Dictionnaire international des militants anarchistes
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BORDAT, Toussaint
Né à Chassenard (Allier) le 11 juillet 1854 - Ouvrier tisseur ; cafetier ; marchand de journaux - Lyon (Rhône) – Genève - Paris - Narbonne (Aude)
Article mis en ligne le 13 décembre 2007
dernière modification le 22 février 2024

par R.D.

Toussaint Bordat, à peine âgé de 16 ans, avait été condamné par le tribunal correctionnel de Roanne (Loire) le 15 juillet 1870 à deux mois de prison pour vol. Il combattit ensuite, comme engagé volontaire, dans le Loiret, à Coulmiers et à Orléans, avec l’armée de la Loire, en novembre 1870.

Devenu ouvrier tisseur, il s’installait en 1872 ou 1873 à Lyon (39 rue Denfert-Rochereau) où il commença à militer dans les rangs des canuts de la Croix-Rousse. Il avait d’abord demeuré Impasse Gorot pendant 4 ans environ, puis rue Imbert Colomes. Il travailla d’abord de son métier avant de vendre ses deux métiers à tisser et d’ouvrir au 1 rue Romarin une petite épicerie et une buvette qu’il revendit peu après.

En 1875 il aurait été délégué de la corporation des tisseurs à un congrès socialiste tenu à Paris.

Les 28 janvier – 8 février 1878, il participa comme délégué au congrès ouvrier de France tenu à Lyon. L’année suivante, après la création à Marseille du Parti ouvrier socialiste, il fut élu à la commission de propagande de la Fédération de l’Est qui venait de se créer.
Délégué de Lyon avec Joseph Bernard au congrès du parti tenu au Havre en novembre 1880, il ne tarda pas à s’opposer à la ligne marxiste adoptée par le congrès. Membre de la fraction abstentionniste avec Joseph Bernard, il fut à l’origine de la création en mai 1881 d’un Parti d’action révolutionnaire hostile aux guesdistes et partisan de l’action directe. Lors du congrès de la Fédération de l’Est du Parti ouvrier à Saint-Étienne en juin 1881, il tenta en vain avec Bernard de faire adopter ses thèses. Il rompit alors avec le parti et la plupart des anarchistes de la région quittèrent le parti pour former la Fédération révolutionnaire de l’Est.
En août 1881, avec notamment Bernard, il alla défendre la position abstentionniste lors des réunions électorales organisées à Lyon par le Comité socialiste révolutionnaire. Lors de l’une de ces réunions, le 15 août 1881 à la salle La Perle de La Croix Rousse, il avait en outre protesté contre l’attitude du commissaire de police qui, sous prétexte que c’était une réunion électorale, avait fait évacuer de la salle les femmes qui y étaient présentes.

Vers le début de l’automne 1881, il ouvrit un café restaurant au 70 rue Moncey, quartier de la Guillotière, où lors des réunions privées - notamment celles de la section de La Guillotière -, un drapeau rouge et un drapeau nor étaient déployés au fond de la salle décorée de drapeaux rouges.

En octobre 1881, selon la police, il avait été à l’origine de la publication d’une photographie diffusée clandestinement. La photo, intitulée Le triomphe de la bourgeoisie : projet de monument à la mémoire de Thiers sur la place de la Concorde à Paris, représentait Thiers écrasant la République, avec à sa droite le général Gallifet et la devise "la force prime le droit !" et à sa gauche, une femme du peuple avec la devise "L’Humanité crie vengeance !".

Le 15 octobre 1881, à la salle de l’Elysée du quartier de la Guillotière, “décorée de douze drapeaux rouges et d’un drapeau noir avec franges blanches”, il participa, avec entre autres Boriasse, Hugonnard, Joseph Bernard, à la réunion déclarée à caractère privée, tenue par la Fédération sur la question tunisienne et à laquelle assistèrent environ 350 personnes.
Le 30 octobre, à l’issue d’un meeting tenu à la salle de l’Alcazar où Gauthier de Paris avait été l’orateur principal, seize compagnons - dont Gauthier, Bernard, Péjot, Damian, Boriasse, Roccard, Pautet et sa femme, P. Martin et sa femme et Dumont s’étaient retrouvés chez Bordat pour y souper. Selon le rapport d’un indicateur, Bernard y avait notamment critiqué “d’un point de vue tactique” la tentative de destruction de la statue de Thiers à Paris, dont Gauthier avait déclaré que cette tentative “avait produit quand même son effet”…

