Dictionnaire international des militants anarchistes
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BERTONI, Luigi
Né le 6 février 1872 à Milan – mort le 19 janvier 1947 - Ouvrier typographe - FUOSR - Genève (Suisse)
Article mis en ligne le 4 avril 2013
dernière modification le 22 février 2024

par Gianpiero Bottinelli, R.D.
Luigi Bertoni (doc. Heiner Becker)

Né d’un père tessinois et d’une mère lombarde, Luigi Bertoni commença à lire très jeune des brochures de propagande socialiste et anarchiste : « la lecture de ces volumes fit de moi vaguement un socialiste et un athée ; l’éducation libérale antiétatiste de mon père se transforma tout naturellement en anarchisme » (lettre à M. Nettlau, 15 juillet 1930, IISG, Amsterdam). À 13 ans, il entama à Côme (Italie) un apprentissage de typographe, mais se fit licencier au bout d’un an pour refus des heures supplémentaires : il conserva toute sa vie le certificat patronal soulignant ce refus. Il reprit un travail au Tessin, avant de passer un diplôme d’instituteur. Après avoir participé à la révolution libérale tessinoise de 1890, il partit pour Genève, à l’invitation d’une revue d’émigrés libéraux tessinois, Vita Nuova (Genève). La lecture en 1891 du journal Pensiero e dinamite (Genève, 1891, 2 numéros, 18 et 28 juillet et un saisi) publié par l’individualiste Paolo Schicchi et dont il assurait la composition, l’amena vers 1893 à adopter définitivement les idéaux libertaires où il allait être l’avocat de la tendance syndicaliste et anarchiste communiste.

En 1893 il rencontra plusieurs anciens de la Fédération jurassienne, Jacques Gross, Georges Herzig, François Dumartheray, Eugène Steiger, Auguste Spichiger, Alcide Dubois, Henry Soguel, et les communards français Antoine Perrare et Louis Pindy. “J’ai contribué avec Held, Herzig, etc., à la fondation de L’Avenir [bimensuel] et à composer les deux ou trois derniers numéros avec une partie du matériel de l’ancienne Jurassienne” (lettre à Nettlau, 15 juillet 1930). En 1896 il devint rédacteur de L’Emigrante Ticinese illustrato (Berne puis Genève), où il défendait l’autonomie des syndicats face à l’État.

En 1898 il fut repéré pour la première fois par la police politique, dénoncé au Ministère public de la Confédération pour avoir proposé au syndicat des typographes genevois de participer au Premier Mai. L’année suivante, avec Émile Held et Carlo Frigerio, il publia L’Almanacco socialista anarchico per l’anno 1900, où Malatesta appelait au regroupement des forces républicaines italiennes pour abattre la monarchie. Le procès des responsables qui se termina sur un non-lieu encouragea les anarchistes italiens et suisses à apparaître au grand jour.

C’est ainsi que commença la publication du double journal, le 7 juillet 1900 : Il Risveglio socialista anarchico, rédigé par des exilés ou des immigrés italiens, Le Réveil socialiste anarchiste par des anciens de la Jurassienne et la nouvelle génération des anarchistes de Suisse romande.
Bertoni, rédacteur responsable dès le début, eut ainsi d’innombrables collaborateurs. Jusqu’en 1910, Le Réveil/Il Risveglio fut un bimensuel bilingue (hebdomadaire de 1905 à 1908) puis, jusqu’en 1940, il se transforma en deux bimensuels, tirant au total à 4000 exemplaires. Le titre changea en 1914 pour devenir Il Risveglio comunista anarchico / Le Réveil communiste anarchiste ; le mot communiste disparut en 1925. Le journal eut quelques suppléments pour la Fédération anarchiste romande ou Ticino Libertario. Interdit en 1940 comme d’autres périodiques, il se transforma sous le titre Quelque part en Suisse, en publication clandestine de petit format, jusqu’en 1946. Les éditions du Réveil publièrent en outre une cinquantaine de livres et de brochures. Quant à Bertoni, non content de rédiger et de composer le journal à ses moments perdus, il faisait des tournées de conférences dans toute la Suisse, une centaine par an pendant quarante ans dans les groupes italophones ou francophones, favorisant ainsi le développement du mouvement.

Suite à l’attentat commis par Bresci en juillet 1900 contre le roi Umberto, le gouvernement suisse avait arrêté plusieurs compagnons les menaçant de les extrader en Italie. Aussitôt Bertoni avait commencé dans son journal une vigoureuse campagne pour le droit d’asile.

