Dictionnaire international des militants anarchistes
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Y’en a pas un sur cent… et pourtant des milliers d’hommes et de femmes de par le monde, souvent persécutés, embastillés, goulagisés et parfois au prix de leurs vies, ont poursuivi leur chevauchée anonyme à la recherche d’un impossible rêve : un monde sans dieux ni maîtres.

MOINEAU, Jules

Né à Liège le 15 janvier 1858 — mort le 18 septembre 1934 — Peintre en bâtiment ; voyageur de commerce — Liège — Brésil — Paris
Article mis en ligne le 14 mars 2009
dernière modification le 9 août 2024

par R.D.
Jules Moineau

Né d’une mère accoucheuse, Jules Moineau avait été orphelin de père dès l’âge de 10 ans. Entré à l’âge de 15 ans à l’École des mines pour devenir ingénieur, il devint républicain, puis collectiviste et enfin anarchiste.

A la mort de sa mère en 1884, et pour respecter la demande qu’elle lui avait faite, il intégrait l’école militaire. Lors des grandes grèves de 1886, il quittait l’armée pour ne pas avoir à tirer sur les ouvriers. Animateur des groupes anarchistes d’Ougrée, Seraing et Flémale il participait en mars 1886 avec le groupe de Liège à un important mouvement révolutionnaire. Au printemps 1887 il était membre, avec entre autres Billen, Cardinal et Kervyser du nouveau groupe anarchiste Les Humanitaires.

Puis il allait à Bruxelles où, ne trouvant pas de travail, il partait avec trois autres compagnons pour le Brésil afin d’y fonder une colonie libertaire. Ce fut un échec et il revint en Belgique où il parvint à trouver un emploi dans les wagons-lits. Pour ne pas avoir à donner d’ordres à des subordonnés, il démissionnait de son emploi et partait pour Paris où il allait travailler comme peintre en bâtiment sur les chantiers de l’exposition de 1889.

Revenu à Liège il devint voyageur de commerce et fonda les Groupements économiques ouvriers. Il était alors avec notamment J. Wolff et L. Hansen, l’un des principaux animateurs du groupe anarchiste de Liège.

Lors de la vague de répression anti anarchiste suivant la série d’attentats commis entre mars et avril 1892, il fut arrêté dans la nuit du 1er au 2 mai 1892 avec 15 autres militants — Joseph Wolff (ébéniste), Leopold Ehx (serrurier), Guillaume Beaujean (peintre), Joseph Guilmot (forgeron), Joseph Naniot (mineur), Aimé Matheyssen (contre-maître), Émile Marcotty (mineur), Joseph Beduin (mineur), Alphone Lacroix (peintre), Chareles et Jacques Berré (houilleurs), Émile Nossent (armurier), Alfred Heusy (voyageur de commerce), Pierre Scheilchbach (cabaretier), Lambert Hausen (mineur) — qui furent accusés d’avoir déposé une bombe, qui n’avait pas explosé, devant le domicile d’un conseiller (municipal ?). Inculpé de « vol de dynamite et de complot » lors du procès tenu en juillet, il prit sur lui l’entière responsabilité des faits — il avait notamment déclaré “…Je suis un anarchiste convaincu, un ennemi déclaré de toutes les institutions bourgeoises… C’est en prenant exemple que les nihilistes russes que j’ai reconnu la nécessité impérieuse de la propagande par le fait… C’est pour cela que j’ai essayé de faire sauter la maison du président des assises qui avait condamné nos compagnons. Au surplus je n’ai obéi à aucun mot d’ordre… Nous n’avons formé ni complot, ni association, chacun conserve sa liberté et agit comme il l’entend..” — et fut condamné à 25 ans de travaux forcés. Deux autres des accusés, Marcotty et Beaujean, auraient été condamnés à 20 ans. Jules Moineau fut interné à Louvain, tandis que sa compagne et sa sœur veillaient à élever ses deux fils.
Au printemps 1898, afin d’obtenir une amnistie, il fut pressenti pour être candidat sur une liste socialiste, ce qu’il refusa finalement en ces termes : « Toute réflexion faite, j’ai décidé irrévocablement de ne pas me porter candidat aux élections prochaines. Je désavoue donc hautement l’emploi qui pourrait être fait de mon nom dans ce but. J’entends conserver, à l’avenir, l’attitude d’anarchiste intransigeant dont je me suis départi un instant dans le seul but de hâter la délivrance de mes pauvres camarades… » ’ Dans une autre lettre datée du 4 avril, il ajoutait : “….Je ne m’étais laissé porter candidat qu’à mon corps défendant ; ma conscience d’anarchiste convaincu me le reprochait et j’étais tenté à chaque instant de reprendre ma parole. Aussi, lorsque j’ai vu le parti ouvrier s’allier aux bourgeois libéraux et me repousser de crainte qu’on agite le spectre noir de l’anarchie… et que d’un autre coté La Bataille se servait de mon nom pour faire une guerre de personnalités au journal Le Peuple, je me suis senti pris d’un sentiment de dégoût de :me voir mêler à d’aussi tristes intrigues politiques. Alors je n’ai plus hésité à reprendre mon attitude d’anarchiste intransigeant, jurant de ne plus me prêter à de telles compromissions » (cf. Les Temps nouveaux, 16 avril 1898).