Les 21 et 29 novembre 1881, il intervenait à Villefranche lors d’une grève pour obtenir une heure de travail en moins. Il y présentait la Fédération révolutionnaire et assurait que pour réussir une grève, on avait “le droit de commettre des violences envers les patrons… et violer la loi qui est celle des capitalistes”. A la fin de son intervention, on lui avait tendu un drapeau rouge. Il avait alors expliqué que “tous les autres drapeaux ont fait leur temps, que le drapeau tricolore est tombé dans la boue de Sedan et qu’il faut acclamer le drapeau rouge et sans tache de la Commune”.

En 1882 il collaborait à l’organe socialiste La Bataille (Paris, n°1, mai 1882) dont le rédacteur en chef était Lissagaray et auquel collaborèrent plusieurs anarchistes jusqu’en août où Brousse et la plupart des libertaires abandonnèrent le journal.

Le 23 février 1882 il avait été condamné à Lyon à 50 francs d’amende pour "coups et blessures volontaires".

Le 10 juin 1882, aux cotés notamment de Crestin, il avait été l’orateur d’une réunion présidée par Sanlaville à Villefranche et qui avait réuni environ 400 personnes.

Le 18 juin 1882, il était à la tête de la manifestation des mineurs de la Ricamarie commémorant la fusillade de 1869 et où eurent lieu des affrontements avec les forces de l’ordre. I y était porteur d’une couronne portant l’inscription “Le Droit social et la fédération révolutionnaire lyonnaise aux assassinés de la Ricamarie” ; deux autres couronnes avaient également été déposées, l’une recouverte de toile cirée noire et sigée “Villefranche - Groupe Le Glaive” et l’autre rouge signée “Les anarchistes stéphanois”. Poursuivi, il fut condamné le 27 juin par le tribunal correctionnel de Saint-Étienne, à un mois de prison pour “bris de clôture, viol de sépulture et port d’armes prohibées”. Pour protester contre cette condamnation, Louise Michel et Rouanet tinrent début juillet devant 1500 personnes, un grand meeting à la salle de l’Alcazar à Lyon.
Dès sa sortie de prison, il participa le 29 juillet à une réunion publique où il fit le récit de la manifestation de la Ricamarie, de son arrestation, de son procès en correctionnelle, puis avait critiqué le régime intérieur des prisons qui “force les détenus à assister à la messe”.

A la même époque, il collaborait au journal Le Droit social (Lyon, 24 numéros du 12 février au 23 juillet 1882) dont le gérant était Louis Dejoux et qui était l’organe de la Fédération socialiste révolutionnaire lyonnaise qui comptait alors 15 sections. Suite aux poursuites, le journal disparaissait et était remplacé par L’Etendard Révolutionnaire (Lyon, 12 numéros et un supplément du 30 juillet au 15 octobre 1882) dont seront gérants Claude Crestin, puis Antoine Cyvoct, puis Jean-Marie Bourdon qui seront tous poursuivis et lourdement condamnés.
Toussaint Bordat aurait été, selon la police, secrétaire de rédaction de ce journal pour lequel il recevait un appontement de 150 francs par mois, mais il pourrait s’agir d’une confusion avec Bourdon.

Les 13 et 14 août 1882, il participa comme délégué à la réunion internationale organisée à Genève par la Fédération jurassienne à l’issue de laquelle fut publié un Manifeste refusant le suffrage universel pour renverser les institutions, recommandant la séparation totale d’avec tout parti politique et adoptant le communisme comme but final. Le Manifeste désignait comme ennemis “tous ceux qui se sont emparés d’un pouvoir quelconque ou veulent s’en emparer : propriétaire, patron, État, magistrat, prêtre”. (cf. L’Etendard Révolutionnaire, 20 août 1882). Après la réunion, Bordat était allé à Lausanne avec Dejoux pour y tenir une réunion contradictoire (Dieu et l’État) à laquelle assistèrent environ 1500 personnes. Il y avait notamment déclaré que “Dieu n’était qu’un mannequin ignoble” ce qui avait provoqué un “grand tumulte” et la levée de la séance sur réquisition du cafetier propriétaire de la salle.

