Dictionnaire international des militants anarchistes
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MERLINO, Francesco, Saverio
Né à Naples le 15 septembre 1856 - mort le 30 juin 1930 à Rome - Avocat – Italie – Paris - Bruxelles
Article mis en ligne le 14 octobre 2017
dernière modification le 11 mars 2024

par Guillaume Davranche, R.D.

Francesco Merlino était le fils d’Antonio et de Jeanne Colarissi.

En 1878, l’avocat Francesco Merlino défendit Malatesta - dont il avait été le camarade d’école - et Carlo Cafiero au procès de la « bande du Matese » et parvint à obtenir l’acquittement des accusés.
Rallié à l’anarchisme à cette occasion, il devait être par la suite, et pendant vingt ans, une des personnalités marquantes de l’anarchisme italien.

Du 14 au 20 juillet 1881, il fut délégué au congrès anarchiste international de Londres (voir Gustave Brocher) par plusieurs groupes de Sicile, de Calabre, de Naples, etc. Max Nettlau affirma : « pour la première fois apparaît ici un anarchiste communiste italien d’une grande intelligence et plein d’énergie militante, qui ne s’est pas formé directement dans les cercles de Bakounine, dans l’Internationale des années 1871-1876 ou dans l’exil suisse et français ».

En 1884, pour échapper à une condamnation à quatre ans de prison, il fut contraint de s’exiler dans différents pays d’Europe où il continua de militer par l’action et par la plume, publiant plusieurs brochures en italien et en français.

Le 28 juin 1885, il avait exposé les théories anarchistes à la réunion organisée par les groupes italiens à la salle Horel où, selon la police, il avait confié à Mege une liste d’adhérents de l’Internationale auxquels on pouvait envoyer des journaux révolutionnaires et dans le but de fonder un cercle révolutionnaire international.

A Paris, il fréquenta à partir de 1886 le Groupe cosmopolite de Malato et Jacques Prolo, qui comptait de nombreux Italiens. C’est également à Paris qu’il eut ses premiers démêlés avec le groupe Gli Intransigenti, animé par Pini et Parmeggiani sur des bases individualistes.
Le 7 août 1887, alors qu’il participait à une réunion du groupe Cosmopolite, passage des Rondonneaux - avec entre autres Malato, Louise Michel, Diamisis, Voghera, Revigo, Pennelier, Migeon et Parthenay - il fut pris à partie par des membres du groupe Les Libertaires du XXe arrondissement – dont Sureau et Landriot – qui l’avaient accusé d’être à la solde du roi Umberto. Il s’était alors vivement défendu, avait assuré son complet dévouement aux anarchistes et avait reçu le soutien de Louise Michel qui avait déclaré qu’avant de faire de telles accusations, il était nécessaire d’apporter des preuves.

Il fut ensuite un habitué du Cercle anarchiste international qui, fondé en 1888, était le principal lieu de rencontre anarchiste à l’époque (voir Alexandre Tennevin).

Début décembre 1888 il était signalé à Bruxelles, puis en février 1889 avait regagné Paris.

Du 14 au 21 juillet 1889, il assista au congrès socialiste international de Paris organisé par les broussistes. Empêché d’y déposer un amendement, il en fut ensuite expulsé. Il en fit le compte-rendu dans une brochure éditée par La Révolte : Les Deux congrès… impossibilistes.

Il prit ensuite part au congrès anarchiste international tenu à Paris les 1er et 8 septembre 1889, et La Révolte rapporta largement ses propos. Il défendit le communisme, contre les positions collectivistes des Espagnols, et plaida pour l’organisation, estimant qu’en la matière, les anarchistes « se sont donnés des lois à eux-mêmes qui ne sont que préjugés. Dans un groupement, l’autorité ne se développera jamais si la liberté est dans le cœur ». Enfin, Merlino s’opposa avec fermeté à la théorie du vol défendue par Devertus, qu’il qualifia de « malentendu ». Pour lui, on ne pouvait condamner le vol du riche par le pauvre, mais en soi le vol ne pouvait être considéré comme révolutionnaire : « Il faut pousser à l’appropriation collective et populaire des moyens de subsistance et autres choses utiles à l’occasion d’émeutes, grèves, etc. » Mais la propagande pour le vol serait dangereuse : « Elle nous détourne de l’action vraiment révolutionnaire, elle mine notre confiance réciproque, elle abaisse le caractère. Ce n’est pas nous qui devons descendre au niveau moral des voleurs, il faut les élever à nous. »

