Dictionnaire international des militants anarchistes
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MARTIN, Pierre “Le Bossu”
Né à Vienne (Isère) le 15 août 1856 – mort le 6 août 1916 - Ouvrier tisseur ; photographe ambulant - FCA - Vienne (Isère) – Romans & Saint-Vallier (Drôme) - Paris
Article mis en ligne le 1er juillet 2008
dernière modification le 11 février 2024

par R.D.
Pierre Martin

Fils d’une servante de ferme, Pierre Martin dit Le bossu, avait commencé à travailler très jeune comme ouvrier tisseur. A l’age de 14 ans il participait à sa première grève, puis en 1879 à la longue grève de 5 mois des ouvriers tisseurs de Vienne qui se soldera par un échec. D’abord républicain, il devint ensuite anarchiste devant la trahison de la République bourgeoise. Au début des années 1880 il fondait à Vienne le groupe Les indignés, organisait dans la région de nombreuses réunions et ralliait à l’anarchisme les militants ouvriers les plus actifs. Le 12 septembre 1880, il participait au congrès de Vevey, préparatoire du congrès de la Fédération jurasienne de la Chaux-de-Fonds (9-10 octobre). L’année suivante il assistait le 14 juillet au congrès de Londres aux cotés entre autres de Louise Michel et d’Émile Pouget. Il était alors membre de la Fédération révolutionnaire de l’est qui regroupait la plupart des militants anarchistes de la région.

Après les violentes manifestations des mineurs à Montceau-les-Mines en août 1882 et les attentats commis à Lyon en octobre suivant, P. Martin était arrêté avec d’autres compagnons de Vienne et impliqué dans le procès dit des 66 qui s’ouvrit à Lyon le 8 janvier 1883 et dans lequel comparurent classés en deux catégories : Chavrier, Coindre, Damians, François et Louis Dejoux, Desgranges, Didelin, Dupoisat (ou Dupoizat), Fabre, Fages (ou Farges), Régis Faure, Gaudenzi, Genet, Genoud, Giraudon (ou Girodon), Gleizal (ou Garnier-Gleizal), Hugonard (ou Hugonnard), Huser, Landau (ou Landeau), Mathon, Michaud, Morel, Pautet (ou Pautel), Peillon, Péjot, Hyacinthe et Joseph Trenta, Tressaud (première catégorie), Baguet dit Bayet, Bardoux (ou Bardou), Berlioz-Arthaud, Joseph Bernard, Blonde, Bonnet, Bonthoux, Toussaint Bordat, Boriasse, Bourdon, Bruyère, Champalle (ou Champal), Chazy, Cottaz, Courtois, Crestin, Cyvoct, Dard, Ebersold, Étienne Faure dit Cou-Tordu, Garraud dit Valadier, Émile Gauthier (ou Gautier), Joly, P. Kropotkine, Liégeon, Pierre Martin, Maurin, Pinoy, Renaud, Ribeyre, Jean Ricard, Sala, Sanlaville, Sourisseau (ou Sourrisseau), Thomas, Viallet, Voisin, Zuida (deuxième catégorie) tous accusés d’appartenir à l’Internationale. Dans le journal Le Progrès de Lyon du 17 janvier 1883 Pierre Martin était décrit comme « un jeune homme que la nature n’a pas très bien doté au point de vue de la structure : il est bossu. Mais dans sa tête il y a du Kropotkine, les traits sont un peu ceux du célèbre agitateur ». Au cours du procès, s’il récusa l’affiliation à l’internationale, il revendiqua son appartenance à l’anarchisme : « Nos idées sont-elles d’ailleurs tellement subversives qu’on ne puisse les discuter ? Nous voulons la liberté pour tous, l’égalité pour tous. Ah, si au lieu de prêcher l’égalité, nous avions prêché le servilisme, si nous avions dit au travailleur : obéis, courbe l’échine, ne te plains jamais, nous ne serions pas assis sur ces bancs… ce qu’on demande ici, c’est la condamnation d’idées, de tendances, d’opinions qui ne plaisent pas au gouvernement… Si vous me condamnez comme anarchiste, vous ne vous trompez pas, si vous me condamnez pour affiliation à l’Internationale, vous vous trompez absolument » (cf. Le Révolté, 20 janvier 1883). Le 19 janvier P. Martin était condamné à 4 ans de prison, 100f d’amende, 10 ans de surveillance et 5 ans de privation des droits civiques et familiaux.