Suite aux violentes manifestations de Montceau-les-Mines en août 1882 et des attentats à la bombe commis à Lyon, Toussaint Bordat était arrêté le 14 octobre avec de nombreux compagnons et impliqué dans le procès des 66. Sa femme Pauline née Burdeau (ou Durteaux ?) fut également arrêtée le 28 novembre et inculpée pour appartenance à "une association internationale ayant pour but la destruction de la propriété". Le café des Bordat avait alors été mis sous la direction de la sœur de Toussaint, âgée de 13 ans.
Lors de la perquisition effectuée à son domicile le 26 novembre 1882, la police avait saisi entre autres choses : deux photos "obscènes", deux timbres de la société Le Droit social, divers courriers et reçus, une carte d’entrée à une conférence de Louise Michel, l’action n°1282 du Droit social, deux listes de souscription pour Le Droit social et les victimes de la réaction bourgeoise, des listes de délégués au 2e congrès régional de l’est, un placard (affiché dans le café) avec le nom de 4 jurés et l’inscription "A mort !", une quarantaine de brochures diverses, 32 livrest de sociétaires au Droit Social, divers placards et un grand nombre d’exemplaires de journaux dont Le Droit social, la Bataille, L’Etendard révolutionnaire, Le Révolté, Le Radical algérien, L’anarchie, L’égalité, Le forçat, La revista social… et enfin 6 drapeaux rouges et un grand drapeau noir à franges argent.

L’accusation avait classé les prévenus en deux catégories. La première comptait les 28 prévenus suivants : Chavrier, Jean Antoine Coindre, Joseph Damians, François et Louis Dejoux, Desgranges, Nicoles Didelin, Dupoisat (ou Dupoizat), Fabre, Fages (ou Farges), Régis Faure, Gaudenzi, Genet, Genoud, Giraudon (ou Girodon), Gleizal (ou Garnier-Gleizal), Hugonard (ou Hugonnar), Huser, Landau (ou Landeau), César Mathon, Michaud, Jules Morel, Pautet (ou Pautel), Peillon, Péjot, Joseph et Hyacinthe Trenta Hyacinthe et Tressaud.
Cette catégorie était accusée “d’avoir, depuis moins de trois ans, à Lyon ou sur toute autre partie du territoire français, été affiliée ou fait acte d’affiliation à une association internationale ayant pour but de provoquer à la suspension du travail, à l’abolition du droit de propriété, de la famille, de la patrie, de la religion et d’avoir ainsi commis un attentat contre la paix publique”.

Les 38 prévenus de la seconde catégorie étaient : Baguet dit Bayet, Bardoux (ou Bardou, Berlioz-Arthaud), Joseph Bernard, Blonde, Félicien Bonnet, A. Bonthoux, Toussaint Bordat, Boriasse, Jean-Marie Bourdon, Bruyère, Champalle (ou Champal), Chazy, Cottaz, Courtois, Claude Crestin, Antoine Cyvoct, Dard, Ebersold, Étienne Faure Cou-Tordu, Georges Garraud dit Valadier, Émile Gautier (ou Gauthier), Joly, Kropotkine, Liégeon, Pierre Martin, Maurin, Pinoy, Renaud, Ribeyre, Jean Ricard, Sala, Sanlaville, Sourisseau (ou Sourrisseau), Thomas, Viallet, Charles Voisin, Zuida.
À la seconde catégorie était imputé “d’avoir, dans les mêmes circonstances de temps et de lieu, accepté des fonctions de cette association ou d’avoir sciemment concouru à son développement, soit en recevant ou en provoquant à son profit des souscriptions, soit en lui procurant des adhésions collectives ou individuelles, soit enfin en propageant ses doctrines, ses statuts ou ses circulaires” (d’après la Gazette des Tribunaux, 10 janvier 1883).

Bordat prévenu de la deuxième catégorie présenta lui-même sa défense au cours de laquelle il dénonça Georges Garraud Valadier — autre inculpé réfugié en Suisse — comme un indicateur que la police avait fait entrer dans les rangs anarchistes. Le procès s’acheva le 19 janvier 1883. Bordat fut condamné à cinq ans de prison, 2 000 f d’amende, dix ans de surveillance et quatre ans de privation de droits civils ; ce jugement fut confirmé par arrêt de la cour d’appel de Lyon le 13 mars 1883. Interné à Clairvaux, Bordat fut libéré le 17 janvier 1886 et fut, selon la police, “acclamé et porté en triomphe par un groupe d’amis” à son retour à Lyon.

