Dictionnaire international des militants anarchistes
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Y’en a pas un sur cent… et pourtant des milliers d’hommes et de femmes de par le monde, souvent persécutés, embastillés, goulagisés et parfois au prix de leurs vies, ont poursuivi leur chevauchée anonyme à la recherche d’un impossible rêve : un monde sans dieux ni maîtres.

MONTELS Jules [MONTELS Louis, Jules, Marie].

Né le 25 mars 1843 à Gignac, arr. de Lodève (Hérault), — mort le 20 septembre 1916 — représentant de commerce ; peintre en bâtiment, journaliste — AIT — SFIO — Paris — Genève — Russie — Tunis & Sfax
Article mis en ligne le 19 juillet 2012
dernière modification le 8 août 2024

par R.D.

Jules Montels, qui habita, 3, passage de l’Alma, à Paris. fut pendant le siège de Paris capitaine au 173e bataillon — est dit aussi lieutenant au 117e bataillon — de la Garde nationale parisienne, ; il fit partie du groupe qui, le 31 octobre 1870, envahit la mairie du XIIe arr. En tant que délégué des vingt arrondissements, il fut un des signataires de l’Affiche rouge du 6 janvier 1871, proclamation au peuple de Paris pour dénoncer “la trahison " du gouvernement du 4 septembre et pour mettre en avant trois mots d’ordre : Réquisition générale, rationnement gratuit, attaque en masse. Elle se terminait par ces mots : « Place au peuple ! Place à la Commune ! »

Colonel de la XIIe légion fédérée, il fut délégué par la Commune à Béziers et appartint à la Commune insurrectionnelle de Narbonne, 24-31 mars 1871. Déguisé en femme, il réussit à se soustraire aux recherches. Le 15 mars 1872, la cour d’assises de l’Aveyron le condamna par contumace à la déportation dans une enceinte fortifiée et aux frais. Le 11 décembre suivant, le 5e conseil de guerre le condamnait à la peine de mort, toujours par contumace. Il n’avait subi antérieurement aucune condamnation si ce n’est, le 20 avril 1860, à Lodève, 16 f d’amende pour chasse sans permis.

Réfugié à Genève, Montels fut secrétaire de la section de propagande et d’action révolutionnaire socialiste constituée dans cette ville le 8 septembre 1871 sur l’initiative de proscrits français. En octobre 1871, il proposa de rompre avec le Conseil général de Londres qui ne répondait pas à la demande d’admission de la section.

Au début de 1872, Montels fut appelé à Lausanne par Paul Piat pour travailler à la liquidation de la Société française Laurent et Bergeron, longtemps chargée de l’exploitation du réseau de la compagnie des Chemins de fer de la Suisse occidentale. Il contribua à y créer ou recréer une section internationale de réfugiés français (cf. J. Guillaume, L’Internationale, t. II, p. 267). Il gagna également sa vie comme « professeur et peintre en bâtiment » (cf. L. Descaves, op. cit.) En novembre 1872, il défendit Bousquet, exclu de l’Internationale, en affirmant qu’à Béziers, en 1871, la municipalité étant républicaine et socialiste, Bousquet n’avait accepté les fonctions de commissaire de police que par dévouement « à la République démocratique sociale ». C’est lui qui, “pour la Section et par ordre”, avait dénoncé A. Richard et G. Blanc “vendus à l’Empire” (ils avaient offert leurs services à l’empereur déchu et publié, en janvier 1872, une brochure appelant à la restauration de l’Empire).

Montels assista en qualité de délégué de diverses sections françaises — avec Alerini, Brousse, Perrare, Pindy — au quatrième congrès (« antiautoritaire ») de l’AIT qui se tint à Genève du 1er au 6 septembre 1873. A partir du 20 avril 1874, il publia, avec notamment Lefrançais, Teulière, Thomachot, Zukovski et Chalain la revue La Commune (Genève).

Le 23 février 1877 il fut l’orateur à Berne d’une conférence sur « la condition de la femme » organisée par les antiautoritaires et en mai présida une rencontre qui avait réuni à Perly (Genève) entre 50 et 60 internationalistes français. Avec notamment A. Getti, Rouchy et Charles Van Woutergheim, il demanda en mai 1877 l’adhésion de la section française de propagande de Genève à la Fédération jurassienne.