En 1901 il lança avec des anarchistes, des socialistes et des syndicalistes le Groupe pour la défense de la liberté d’opinion, qui dénonça les méthodes liberticides de la police suisse, notamment envers les travailleurs étrangers ; il s’occupa notamment de l’expulsion du canton de Berne du socialiste Benito Mussolini, qui vécut en Suisse de 1902 à 1904 et qui, en remerciements, traduisit en italien les Paroles d’un révolté de Kropotkine et dans le journal La folla (août 1912) le décrivait ainsi : « Je l’ai connu à Berne en 1903… Grand, sec, nez proéminent, figure anguleuse, imberbe, il a quelque chose de l’ascète… Ouvrier typographe, il travaille de son métier huit heurs par jour et trouve encore le temps nécessaire pour écrire son journal et faire des tournées de propagande. Son activité est prodigieuse… »

Bertoni, connut la prison à plusieurs reprises. En octobre 1902, considéré comme responsable de la première grève générale en Suisse, à Genève, il fut arrêté dès le deuxième jour, emprisonné avec entre autres Karl Steinegger et le socialiste John Croisier et condamné le 12 novembre (défense de Bertoni publiée dans Le Réveil, 22 novembre & 7 décembre 1902) à un an de prison, mais libéré après 132 jours pour éviter une grève de protestation autour du 1er mai 1903. Il appuya au cours des années suivantes de nombreuses grèves dont celle des ouvriers du bâtiment (1903), des ouvriers fondeurs (1905) ou des ouvriers chocolatiers (1906) ce qui lui valut d’être qualifié par la presse réactionnaire et bourgeoise de « gréviculteur ».

Secrétaire de l’Union ouvrière de Genève, il fut un des rédacteurs en 1905 – avec A. Rouiller et J. Karly – des statuts de la Fédération des Unions Ouvrières de la Suisse Romande (FUOSR), d’orientation syndicaliste révolutionnaire, qui regroupait quelque 70 syndicats et 8000 membres (l’Union syndicale suisse en ayant quant à elle 40 000). La FUOSR avait son hebdomadaire, La Voix du Peuple, publié à Lausanne puis à Genève de 1906 à 1914 ; ses secrétaires n’étaient pas payés, les unions membres conservaient leur autonomie. Elle soutenait l’action directe, la grève générale, la liberté de l’avortement, l’antimilitarisme et l’antiélectoralisme. Elle a soutenu l’École Ferrer de Lausanne, de 1910 à 1919 de Jean Wintsch.

Bertoni fut à nouveau condamné à trente jours de prison en décembre 1906 pour un article commémorant l’attentat de Gaetano Bresci contre le roi d’Italie en 1900 ; l’auteur de l’article anonyme était Felice Vezzani, peintre italien établi à Paris. En janvier 1907, le gouvernement genevois décidait de l’expulser du canton, mais la décision ne put être appliquée en raison de menaces d’une grève générale.
En 1907 il se montra opposé à la participation au congrès anarchiste international d’Amsterdam (août) où la Suisse fut finalement représentée par Amédée Dunois.

En 1909, lors de la grève des typographes du Journal de Genève, il résista aux agents qui l’avaient arrêtés alors qu’il peignait des slogans en faveur des grévistes, mais fut finalement acquitté lors du procès. En 1912, il passa un mois en prison à Zurich, faussement accusé par un employé du Consulat d’Italie.

En 1909, Bertoni avait proposé de réanimer la Ligue antimilitariste en convoquant un congrès à Bienne, auxquels participèrent les tendances les plus radicales du mouvement ouvrier. Mais le congrès se sépara en deux camps, ceux qui prônaient la désertion, le refus individuel et collectif de servir, la destruction de l’armée et la remise des armes au peuple, et ceux qui défendaient la propagande défaitiste au sein de l’armée et sa transformation en armée populaire, comme F. Brupbacher.

Fin janvier 1914, i fit une série de conférences organisées à Paris par l’union régionale de la Fédération communiste anarchiste (FCA).

