Dictionnaire international des militants anarchistes
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PIERROT, Marc
Né le 23 juin 1871 à Nevers (Nièvre) - mort le 19 février 1950 - Médecin - Paris
Article mis en ligne le 17 août 2012
dernière modification le 27 octobre 2023

par R.D.
Docteur Marc Pierrot

Originaire d’une famille modeste, d’opinions républicaines — le grand-père maternel avait été déporté à la suite du coup d’État de 1851 — Marc Pierrot fit ses études au lycée de Nevers, puis à Paris.

Il adhéra à la première association socialiste étudiante créée sous le titre ESRI (Étudiants socialistes révolutionnaires internationalistes) le 16 décembre 1891 et devint bibliothécaire-archiviste du groupe en mai 1892. Une scission se produisit en mai 1893, certains étudiants dont Zévaès constituant alors un Groupe d’étudiants collectivistes adhérant à l’Agglomération parisienne du Parti ouvrier. Le groupe restant fut réduit à un petit nombre d’éléments dont les plus assidus furent Léon Rémy, Marie Goldsmith, Marc Pierrot, aux convictions anarchistes bien établies. Il ne fit pas grand bruit, mais travailla beaucoup et, de 1894 à 1901, publia vingt et une brochures ou rapports. Pierrot, qui devint secrétaire du groupe en 1894, y joua un rôle essentiel et on peut estimer que les ESRI, qui travaillaient en collaboration avec des ouvriers engagés dans l’action syndicale comme Delesalle, ont pris une part active dans l’expression et dans la diffusion du syndicalisme révolutionnaire. Pierrot en fut bien conscient qui écrivait dans Plus loin en mars 1933 : " Le mérite du groupe fut d’avoir aidé à dégager les principes du syndicalisme révolutionnaire au moment même où celui-ci naissait et se développait ".

En 1906-1907 il fut particulièrement actif à l’Université populaire du 157 Faubourg Saint-Antoine, et collabora à son organe mensuel les Cahiers de l’université populaire (Paris, au moins 23 numéros du 10 janvier 1906 à novembre 1907) dont le secrétaire de rédaction était Henri Dagan. L’université populaire, ouverte tous les soirs de 19h à 23h ; organisait fr nombreux cours et conférences.

Le 17 février 1906, alors qu’il allait demander un renseignement au bureau de La Voix du peuple à la Bourse du travail, il y tombait en pleine perquisition judiciaire de la police. Aussitôt arrêté, fouillé, conduit au quai des Orfèvres, transféré à la Santé sous l’inculpation "d’outrage à agent". Remis en liberté provisoire au bout de quatre jours, il apprenait alors son licenciement de la Compagnie américaine d’assurances-vie qui l’employait. Le 28 mars il était condamné à 15 jours de prison avec sursis. Sous le titre “La Tyrannie policière”, il fit le récit détaillé de cette première arrestation et condamnation dans Les temps Nouveaux (31 mars & 7 avril 1906)

Le docteur Pierrot, qui avait épousé le 23 juillet 1896 à Paris, XIe arr., une jeune étudiante, juive polonaise (née le 5 juillet 1870), qui fréquentait les réunions du groupe des ESRI sans y adhérer, fut jusqu’à la guerre de 1914 un collaborateur assidu des Temps nouveaux de Jean Grave. Il y traita surtout du syndicalisme dont il montra les mérites, mais aussi les limites, insistant sur la nécessité de satisfaire les besoins moraux tout autant que les besoins matériels et de se soucier des consommateurs tout autant que des producteurs. Une autre idée sur laquelle porta sa réflexion fut celle des dimensions optimales à donner aux entreprises et à leur concentration et il concluait à la nécessité de toujours conserver à l’entreprise une dimension telle que tout travailleur puisse en avoir une vue d’ensemble et en comprendre le fonctionnement ; il pensait d’ailleurs que " le maximum du rendement est obtenu en s’approchant du point où la centralisation commence " (Les Temps nouveaux, 26 octobre 1912). Il était à cette époque domicilié 2 rue des Haudriettes (IIIe arr.)