Il fut interné à la prison centrale de Clairvaux où il deviendra très proche de Kropotkine qui était détenu dans une cellule voisine. Son séjour à Clairvaux fut très pénible en raison de sa santé fragile et, victime de pneumonie, il fut à plusieurs reprises hospitalisé. Dans un rapport confidentiel daté du 6 août 1885, le directeur de la prison notait à son propos : « Très intelligent. D’une instruction très supérieure à celle que possèdent d’ordinaire les ouvriers des grandes villes. Nature très sensible, généreuse ; doué d’une grande énergie morale ; semble profondément convaincu de ses idées ». Libéré en janvier 1886 suite à une amnistie, il regagnait immédiatement Vienne et reprenait plus que jamais ses activités, participant dès son retour et dans les mois suivants au soutien et à la collecte de secours en faveur des grèvistes de Decazeville. Il demeurait à cette époque au 19 rue des Epis.

Suite à une série de conférences tenues dans la région en février et avril 1890 par Tortelier, Louise Michel et Tennevin sur le thème du 1er mai et de la grève générale, il fut l’un des organisateurs de la manifestation qui réunit à Vienne quelques 3000 personnes qui en plusieurs cortèges précédés de drapeaux rouge et noir tentèrent d’aller débaucher les ouvriers de trois entreprises qui n’avaient pas suivi le mot d’ordre de grève, s’affrontèrent à la police et pillèrent le magasin de tissus Brocard, action que lors du procès P. Martin raconta en ces termes : « On arriva enfin chez Brocard. Là, il y eut comme un frisson qui courut dans cette foule de prolétaires. Hommes, femmes et enfants s’arrêtent et un cri formidable partit de touts les poitrines : Brocard le misérable, Brocard l’affameur !… On enfonça les portes, on s’engouffra dans le magasin, on y saisit une coupe de draps de 43 mètres, on la jeta au peuple, on la traîna dans la boue, on la coupa, on la déchira, on se l’arracha. Il semblait qu’on coupait ; qu’on s’arrachait, qu’on déchirait du Broccard ». Traduit le 8 août 1890 avec 19 autres inculpés, dont Tennevin et Jean-Pierre Buisson, devant la cour d’assises de l’Isère, P. Martin, qui lors de son interrogatoire avait rappelé que « des tisseuses et des petits appondeurs travaillaient 18h par jour et que le service de nuit pour les femmes durait de 7 heures du soir à 5 heures et demie du matin sans interruption », fut condamné à 5 ans de prison, 10 ans d’interdiction de séjour et 200f d’amende. Tennevin avait été condamné à 2 ans et Buisson à un an d’emprisonnement. Au sujet de ce procès, Martin écrivait : “….il y a eu un moment vraiment touchant dans ce procès : c’est lorsqu’il a fallu que nos collègues acquittés se séparent de nous. Toute la salle a été empoignée par cette scène de douleur, non pas de ceux qui restaient mais de ceux qui étaient libres. Ils se jetèrent à notre cou en pleurant, en protestant qu’on n’avait pas le droit de les mettre en liberté quand on nous gardait, qu’ils étaient aussi coupables que nous s’il y avait des coupables. Enfin je n’oublierai jamais ce débordement de tendresse, cette explosion d’une aussi noble solidarité. Qu’on dise maintenant à Grenoble que les anarchistes dont des êtres féroces…” (cf. La révolte, 5 septembre 1890). Lors de ce procès, un meeting public et contradictoire avait été organisé par les groupes anarchistes de Grenoble auquel assistèrent environ 2.000 personnes et où prirent la parole Horcelin de Vienne, Mollet de Marseille, Audin de Saint-Étienne et Octave Jahn. Les autres inculpés de ce procès, tous, à l’exception de Tennevin comptable, étaient des tisseurs ou des cardeuses à Vienne : Chatain dit Savate (48 ans), Antoine Piolat (31 ans), Genet (45 ans), Garnier (25 ans), Cellard (36 ans), Michel Huguet (16 ans), Lombard (22 ans), Marie Huguet (24 ans), Célestine Tavernier (19 ans), Jeanne Tavernier (16 ans), Jeanne Béal (19 ans), Françoise Oriol (17 ans), Gagelin dite La petite bossue (29 ans), Émilie Fustier femme Tabard (19 ans) et Pauline Chastan femme Parot (38 ans).