En 1915, quand l’Italie entre en guerre, les anarchistes distribuèrent dans toutes les villes de Suisse un tract en italien, « Non partite ! » (ne partez pas). Bertoni préconisait de mettre fin à la guerre par la révolution sociale, tandis que deux de ses proches compagnons, Herzig et Wintsch, abandonnèrent le Réveil sur des positions interventionnistes. Le journal, un des rares à paraître sans discontinuer pendant la guerre, accueillit les articles de toutes les tendances, restant toutefois ferme sur ses positions. Farouchement opposé à la guerre, Bertoni, dans une réponse à Jdean Grave rallié à l’Union sacrée, écrivait : « Nous sommes anarchistes non pas dans la mesure où nous nous adoptons au milieu, mais dans celle où nous savons lui résister et nous en affranchir. Laissons aux social-démocrates de justifier continuellement par les anciennes, les nouvelles concessions, compromissions et contradictions. Nous demandons, au contraire, à l’individu d’avoir le plus souvent possible la force de se ressaisir. Ce n’est d’ailleurs pas en se laissant envoyer à la boucherie qu’on domine les évènements, on en devient ainsi plus que jamais le jouet. Nous ne sommes, ni n’avons jamais été neutres. Ce mot me répugne plus que tout autre. Nous sommes au contraire les ennemis de tous les racismes, de tous les militarismes, de tous les impérialismes. C’est pour cela qu’il ne nous est pas permis il n’est pas permis de confondre, ne fut-ce que momentanément, notre cause avec l’un d’entre eux… ».

Dans cette période de grandes manifestations et de radicalisations, qui culmina dans la première (et dernière) grève générale nationale en novembre 1918, Bertoni fut arrêté à Zurich avec une centaine d’anarchistes pour une sombre histoire de trafic d’armes entre l’Allemagne et l’Italie – affaire dite des « bombes de Zürich » où la police avait découvert en avril 1918 un stock de grenades qu’elle attribua à de soi-disant anarchistes italiens. Emprisonné des mois sans contact avec l’extérieur, il passa en procès en juin 1919, après treize mois de détention, et fut innocenté avec une vingtaine d’autres (plusieurs avaient été expulsés entre-temps du pays). À son retour à Genève, il fut accueilli par une foule de 15’000 personnes.

Il organisa les 16 et 17 septembre 1922 à Bienne et Saint-Imier le congrès du cinquantenaire de l’Internationale anti-autoritaire, qui servit surtout à clarifier les positions sur les méthodes autoritaires des bolchevistes et l’écrasement de toute opposition de gauche, répétant les principes du congrès de Saint-Imier en 1872. Dernier survivant de ce congrès, et bien qu’interdit de séjour en Siisse depuis 1881, Malatesta avait participé à cette manifestation.
À la mort de Lénine, deux ans plus tard, Le Réveil s’exclama : « C’est un homme d’État qui est mort, non un homme du peuple ! »

En octobre 1923 il fut arrêté et expulsé de France alors qu’il venait participer à un congrès anarchiste international.

Les années suivantes, les anarchistes de Suisse romande furent surtout actifs dans le mouvement ouvrier, ainsi que dans la lutte contre le fascisme et l’aide aux victimes en Italie et en exil, avec quelques confrontations violentes à Genève. Bertoni, qui fut toujours proche d’Errico Malatesta, publia des échanges de ce dernier avec Makhno et les courants plateformistes, se faisant à nouveau un lieu d’accueil pour les différentes tendances des mouvements anarchistes.

En octobre 1936, à 64 ans, Bertoni fit une tournée en Espagne où il parla dans des meetings – notamment au cinéma Olympia de Barcelone aux cotés de Sébastien Faure et de Federica Montseny -, visita le front d’Aragon, et milita pour la révolution et le soutien aux volontaires et aux combattants. Cela ne fit qu’encourager le gouvernement suisse à prendre des mesures contre la presse anarchiste, jusqu’à interdire le Réveil (n°1053) en aôut 1940. Malgré l’abandon de certains compagnons passés au Parti socialiste ou dans les syndicats réformistes, Bertoni fit reparaître le journal sous forme de brochures publiées Quelque part en Suisse (147 numéros jusqu’en 1946) qui ne cessaient de dénoncer la propagande nationaliste, les alliances avec le grand capital, les trahisons des socialistes.

Luigi Bertoni, qui le 1er juillet 1945, après un hommage à Bakounine au cimetière de Berne avait participé à une assemblée d’une trentaine de compagnons ayant décidé la constitution d’une union des groupes anarchistes suisses, est mort à Genève d’une hémorragie cérébrale, le 19 janvier 1947 et a été incinéré au crématoire de Saint-Georges.

Collection Il Risveglio/ Le Réveil


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