Puis ce fut la guerre. Mobilisé le 8 août 1914, Pierrot fut affecté à l’hôpital n° 42 à Vichy (Allier). Le 25 mars 1915, il fut envoyé en Serbie. Début 1916 il se trouvait à l’hôpital mixte de Roanne (Loire). Il passa la fin de la guerre à Clermont-Ferrand où il eut à s’occuper de la réadaptation des mutilés. Pierrot suivit Grave et Kropotkine dans le jugement qu’ils portèrent sur la guerre et il signa le Manifeste des Seize publié dans la Bataille syndicaliste, le 26 février 1916, qui défendait la résistance au militarisme allemand et l’union sacrée. Cela lui valut d’être traité d’" anarchiste guerrier " dans Le Libertaire en janvier 1921. Pierrot ne pensa d’ailleurs jamais avoir commis une faute politique en agissant ainsi et, en 1948, il écrivait encore : " Je ne renie pas aujourd’hui la signature que j’ai donnée au manifeste des Seize. " (cf. Ce qu’il faut dire, n°s 52-53, op. cit.).

Au lendemain de la guerre, Pierrot reprit son action militante en faisant reparaître une série des Temps nouveaux (ce qu’on appelle la série jaune 15 juillet 1919- juin 1921, 24 numéros). Grave, qui était demeuré en Angleterre, en fut mécontent et une rupture en résulta. Finalement Pierrot et ses amis laissèrent à Grave le titre du journal et publièrent, à partir de mars 1925, la revue Plus loin (Paris, 169 numéros du 15 mars 1925 à juillet 1939) qui ne cessa sa parution qu’en 1939. Cette revue s’intitulait : " Revue de progrès social et d’affranchissement humain en dehors de tout esprit de parti, contre tout privilège de classe, pour le développement intégral, matériel, intellectuel, moral de l’individu dans la société librement organisée ".

La revue était austère et conserva ses distances à l’égard du mouvement anarchiste proprement dit. Elle réunissait ses amis en des banquets frugaux, occasion d’une conférence qui ne débouchait pas sur des actions concrètes. Pierrot était d’ailleurs un piètre orateur et jamais à notre connaissance il ne se montra homme d’action. Cependant, au moment de la guerre d’Espagne, il fit partie du comité de patronage de la SIA (Solidarité internationale antifasciste) dirigée par Lecoin et, en 1936, il se rendit lui-même en Espagne.

L’anarchisme de Pierrot, pour réel qu’il fût sans doute — encore qu’il n’attachât " pas une importance primordiale à l’étiquette anarchiste " (Plus loin, 15 février 1926) — lui était toutefois très personnel et il est malaisé de le définir. Il pourrait peut-être se résumer dans la défense de l’individu. Contre tout pouvoir, il souhaitait " une organisation pour garantir la sécurité et la liberté individuelles contre l’égoïsme d’autrui et l’esprit de domination " (Plus loin, n° 73, mai 1931), organisation fédérale et libre, certes, qu’il opposait aux organisations centralisées et autoritaires, mais il insistait : " Quoi qu’en pensent beaucoup d’anarchistes, il faut une organisation. La liberté est inapplicable là où il n’y a pas d’organisation ". Et, citant le domaine des échanges, il ajoutait : " Dans ce domaine, le gendarme est nécessaire. Sans doute il a d’abord pour fonction de protéger l’ordre social, c’est-à-dire la suprématie de classe et la tranquillité des gens nantis. Mais il réprime l’audace des escrocs qui sont aujourd’hui une véritable multitude " (Plus loin, ibid.).

En janvier 1924 il avait été l’un des signataires de l’adhésion au Groupe de défense des révolutionnaires emprisonnés en Russie formé à l’initiative de Jacques Reclus.