Il fut à plusieurs reprises mis au cachot pour rébellion mais parvint à tenir grâce aux visites trimestrielles de sa femme, de sa sœur, de ses jeunes enfants Valère et Raymond et à l’importante correspondance qu’il entretint avec l’extérieur, participant même à des travaux de recherches pour des étudiants de l’université de Louvain.

Il bénéficia d’une libération anticipée en novembre 1901 et, lors d’un meeting organisé à Liège pendant la grève de 1901, il raconta ses déboires à la prison de Louvain devant un public d’environ 2000 personnes. Lors d’un autre meeting organisé début novembre 1902 à la Nouvelle Cour de Bruxelles avec Chapelier, Robyn, Hautstont et Lucien Hénault, il avait une nouvelle fois revendiqué la responsabilité de ses actes, déclarant notamment : « J’ai voulu réveiller la masse des travailleurs ; je n’ai jamais voulu attenter à la vie de personne. Je cherche à abattre les institutions sociales actuelles et je considère que la victoire sociale ne peut être obtenue que par la force ». En conclusion, il avait ajouté : « La société bourgeoise est pourrie ; la justice n’est qu’une justice de classe. Qu’importe ce que nous faisons, qu’importe la mort même. Vous jeunes gens, vous hommes mariés, je vous le dis : j’estime avoir plus travaillé pour ma femme et mes enfants en passant dix ans de bagne qu’en courbant la tête, parce que j’ai conscience qu’en agissant ainsi, j’ai contribué au réveil de la classe ouvrière à laquelle j’appartiens. Vive l’anarchie ! »

Le 22 décembre 1902, avec Georges Thonar, il fut l’orateur du premier meeting tenu à Liège lors de la campagne internationale pour l’amnistie des survivants du procès de “La Mano negra” (1883) en Andalousie.

Entre 1903 et 1914, il collabora aux journaux anarchistes belges L’Insurgé puis L’Émancipateur (voir Georges Thonar) et donna un grand nombre de conférences dans toute la Belgique.

Le 23 décembre 1906, il fut avec Sosset l’un des orateurs du meeing organisé à Bruxelles par le groupe L’Affranchissement et à l’issue duquel une lettre de protestation signée par 14 personnes — dont Stanley, Antheunis, Barthelmess, Pigeon — fut remise à un domestique de l’ambassadeur d’espagne.

Vint la Première Guerre mondiale. Après l’entrée des troupes allemandes à Liège, il fut arrêté avec une douzaine de compagnons et interné dans une caserne de la ville, puis libéré au bout de trois semaines. Ses fils ayant été mobilisés, il passa en Hollande et, via l’Angleterre conduisit sa femme en France chez des amis. Il fut en février 1916 l’un des signataires du Manifeste des 16 soutenant la cause alliée. A plusieurs reprises il fut envoyé en mission d’espionnage ou de sabotage dans la région de Liège occupée.

Après guerre, il resta lié aux ex-anarchistes d’union sacrée et collabora à la nouvelle série des Temps nouveaux puis à la revue Plus loin de Marc Pierrot.

Jules Moineau, qui avait perdu successivement, à quelques années d’intervalle, l’aîné de ses fils, puis sa compagne, puis sa sœur, mourut le 18 septembre 1934 au domicile de son second fils à Rodange (Luxembourg) d’une tumeur à l’estomac.

Oeuvre : — Lettres d’un forçat [« précédées d’une préf. et de la plaidoirie de E. Royer, prononcée devant la cour d’assises de la province de Liège pour Jules Moineau »], Imp. économique, Ixelles-Bruxelles, 1900.


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