La vague de répression qui précéda le « premier 1er mai », en 1890, allait conduire à l’expulsion de Merlino de France.
Il fut arrêté par la police à Versailles le 26 avril 1890 alors qu’il distribuait des manifestes anarchistes antimilitaristes Aux soldats avec l’anarchiste italien Petraroja. Il fut démontré que les manifestes avaient été imprimés à Paris 11e, chez Gabriel Cabot qui fut arrêté à son tour avec ses deux typographes. La perquisition à l’imprimerie permit à la police de découvrir une affiche, « 1er mai », également préparée par Merlino. Un troisième militant, l’étudiant bulgare Stoïanov, qui aurait travaillé avec Merlino à la confection de cette propagande, fut également arrêté.
Merlino habitait alors 105, rue des Couronnes, à Paris 20e. Quand elle perquisitionna chez lui, la police saisit trois caisses de publications anarchistes. Relâchés, les trois militants s’enfuirent en Belgique avant le procès pour « provocation de militaires à la désobéissance » et « incitation au meurtre et au pillage ». Le 19 juillet, les assises de la Seine condamnèrent Merlino par contumace à deux ans de prison, à 3 000 francs d’amende et à être expulsé de France. Dans une déclaration publiée dans La Révolte du 26 juillet 1890, Merlino et Stoianov avaient revendiqué "être les auteurs du manifeste Aux Soldats, de l’avoir fait imprimer et distribuer, d’avoir aidé à l’imprimer et à le distribuer. La rtesponsabilité morale et légale de cet acte incombe portant sur nous et sur nous seuls. Les autres accusés ne doivvent aucunement la partager".

En 1891, il collabora à la Société nouvelle, publiée à Bruxelles, rédigeant notamment l’article « Socialisme et anarchisme ». En août, délégué par plusieurs groupes socialistes et anarchistes italiens, il essaya, en vain, d’être admis au congrès socialiste international de Bruxelles. [En fait, il avait été expulsé de Belgique avec une quinzaine d’autres compagnons – dont Weil et Lavezan. Il s’était présenté au congrès sous le nom de Libri et avait été admis comme délégué de plusieurs groupes ouvriers. Mais un des organisateurs socialistes du congrès révéla à la tribune son véritable nom, entraînant immédiatement son arrestation] (cf. Le Père Peinard, 23 août 1891)

Combattant la dérive individualiste du milieu anarchiste parisien et prônant un rapprochement avec l’aile antiparlementaire du socialisme, il publia en 1892 en italien et en français Nécessité et base d’une entente, puis l’année suivante L’Individualisme dans l’anarchisme. Il y critiquait également la conception kropotkinienne de la révolution, qu’il jugeait, avec Malatesta, trop optimiste, faussement scientifique et approximative.

À Paris, il fréquenta également à l’occasion le groupe des Étudiants socialistes révolutionnaires internationalistes (ESRI, voir Marc Pierrot).

En 1892, lors d’une tournée de propagande aux États-Unis, il fut à l’origine de la publication du journal Il Grido del popolo et fut le rédacteur principal du bi-mensuel Solidarity qui venait d’être fondé au début de l’année et cessera la publication au bout de quelques mois avant d’être repris en janvier 1894.

Au moment de la révolte des fasci de Sicile et des émeutes de Lunigiana, en 1894, Merlino rentra en Italie, fut arrêté le 30 janvier 1894 à Naples et subit deux ans de prison.

En France, il avait joué un rôle suffisant dans le mouvement pour que le commissaire spécial Moreau lui consacre un petit portrait dans son rapport de 1897 sur l’anarchisme. Il le jugeait « très habile, très retors, très fin, doué de l’esprit d’intrigue ». Son ralliement à l’action électorale après cette date provoqua un vif débat en Italie et en France, où il fut imité par Bernard Lazare. Merlino rompit ensuite avec l’anarchisme et devint pleinement socialiste, quoique hétérodoxe.

Merlino est décédé à Rome le 30 juin 1930. Lors de ce décès, Malatesta avait écrit : “Merlino avait une grande bonté d’âme et était profondément sincère et honnête. Malgré son changement d’idées, il était resté notre bon ami, toujours prêt à rendre service aux camarades lorsqu’il le pouvait” (cf. Le Libertaire, 2 août 1930).

Oeuvre en français : (anonyme), Les Deux Congrès… impossibilistes, pub. de La Révolte, 1889 — L’Italie telle qu’elle est, Savine, Paris, 1890 — Nécessité et base d’une entente, éd. Propagande socialiste, anarchiste, révolutionnaire, Imp. Alex. Longfils, Bruxelles, 1892 — Malfaiteurs et honnêtes gens, Gruppo initiativa individuale (Italie), 1892 ― L’Individualisme dans l’anarchisme, 1893 ― Formes et essences du socialisme, préface de Georges Sorel, Giard & Brière, Paris, 1898 — Le caractère pratique de l’anarchisme (in Le Réveil socialiste anarchiste, Genève, 1900).