Les 4, 5, 6 août 1877, comme délégué de la section de propagande et de la Section des plâtriers-peintres de Genève, il prit part au congrès — qu’il présida — de la fédération jurassienne à laquelle il avait adhéré le 14 mai précédent, congrès qui se tint à Saint-Imier. Les 19-20 août suivant il participa au congrès tenu à La Chaux-de-Fonds de la Fédération française où étaient représentées 12 sections et où il était membre avec Brousse, Alarini et Dumartheray de la Commission administrative. Un mois plus tard, les 6-8 septembre, il représenta avec Brousse la Fédération française au 9e congrès général de l’Internationale qui se tint à Verviers ; il fut un des secrétaires du congrès. Le 9 septembre il assistait au congrès de Gand, essai de congrès socialiste “universel” qui vit la réunion de délégués “autoritaires” et “antiautoritaires” et qui échoua.

En Suisse, J. Montels collabora ou accepta de collaborer à plusieurs journaux et revues dont Le Réveil international, 1er-9 octobre 1871, essai malheureux d’un quotidien tenté par Jules Guesde alors “antiautoritaire”, Le Bulletin de la Fédération jurassienne, 15 février 1872-25 mars 1878, La Commune (devenue La Revue socialiste à partir du n° 2), 20 avril-novembre 1874. Montels fut également un des 54 signataires de l’adresse — quatre pages imprimées — Au citoyen Garibaldi par des “proscrits de la Commune”.

En 1876, il publia une “Lettre aux Socialistes révolutionnaires du Midi de la France” qui affirmait notamment : « Le radicalisme, qui se prétend être le véritable continuateur de la tradition révolutionnaire, n’est en somme que le dernier rempart que possède la bourgeoisie propriétaire et capitaliste contre la marée montante de la Sociale ». Et il concluait :
« Ce qu’il faut faire ? S’ABSTENIR. Abandonner la politique bourgeoise ; faire grève autour des urnes et transporter sur un autre terrain l’activité que vous avez jusqu’à ce jour déployée au profit des radicaux. Ce qu’il faut faire ? Il faut reconstituer le parti de la Révolution, l’organiser par tous les moyens possibles : groupes professionnels, groupes de quartier avoués ou secrets. Il faut qu’à l’aide d’une propagande et d’une étude incessantes, le prolétariat se prépare à prendre possession du sol et des instruments de travail que seul il fait produire au profit des classes dirigeantes. Tel est le but suprême ».

En 1878, Montels fut appelé en Russie à Iasnaïa Poliana, auprès des fils de Tolstoï, en qualité de “professeur de latin et d’un peu de grec”, disait-il plaisamment. Il y resta trois ans (cf. L. Descaves, Philémon…, op. cit.). Il avait été amnistié en 1879.

Jules Montels arriva à Tunis le 18 janvier 1882. Négociant, il fut surtout tenté par le métier de journaliste et fonda Tunis Journal. À cette date, la Tunisie ne disposait d’aucune législation de la presse, le résident général Paul Cambon étant hostile au développement d’une opinion publique. Les rares journaux existants étaient imprimés clandestinement et portaient des noms d’imprimeurs de Malte. Montels fut le premier directeur de journal à oser inscrire son nom sur Tunis Journal et à faire disparaître Malte de la manchette. L’homme était trop populaire pour qu’on puisse engager contre lui des poursuites judiciaires, et Cambon fut contraint de promulguer le premier décret sur la presse le 16 octobre 1884.