Interné à la prison de Gap où Élisée Reclus lui rendra visite, il se pourvoyait en cassation et le 8 décembre 1890 la cour d’assises de Gap réduisait la peine à 3 ans de prison. Ce nouvel emprisonnement n’entamera pas son courage et sa détermination et il écrivait à propos du procès à Jean Grave : « Tout a marché au mieux des intérêts de la propagande. La salle d’audience était trop petite pour contenir tout le monde. Pour la première fois que la parole anarchiste se fait entendre dans ces montagnes, l’impression est énorme… j’ai pu parler pendant près de deux heures et je peux te narrer combien ce peuple est intéressant comme auditoire. Son cœur vibrait à l’exposé de nos idées » (20 décembre 1898). Il fut ensuite transféré à la prison d’Embrun avant d’être libéré le 3 août 1893 et d’être interdit de séjour à Vienne. A son passage à Grenoble il était de nouveau emprisonné avant de gagner Romans (Drôme) où il s’installait avec sa femme Fanny (née Chaumaret) qui était couturière. Il travaillait comme tailleur et fondeur et participait aux activités du groupe anarchiste local mais moins activement qu’à Vienne.

Le 18 février 1894 il était perquisitionné et arrêté avec 9 autres compagnons de Romans et Bourg-de-Péage - dont Jules Blanchet et Claude Dalmais - et suite à la découverte lors de la perquisition de brochures anarchistes, inculpé de « participation à association de malfaiteurs ». Lors de son interrogatoire le 20 février il déclara : « Je suis un anarchiste théoricien, mais je ne suis pas de ceux qui lancent des bombes ». A sa compagne il écrivit : « On nous arrête uniquement parce qu’on nous sait anarchistes et que nous avons la coupable audace de ne pas renier nos convictions honnêtes et sincères ». Le 6 mai1894 il adressa au ministre de la Justice une lettre (voir portfolio) pour protester contre sa longue détention préventive et dans laquelle il revendiquait ses convictions “ayant la foi sincère de défendre une cause juste, je n’ai jamais hésité d’en revendiquer hautement les principes d’humanité qu’elle implique”. Libéré de la prison de Valence le 10 mai 1894 suite à un non-lieu, et pour échapper à la pression policière, le couple Martin s’installa alors à Saint-Vallier où il devint photographe ambulant.

En 1901, un Pierre Martin (est-ce lui ou un homonyme ?) fut délégué d’un syndicat de métallurgistes de Valence au congrès tenu à Saint-Étienne par l’Union fédérale des métallurgistes de France.

En 1902 il quittait Saint-Vallier pour s’établir en face dans une roulotte à Sarras sur la rive ardèchoise du Rhône. En mars 1906 il était poursuivi pour l’affichage à Saint-Vallier d’un placard antimilitariste le jour du conseil de révision, mais bénéficiait finalement d’un non-lieu. Il semble être allé ensuite à Lyon où l’année suivante il fut l’un des 34 signataires du manifeste Bravo l’armée antimilitariste élaboré à la Bourse du travail, glorifiant les mutins du 17e Régiment à Nabonne et dont la diffusion entraîna en novembre un procès contre une vingtaine de compagnons. Toutefois, P. Martin, ne fut pas poursuivi, ce dont il s’étonna à l’ouverture du procès où il était cité comme témoin et où il avait revendiqué la responsabilité de l’affiche au même titre que les inculpés.(cf. Le Libertaire, 8 décembre 1907).

Puis, sans doute en 1910, il décidait de visiter Paris et c’est au cours de ce séjour que des compagnons le persuadaient d’y rester pour s’occuper de l’administration, du Libertaire.

Membre de la Fédération Communiste révolutionnaire, où il avait été chargé avec Hubert Beaulieu, André Schneider et Auguste Dauthuille en avril 1911 d’élaborer la doctrine de l’organisation, et domicilié au siège du Libertaire, 15 rue d’Orcel, il était arrêté le 16 octobre 1910 lors de la grève des chemins de fer et inculpé de « détention d’explosifs » mais bénéficia le 12 novembre d’un non-lieu. Bien qu’âgé et malade, il participait alors à toutes les réunions et meetings organisés par la Fédération Communiste Anarchiste et était inscrit en 1911 au Carnet B. Il fut également l’un des membres actifs des Amis du Libertaire fondé en avril 1912 pour soutenir le journal dont il était alors l’administrateur, aidé par Hélène Lecadieu. Selon un rapport de police il prenait alors 1, 20 franc par jour pour sa nourriture tandis qu’ Hélène Lecadieu prenait 1, 50 franc et le journal était tiré à 7.500 exemplaires et comptait 350 abonnés. Les principaux rédacteurs étaient alors Jacquemin, Mualdes, Bricheteau, E. Guichard, Letroquer, G. Yvetot et Léon Michel.

