prohibée suite à son arrestation lors de manifestation antiroyaliste et antinationaliste tenue la veille à Longchamp.

En août 1900, il fut violemment agressé et blessé par un petit groupe d’individualistes dont Jean Otto (voir ce nom).

Début 1901 il avait donné son adhésion au groupe « La Liberté d’opinion », anciennement Groupe de solidarité internationale et d’aide aux détenus.

Le 28 février 1904, à la salle de l’Université populaire du Faubourg Saint-Antoine, il avait été aux cotés de Paraf Javal, Libertad et Louise Reville, l’un des orateurs du meeting de soutien aux victimes d’Alcala del Valle (Espagne).

Le 15 septembre 1904, aux cotés de Sébastien Faure, Almereyda, Pedro Vallina et Henriette Hoogeven, il fut l’un des orateurs au premier meeting tenu à la salle des sociétés savante par l’Association internationale antimilitariste (AIA).

A cette même époque il se montrait partisan dans les colonnes du Libertaire de l’entrée des anarchistes n franc maçonnerie.

Le 12 octobre 1904, il fut, au coté notamment de Delalé, le principal orateur du meeting organisé à la Bourse du travail par la CGT pour commémorer les procès de la Mano negra (voir Portfolio).

Plus tard, Malato fut compromis dans l’affaire dite « de la rue de Rohan », affaire qui se situe en 1905, lors de la visite à Paris du roi d’Espagne Alphonse XIII. Dans la nuit du 31 mai au 1er juin, à l’angle des rues de Rivoli et de Rohan, un individu lança deux bombes sur le cortège qui revenait de l’Opéra et se dirigeait vers le ministère des Affaires étrangères ; dix-sept personnes furent blessées dont plusieurs grièvement. Le roi et le président de la République furent indemnes. Le coupable, qui ne fut jamais arrêté, aurait été Aviño, un anarchiste espagnol, connu sous le nom d’Alexandre Farras. Ce qui est certain, c’est que la police était au courant du complot, puisqu’elle arrêta dès le 25 mai l’Espagnol P. Vallina et l’Anglais Harvey (cf. Arch. Nat. F7 / 12 513, rapports d’indicateurs des 23 et 30 mai). Selon la police ces deux derniers, comme Malato, S. Nacht, Cavalazzi, J. Prat, F. Ferrer et F. Cardenal, faisaient partie d’un groupe international formé le 12 mai 1904 lors d’une réunion tenue Faubourg Saint-Antoine chez J. Prat et à l’origine de la publication du journal L’Espagne inquisitoriale (Paris, n°1, 30 mars 1904) qui sera interdit par les autorités.

La police reprochait à Malato, qui fut inculpé avec Vallina, Harvey et un nommé Caussanel, le fait qu’il avait reçu le 27 avril et le 12 mai des colis contenant des bombes semblables à celles qui devaient servir à l’attentat. Le « Procès des Quatre » s’ouvrit le 27 novembre, devant la cour d’assises de la Seine où dès la première audience Malato avait déclaré : « Je ne me défends pas, j’attaque, j’accuse et je prouve ! » ; de nombreuses personnalités apportèrent à Malato des témoignages de moralité, ainsi Lucien Descaves, E. Vaughan, H. Rochefort, A. Briand. Devant l’obscurité de cette affaire, les jurés acquittèrent les quatre prévenus.

Pendant son emprisonnement à la Santé, il avait été autorisé par le juge d’instruction à écrire des articles sans caractère politique. Il avait alors écrit pour L’Européen un article sur les Canaques de Nouvelle-Calédonie que la direction de la prison refusa de laisser sortir sans une autorisation spéciale du ministre de l’Intérieur qui n’arriva jamais (cf. Les Temps nouveaux, 4 novembre 1905).

De 1907 à 1914, Malato collabora à La Guerre sociale et à La Bataille syndicaliste (n° 1, 27 avril 1911). En août 1910 il collabora au numéro spécial des Temps nouveaux contre le bagne de Biribi.

En 1911 il était domicilié 2 passage Noirot.

Au moment de la Première Guerre mondiale, il se rallia à l’union sacrée ; dès le 4 août, il écrivit dans La Bataille syndicaliste : « La cause de la France est redevenue celle de l’humanité ». Il signa, en février 1916, le « Manifeste des Seize », avec Kropotkine, Grave, P. Reclus, le Dr Pierrot, C.-A. Laisant, etc., qui condamnait l’agression allemande et considérait la guerre contre l’Allemagne comme une guerre de défense de la liberté.