Il n’avait rien perdu de son allant révolutionnaire, et son retour à la vie militante marqua un regain dans l’activité du mouvement anarchiste lyonnais. Aussitôt, il s’opposa à son ancien camarade Joseph Bernard, autre condamné du procès de Lyon, libéré lui aussi, et dont la pensée évoluait vers le blanquisme. Toussaint Bordat était alors avec Montfouilloux, le secrétaire de rédaction d’un nouvel organe communiste anarchiste, La Lutte sociale (Lyon, 6 numéros du 28 août au 2 octobre 1886) qui se réunissait chez Ancian (8 Grand-rue de la Croix Rousse) et dont le gérant était Jean Rocca. Au cours d’une réunion, salle Rivoire à Lyon, Bordat s’en prit violemment au commissaire de police présent dans la salle, à qui il reprocha d’avoir fait arracher des manifestes abstentionnistes. Arrêté trois jours après, il fut condamné le 30 août à quatre mois de prison et cinq années d’interdiction de séjour pour “outrages à un commissaire de police dans l’exercice de ses fonctions”. Libéré en novembre 1886, il partit, au début de décembre, pour Vienne où il poursuivit son action militante. Il ne résida plus jamais à Lyon. En mars 1888, il fut condamné par défaut par la cour d’assises de la Loire, à Montbrisson (?), à 2 ans de prison et 3000 francs d’amende pour "provocation au pillage et à l’incendie", peine confirmée en appel le 20 juin où il avait à nouveau fait défaut. Il s’était réfugié en Suisse dont il fut expulsé en juillet 1889 après avoir été compromis dans une bagarre à Genève entre des déserteurs français et la police, à la suite d’une réunion de ces derniers sur les conditions de l’amnistie en France

En 1890, revenu en France suite à une amnistie, il résida à Paris (rue d’Ulm, 5e arrdt.) et se sépara de sa femme née Pauline Burteau, anarchiste elle aussi. Il était alors employé dans une banque rue Taitbout. En août il adhéra par écrit au congrès anarchiste régional se tenant à Genève et auquel participèrent une vingtaine de délégués français, dont Octave Jahn, et suisses et où fut fondée la Fédération Internationale des revendications prolétariennes dont le secrétaire était Chomat. A cette même époque il fut arrêté à Paris sous le prétexte d’y habiter "sans autorisation" et, après 15 jours de préventive, fut condamné, devant la 10e chambre correctionnelle, à 6 jours de prison pour infraction à une interdiction de séjour prononcée à Lyon en 1886. Au procès Bordat avait expliqué qu’il avait pensé que l’amnistie couvrait aussi cette interdiction de séjour.

Il alla ensuite s’installer à Narbonne (Aude) où il gagna sa vie comme marchand de journaux et demeura 8 Place de la Révolution. Surveillé de près, il s’abstenait, selon la police, de faire de la propagande, signalait-on en novembre 1893. Toutefois, en mars 1893 il avait été soupçonné d’avoir diffusé à Narbonne le placard Appel aux conscrits (voir portfolio) et en janvier 1894, il figurait sur une liste de correspondants de journaux anarchistes établie par la police et était considéré comme le principal animateur du groupe Les Exploités qui, selon le Préfet, cessa ses activités en mars 1894.

En 1895, Bordat innocenta l’anarchiste Antoine Cyvoct, accusé d’être l’auteur d’un article intitulé « Un bouge » paru dans Le Droit social du 12 mars 1882, et qui avait été condamné à la peine de mort en décembre 1883. (Voir Cyvoct). Il collabora ensuite au journal La Jeunesse nouvelle (Lyon, au moins 3 numéros du 5 décembre 1896 au 6 février 1897).

Le 26 octobre 1896 il avait été condamné par le tribunal de Montpellier à 50 francs d’amende pour "outrages à agents".

En mai 1897, un rapport du commissaire spécial de Narbonne notait la présence de Bordat aux côtés de Sébastien Faure dont il organisait les conférences. Peut-être s’installa-t-il ensuite à Paris.

Au début des années 1900, il tenait un café à Lyon, 17 rue Paul Bert, où se réunissaient notamment le groupe Germinal et le Groupe social.

Il semble qu’il ait également collaboré au journal L’Homme Libre (Paris, 27 numéros du 14 novembre 1903 au 26 mars 1904) publié par E. Girault et dont l’imprimeur gérant était M. Franssen.


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