Au printemps 1926, lors d’un débat au Club des insurgés sur l’illégalisme auquel il était opposé, il fit lire, ne pouvant être présent, la déclaration suivante : " La propagande de ce soir est franchement antipathique, surtout pour les résultats qu’elle peut donner. Elle peut avoir quelque influence, elle entraîne par conséquent une lourde responsabilité pour ceux qui la font, pour ceux qui savent fort bien qu’elle mène à une impasse. Or inciter quelques jeunes gens, un peu fous comme on l’est à cet âge, à se lancer dans une impasse, comme nous l’avons vu il y a une dizaine d’années, est une terrible responsabilité. C’est une terrible responsabilité que d’amener des jeunes gens à gâcher toute leur existence. Le vol, quand on est dans la misère, quand on a à la maison une femme et des enfants qui crient la faim, tout le monde l’excuse, même la religion catholique. Mais en dehors de ces cas accidentels, je considère le voleur comme un parasite, aussi répugnant que les autres parasites sociaux. Une société humaine, quelle qu’elle soit, ne peut vivre que par le travail, chacun travaillant à son métier, chacun solidaire et dépendant du travail d’autrui. Une société ne peut pas être fondée sur le vol. Comment vivrait elle ? Le vol ne produit rien.…”.(cf. L’nsurgé, 3 avril 1926)

En juillet 1935, il avait été l’un des signataires du manifeste appelant à une conférence nationale contre la guerre et l’union sacrée publié dans Le Libertaire (12 juillet 1935) et dont le comité d’organisation comprenait entre autres R. Louzon, P. Monatte, Fremont, Grandjouan, Marceau Pivert, M. Chambelland, H. Poulaille et R. Lefeuvre.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, il continua d’exercer la médecine avec sa compagne, ce dont témoigna notamment le compagnon Rhillon : “Au cours des sombres années de l’occupation, et de celles, guère moins sombres de la libération, il me fut donné de fréquenter son cabinet de consultation, mais plus souvent encore, je le rencontrais au détour d’une de ces rues étroites des vieux quartiers du Marais et du Temple… La maladie sévissait partout, la mort rôdait à tous les étages. Epuisé de surmenage, le docteur Pierrot arpentait les trottoirs, grimpait les escaliers. Et comme je lui faisais la banale recommandation d’avoir à se ménager, il me dit froidement : "je mourrai debout"…” (cf. Défense de l’Homme, mars 1950). Dénoncé comme juif, ce qu’il n’était pas, il fut ensuite arrêté. Puis, à l’automne 1943, ce fut le tour de sa compagne, qui elle l’était, et qui tint à finir sa consultation avant de s’en aller 5 minutes avant qu’on vint l’arrêter. Tous deux se retrouvèrent au printemps 1944 près de Compiègne.

Selon Pierrot " l’anarchie est avant tout une morale et elle se présente comme une tendance, quelquefois consciente, le plus souvent inconsciente, chez tous les individus " (Plus loin, n° 121, mai 1935). Mais " les aspirations humaines vers la liberté sont impérissables. Et c’est la garantie que l’anarchie, de quelque étiquette qu’on la revête, ne disparaîtra jamais " (Plus loin, juin 1932).

Le docteur Marc Pierrot est décédé le 19 février 1950 à Paris (XIIe arr.).

Œuvre : Collaborations notamment à L’action directe (Paris, 1903-1906), L’Almanach de la révolution (Paris), : aux Temps nouveaux antérieurement à 1914, à Ce qu’il faut dire (réponse à l’enquête : Si la Révolution éclatait) n°s 52-53, février-mars 1948. De 1925 à la Seconde Guerre mondiale, M. Pierrot fit paraître la revue Plus loin (15 mars 1925-septembre 1939. Il collabora à l’Encyclopédie anarchiste de S. Faure.

Brochures : Syndicalisme et Révolution, 1905, 36 p. — Publication des " Temps nouveaux " : n° 46, Sur l’individualisme, 1910, 32 p. — n° 46 (sic) Travail et surmenage, 1911, 32 p. — n° 52 (en collaboration avec A. Girard), Le Parlementarisme contre l’action ouvrière, 1912, 15 p. — n° 69, Syndicalisme et socialisme, 1913, 15 p. (1re édition, 1907). — Un certain nombre d’écrits de Pierrot ont été réunis par une de ses filles et quelques-uns de ses amis sous le titre "Quelques études sociales", présentés par Renée Lamberet.


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