Dans Tunis Journal et dans de nombreux autres périodiques éphémères (parmi lesquels Karakous, journal satirique dont le titre s’inspirait d’un divertissement populaire analogue à notre Guignol, mais beaucoup plus satirique et obscène), Montels mena de violentes polémiques : contre le cardinal Lavigerie, contre les notables italiens, contre le gouvernement. Mais, à partir du mois de juillet 1885, Montels devint le journaliste officieux de la résistance contre Boulanger, commandant la division d’occupation, et Honoré Pontois. La cause de ce revirement est le procès Tesi. Ce dernier, un Italien, avait frappé un officier français et n’avait été condamné qu’à six jours de prison. Boulanger, outré de l’indulgence du résident général, mena campagne contre lui et Honoré Pontois, président du tribunal de Tunis ; mais, peu après, Boulanger et Pontois s’étant réconciliés, ils furent tous deux l’objet des attaques de Tunis Journal, promu défenseur de la résidence. Pontois à son tour fit paraître un violent pamphlet : “Les Odeurs de Tunis” (Savine, 1889) qui dénonçait la corruption de l’administration et les spéculations de certains affairistes, dont le frère de Jules Ferry. Mais il est certain que Montels n’était pas à son aise dans ces fonctions de défenseur de la politique résidentielle.

Cambon remplacé par Massicault (Boulanger, devenu ministre de la Guerre, se vengeait ainsi de son adversaire) Montels dut abandonner le journalisme. En effet, le nouveau résident général avait supprimé le cautionnement le 16 août 1887 et cherchait un journaliste pour défendre sa politique contre la presse “libérée” et donc plus agressive. Montels ne faisait pas l’affaire, car Massicault voulait un journal « tel que les Français, les étrangers, les Arabes et les Juifs, les francs-maçons et les catholiques n’éprouvent en l’ouvrant aucun frisson. Un journal amorphe, qui ne blesse les convictions de personne ». Lecore-Carpentier le supplanta, et se créa, grâce à sa Dépêche tunisienne, un empire financier et politique (il deviendra le “Prince de Korbous”, un des “requins coloniaux” dénoncés par Vigné d’Octon dans La Sueur du Burnous).

Montels accepta de quitter Tunis Journal qui ne lui permettait pas de vivre, et tandis que La Dépêche tunisienne sortait le 25 décembre 1889 pour la première fois, Tunis Journal disparaissait le 31 décembre.

Montels obtint en échange de la disparition de Tunis Journal un poste de commissaire-priseur à Sfax pour la vente des éponges. Il en tirait de faibles ressources. En 1891, il écrivit au résident général pour lui demander de faire augmenter son pourcentage sur la vente (un demi pour cent étant insuffisant, il demandait un pour cent) : « Ne croyant pas que le résident général m’ait envoyé à Sfax pour que j’y crève de faim, j’en appellerai du résident général mal informé au résident général mieux informé” (lettre retrouvée aux Archives de la présidence dans la série pêche E 397, 1).

Quel rôle politique a-t-il joué dans son demi-exil ? Il a été président de la Solidarité sfaxienne, groupe de la Libre Pensée. En avril 1906 il a été délégué de cette association au congrès républicain, radical et socialiste de Tunis, qui fut la première manifestation républicaine importante en Tunisie. Quand une fédération de la SFIO fut créée à Tunis en 1908, il y adhéra. Mais, en juillet 1912, il rompit publiquement avec le Parti socialiste (lettre publiée dans Le Socialiste, organe de la SFIO et brochure intitulée “Les Pieds dans le plat”. Documents pouvant servir à l’historien futur du Parti socialiste unifié en Tunisie, Tunis, 1912, 12 p.)

Dans tout ceci, rien de comparable à son brillant passé de révolutionnaire. Personnage singulier, connu et facilement reconnu avec sa cape et son grand chapeau, il défiait la morale “bien pensante” en vivant à Sfax avec une compagne. En Tunisie, il était le “grand ancien” respecté, mais pas toujours écouté. Il écrivait pourtant abondamment : nombreuses brochures historiques, géographiques ou sociales sur diverses régions de la Tunisie, multitude de lettres envoyées à la presse de gauche (défense de l’union libre, souvenirs personnels, participation à diverses polémiques).