Au début de l’année 1918, Malato fit une demande de passeport pour l’Angleterre et il séjourna quelques mois à Londres. Puis il revint en France : il avait demandé à être incorporé, ce qui fut fait le 8 juin 1918. Dans une lettre à Grave, datée 18 août 1918, il précisait qu’il avait été affecté successivement à l’École militaire comme secrétaire d’état-major, à l’hôpital du lycée Michelet à Vanves, au centre Faidherbe, 94, rue de Charonne, et il ajoutait : « Tous ces déplacements en attendant mon départ sur le front ». Malato, alors naturalisé Français, eut soixante et un ans le 7 septembre 1918. Le 30 octobre, il se trouvait toujours à Paris.

Après la guerre, il collabora aux Temps nouveaux et à Plus Loin, revue du Dr Pierrot. En 1919 il suivait de près les activités des éditions et de la librairie de l’Escuela Moderna à Barcelone et était en contact avec son responsable Fernando Vela Alfredo Meséguer qu’il logeat à son domicile, 160bis rue de Vercingétorix (14e arr.) lors du passage de ce dernier à Paris en mai 1919. Il entretenait également des contacts avec la veuve de Lorenzo Portet, exécuteur testamentaire de Francisco Ferrer et Rachel Hénault, veuve du médecin belge Lucien Hénault et traducteur du livre de Ferrer L’École moderne.

Devenu correcteur à la Chambre des Députés, il adhéra, le 1er janvier 1928, au syndicat des correcteurs. Il était par ailleurs affilié à la franc-maçonnerie.

Le journal Le Peuple publia, du 5 octobre 1937 au 29 mars 1938, les souvenirs de Malato, sous le titre « Mémoires d’un libertaire ».

Malato décédé le 7 novembre 1938 à Paris, fut incinéré le 11 novembre 1938 au columbarium du Père-Lachaise. Aucun discours ne fut prononcé, mais son neveu lut une allocution rédigée par son oncle et qui se terminait ainsi : « Mourant en libertaire qui s’est toujours efforcé de marcher vers la réalisation de son idéal, je me permettrai de vous donner à vous, vivants, ce conseil : “Soyez bons, mais soyez forts”… »

S. Faure, dans l’article nécrologique qu’il lui consacra dans Le Libertaire du 17 novembre 1938, traça de lui ce portrait : « Certes, il possédait à fond la connaissance des idées libertaires ; il parlait une langue châtiée, voire élégante, il s’exprimait avec une clarté et une précision peu communes. Mais, à la tribune, il était handicapé par une timidité qui le privait d’une partie de ses moyens » ; il déconcertait ceux qui entendaient « La voix légèrement voilée et le geste à peine esquissé et presque hésitant de cet homme grand, robuste, taillé en force, dont ils savaient le courage physique ».

Œuvres : Outre les titres cités dans la biographie, Charles Malato avait collaboré à un très grand nombre de titres de la presse libertaire dont : L’Agitateur (Marseille), AIA (Paris), L’Almanach de la révolution, L’Almanach des ennemis de l’autorité (Paris, 1912), L’art social (Paris), Ça ira (Paris), Le Camarade (Paris, 1899), L’En Dehors (1894), Liberiamo Masetti (Paris, numéro unique, 1913), Verso l’emancipazione (Paris, numéro unique, 1906) et La Revista blanca (Barcelone).

De ses ouvrages, nombreux eux aussi, nous retiendrons : — Les travailleurs des villes aux travailleurs des champs (Bibliothèque de la révolution cosmopolite, 1888, 26 p.) — Avant l’heure (ibidem, 1888, 20 p.) — En Grève — Les classes sociales — Philosophie de l’anarchie, Paris, 1889, 144 p., 3e édition, Paris, 1897 (Bibl. Nat. 8e R 14 638-16). — Révolution chrétienne et révolution sociale, Paris, 1891, 291 p. (Bibl. Nat. 8° R 10 364). Prison fin de siècle, souvenirs de Sainte-Pélagie (co auteur avec Gegout, 1891) — Les joyeusetés de l’exil (1896 ; rééd. Acratie) — De la Commune à l’Anarchie, Paris, 1894, 2e édition, 296 p. (Bibl. Nat. 8° Lb 57/11 937). — Contes néo-calédoniens (auteur : Talamo), Paris, 1897, 64 p. (Bibl. Nat. 8° Y2/50 353). — L’homme nouveau (1899) — Barbapoux (drame en deux actes présenté en décembre 1899 par Le Théâtre du Peuple) — La Grande Grève, Paris, 1905, 510 p. (Bibl. Nat. 8° Y2/55 236). — La fin du ciel (fantaisie irréligieuse en 4 actes).


Dans la même rubrique