Le 27 mars 1912, suite à un article paru dans Le Libertaire sur les troubles en Champagne, il était poursuivi avec Jacquemin pour « provocation au meurtre, au pillage et à la désobéissance » mais était acquitté par la Cour d’assises de la Seine tandis que Jacquemein était condamné à 1 an de prison.

Pierre Martin n’approuva pas l’illégalisme, tout en le considérant légitime, car il ne constitue pas " un facteur d’affranchissement social " (cf. Le Libertaire, 6 avril 1912). Il assista, au titre de représentant du Libertaire, au congrès anarchiste national qui se tint à Paris en août 1913. À ce congrès il refusa à Mauricius, anarchiste individualiste, le droit de parole : " Entre vous et nous, il n’y a pas d’entente possible " (cf. Le Libertaire, 23 août). À l’issue du congrès, il fit partie de la commission de huit membres (Assier, Belin, A. Girard, Lacaze, Legrand, P. Martin, Schneider, Togny) chargée de constituer définitivement la nouvelle Fédération.

A l’automne 1913, aux côtés notamment de Bidamant, Charles Doghe, Thuillier et Francis Delaisy, il particpait à la campagne pour la suppression des Conseils de guerre et l’amanistie des soldats emrisonnés.

Pierre Martin sur son lit de mort

Après le déclenchement de la première guerre mondiale il se refusa au ralliement à l’union sacrée et avait déclaré que si "il avait été mobilisé, il n’aurait certainement pas répondu à l’appel". Selon un rapport de police (26 mars 1915) il aurait même conseillé à Henri Beaulieu Beylie de déserter après l’avoir "agoni, lui l’anarchiste conscient, d’avoir revêtu la livrée militaire". En apprenant qu’Aubin avait été blessé, il avait déclaré "Tant mieux, il serait à désirer que tous les anarchistes qui ont accepté le rôle de soldat souent tués, cela prouverait aux révolutionnaires, à l’avenir, qu’il est plus avantageux de se révolter en restant fidèle aux principes".
En août 1915 il participait à l’édition et à la diffusion d’un Appel international en faveur de la paix. Après la publication en mars 1916 du Manifeste des 16 (15 anarchistes favorables à l’union sacrée dont Kropotkine, Jean Grave, C. Malato) « il condamnait de la façon la plus catégorique et la plus sévère la retentissante déclaration où les 16… s’évertuaient à justifier leur conduite » (cf. Ce qu’il faut dire, 12 août 1916) et se joignait à Sébastien Faure pour éditer le journal Ce Qu’il Faut Dire (Paris, n°1, 2 avril 1916). Pierre Martin décédait le 6 août 1916 au siège du Libertaire et était incinéré le 9 août au Père Lachaise où Sébastien Faure, Octave Jahn, Schneider et Lepetit prirent la parole.

Quelques jours après son décès, Sébastien Faure écrivait à son propos : « …Dans un corps petit et d’apparence chétive, une volonté de fer et une énergie indomptable. Sous une enveloppe quelque peu disgracieuse en raison de sa gibbosité, un cerveau exceptionnellement lucide et une conscience d’une rare beauté », il possédait « à un degré rare cette éloquence qui du cœur monte aux lèvres de celui qui parle et de ses lèvres va directement au cœur de celui qui l’écoute » (Ce Qu’il faut dire, 12 août 1916). Dans le numéro du 26 août, Théophile Argence qui avait milité avec lui à Vienne, l’évoquait en ces termes : “Je vois ses yeux étincellants dont le regard tout de franchise et de bonté nous pénétrait ; je le vois aussi sourire malicieusement sous le binocle, quand, essayant de nous convaincre, il sentait très bien que nous faiblissions devant ses arguments. D’une intelligence peu commune, d’une volonté plus exceptionnelle encore, Pierre Martin, n’ayant reçu qu’une instruction primaire, a su s’élever à un niveau intellectuel et moral digne d’être égalé”. Le journal CQFD éditera et diffusera une carte postale le représentant sur son lit de mort.


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