On peut donc assez facilement étudier sa réaction en face de la colonisation, sans que l’on puisse parler de doctrine développée clairement. Il en condamnait les excès, dénonçait les affairistes, mais estimait l’expansion européenne inévitable. Il y avait donc pour lui une “vraie« colonisation, celle qui ouvrait l’Afrique » au flot d’une civilisation “fécondante” (in Courrier de Tunisie du 17 mars 1908 : il reprenait l’expression de son vieil ami Malon dans La Revue socialiste de septembre 1887). Cette colonisation, comment la définit-il ? Aucun texte ne fournit des renseignements précis. Certains traits se dégagent cependant : ce sont les « petits » (prolétaires européens), qui doivent éduquer et diriger les « meskines » (indigènes pauvres) contre les « kebirs » (gros : notables indigènes) et « requins » (capitalistes européens) qui font suer le burnous (les expressions sont de l’époque, on les retrouve constamment dans la presse de gauche). C’est sur ce rêve de l’union entre les différents groupes du prolétariat qui « ici comme ailleurs doit accomplir sa mission historique » (ce sont les termes de la motion de la fédération de Tunisie de la SFIO votée au congrès de Tunis en 1936) qu’a été construit le mouvement ouvrier en Tunisie, au moins jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale.

Montels a-t-il prévu la possibilité d’une évolution vers l’indépendance ? Il pensait plutôt que les indigènes subiraient le destin des Gaulois dominés par Rome. On retrouve là un deuxième thème de la gauche : l’assimilation. « L’annexion est une question de temps », déclara-t-il au congrès républicain radical et socialiste de 1906. Il est vrai que dans Les Cahiers coloniaux de 1889 il condamnait l’annexion, et prétendait dans “les Pieds dans le plat” l’avoir toujours condamnée.

Sur tous ces points il n’y a là rien d’original, Montels reprenant les arguments des partisans de la “colonisation socialiste”, qui furent ceux de l’ensemble du mouvement ouvrier en Tunisie jusqu’à la guerre. Sa rupture avec la SFIO a donc d’autres raisons : il lui reprochait son réformisme, dans une lettre datée du " 30 germinal an 120”, ses compromissions avec la droite pour lutter contre le résident général Alapetite. (Le fait est certain, il ne s’agit pas d’un cas isolé : la gauche débile de Tunisie a parfois pratiqué la politique de la main tendue à la droite, en particulier pour la défense de la colonie française et contre les revendications des Jeunes Tunisiens. Les années 1911 et 1912 sont à cet égard révélatrices.) La rupture se fit à l’occasion du voyage de Bouge, rapporteur du Budget tunisien en 1911 ; celui-ci, au lieu de chercher des renseignements auprès de Montels, se contenta de rencontrer le Conseiller de Sfax, Barbot, défenseur des privilèges de la colonie française et raciste, ainsi qu’il l’avait proclamé dans un manifeste électoral : « Je ne connais qu’une chose, le Français vainqueur dessus, l’Arabe vaincu dessous. »

Le dernier texte important de Montels prouve sa fidélité à l’idéal de sa jeunesse : Ni Dieu ni Maître, autonomie. C’est ainsi qu’il terminait sa brochure Les Pieds dans le plat, confirmant sa foi en Proudhon et Blanqui.

Durant la Première Guerre mondiale, il se rallia à l’Union sacrée (cf. ses lettres à L. Pindy déposées à l’IFHS) et approuva le manifeste anarchiste dit des Seize qui, en février 1916, déclarait : « Avec ceux qui luttent, nous estimons que, à moins que la population allemande, revenant à de plus saines notions de la justice et du droit, renonce enfin à servir plus longtemps d’instrument aux projets de domination de la politique pangermaniste, il ne peut être question de paix ». Dans une lettre datée du 12 août 1916 il écrivait à Jean grave : « Vous pouvez compter sur moi qui aurais signé des deux mains ce que Malatesta appelle le Manifeste des seize. J’ai plus que jamais horreur de l’esprit, de la science et de la rzce teutonnes ».

Montels, qui était marié et père de trois enfants, décédait un mois plus tard à Tunis le 20 septembre 1916.

Oeuvres : Lettre aux Socialistes révolutionnaires du Midi de la France, Genève, 1876, 14 p. (se trouve à Arch. PPo B a/468). — Étude manuscrite : Qu’est-ce que la Commune ? dans Programme d’études et Procès-verbaux de la section de propagande de Genève du 22 novembre 1873 au 14 février 1874 (Archives IISG, Amsterdam). — Au citoyen Garibaldi (archives Claris, IFHS). — La Justice et l’ordre en 1851, la vie et la mort d’André Abel Cadelard, Béziers, 1881, 84 p.


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