Dictionnaire international des militants anarchistes
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GAUTIER, Émile, Jean-Marie “Memor” ; “Raoul LUCET”
Né à Rennes le 19 janvier 1853 - mort le 20 janvier 1937 - journaliste - Paris 5
Article mis en ligne le 12 juillet 2007
dernière modification le 22 mars 2024

par R.D.

Émile Gautier était fils d’un huissier, “d’un de ces instruments les plus immédiats et les plus redoutables, malgré leur obscurité, de l’organisation capitaliste et gouvernementale” (Défense de Gautier par lui-même, à l’audience d’appel du 27 février 1883, Procès des anarchistes devant la police correctionnelle et la cour d’appel de Lyon, Lyon, 1883).

Il était l’ami de l’anarchiste Antoine Crié avec qui, semble-t-il, il avait milité en Bretagne vers 1873, Crié était alors étudiant en médecine à Rennes. Eduqué au séminaire de Rennes, il était allé en 1874 à Paris pour y étudier le droit.

C’est sans doute à cette époque qu’il eut un duel avec Jules Guesde.

En 1876 il était entré aux journaux Droits de l’Homme et Bien public. L’année suivante il intégrait la rédaction de La Marseillaise. Le 16 mai 1877, avec le gérant de La Marseillaise, il avait été oursuivi et condamné à 2 mois de prison et 4000 francs d’amende pour "offenses envers le maréchal Mac Mahon, président de la République". Le 12 juillet il avait été condamné à 2 mois de prison pour avoir présidé une réunio pruvée qui avait dégénéré en réunion publique. IL avait été interné à Sainte Pélgie dont il avait été libéré en septembre.

Gautier joua un rôle actif à partir de 1877 dans la campagne ouverte en faveur de l’amnistie des Communards, également dans celle qui fut menée en 1879 en faveur de Blanqui. En 1878-1879, il fut très lié à Jules Vallès et collabora à La Rue, novembre-décembre 1879 ; puis ce fut la rupture.

A l’automne 1880 il fut semble-t-il membre de la rédaction de La Révolution sociale (Paris, 12 septembre 1880 - 18 septembre 1881) dont le gérant était Victor Ricois. Le journal avait été financé en partie par la police par l’intermédiaire du mouchard Egide Spilleux dit Serreaux. A cette même époque il était également membre de la rédaction du journal La Commune dont le rédacteur principal était Félix Pyat.

Au début des années 1880, il habitait à Paris, 101 rue Monge dans le 5e arrondissement ; il prit ensuite une part importante à la fondation du groupe anarchiste le Cercle du Panthéon et de celui du XIe arr. Le 18 janvier 1881, devant environ 400 personnes, il avait été, aux cotés de Louise Michel, le conférencier de la réunion sur le thème "Liberté, égalité, fraternité", organisée par le Cercle du Panthéon au Vieux Chêne, rue Mouffetard.

Le 1er février 1881, aux cotés notamment de Louise Michel, Jeallot et Rodolphe Kahn, il fut l’un des orateurs de la réunion organisée par le Cercle socialiste révolutionnaire anarchiste des Ve et XIIIe arrondissements organisée devant 600 personnes environ au Vieux Chêne. A propos des élections municipales et des accusations des républicains traitant les anarchistes de vendus et de faire le jeu des réactionnaires, il avait notamment déclaré : “C’est une calomnie qu’on lance contre nous parce qu’on a peur de nous… le peuple nous suit parce que nous n’avons d’autre but que le bonheur du travailleur ; nous réprouvons l’état social actuel parce que nous le savons organisé de telle sorte qu’on peut y introduire toutes les panacées du radicalisme et même de l’intransigeance la plus cramoisie sans que cela détruise un seul abus. Ce qu’il nous faut c’est autre chose. Qu’importe que l’on vienne nous dire que La République sera compromise si nous demandons pour le travailleur le produit intégral de son travail : mieux vaut voir périr la République et voir disparaitre une société qui ne comporte que deux partis, les meurts de faim et ceux qui les exploitent. Que la République périsse mille fois si la suppression de l’héritage et de la propriété est à ce prix. Souvenez vous, compagnons, que tant qu’il y aura un droit d’hérédité de propriété, vous ne serez jamais libres… La première liberté qu’il nous faille, compagnons, c’est celle de vivre et de satisfaire nos besoins. Pour cela il faut que nous rejetions loin de nous les politicards et ceux qui ne vivent que de la politique. Nous ne voulons plus de gouvernement, ni républicain, ni monarchiste. Notre vraie ligne politique est de poursuivre l’entière liberté sociale et nous n’y arriverons que par la Révolution".

Le 18 mars 1881, lors de la réunion de commémoration de la Commune organisée au Vieux Chêne par le cercle du Ve avec le concours de Louise Michel, Gautier, avant de donner sa conférence, avait salué l’assassinat le 13 mars précédent du Tsar Alexandre 2 et avait adressé “un remerciement aux nihilistes qui ont su se débarrasser du plus grand tyran de l’époque". Il avait également proposé d’envoyer immédiatement deux compagnons à la salle du Progrès pour y voter des remerciements aux nihilistes russes, mission pour laquelle furent désignés les compagnons Paton (?) et Jeallot.

Fin mai 1881, suite aux incidents survenus lors de l’ouverture du congrès socialiste du Centre tenu à Paris, où les délégués anarchistes avaient été refoulés après avoir refusé de donner leurs noms, les compagnons et autres dissidents s’étaient constitués en congrès indépendant réunis 103 boulevard de Ménilmontant. Ce congrès, présidé par Maria (voir ce nom) avait regroupé une centaine de participants dont A. Crié (cercle du Panthéon), Victorine Rouchy (Alliance socialiste révolutionnaire), Bernard (chambre syndicale des homes de peine), Spilleux dit Serraux (mouchard), Émile Pannard (groupe La Révolution sociale), Vaillat (groupe d’études sociales révolutionnaires) et Émile Gautier. Lors de l’une des séances, ce dernier, avec notamment Monnier, Vaillat, Leboucher et Maria, s’était opposé à la proposition de Jeallot, Violard, Durand, Petit et Casabianca de se rendre armé à la manifestation d’hommage à la Commune du 29 mai au Père Lachaise.

Délégué des groupes du 6e, du 11e et du 20e arrondissements de Paris, il assista au congrès international de Londres qui s’ouvrit le 14 juillet 1881 ; trente-quatre congressistes y prirent part ; P. Martin de Vienne, Louise Michel, Serreaux et E. Pouget en étaient les principaux délégués français. À l’ordre du jour était inscrite la reconstitution de l’Association Internationale des travailleurs (AIT) mais, en aboutissant à l’autonomie complète des fédérations régionales, les travaux du congrès ne permirent pas cette reconstitution, “cette réédition d’une chose morte” (déclaration de Gautier, Procès des anarchistes… op. cit., audience du 27 février 1883).

Le 30 octobre 1881, délégué des groupes anarchistes de Paris, il avait été l’un des orateurs de la réunion publique organisée salle de l’Alcazar à Lyon par la Fédération révolutionnaire de l’est. Il y avait salué les participants par ces paroles : “Salut et solidarité de la chair à canon de Paris à la chair à canon de Lyon qui est ici présente. Je vous apporte les vœux et les aspirations de vos frères de Paris”. Puis il avait condamné l’intervention militaire en Tunisie et avait appelé à la destruction .

En 1882 il fut le co auteur avec Eugène Baillet et Gustave Faliés d’un manifeste programme intitulé L’Anarchie et signé du Groupe parisien de propagande anarchiste auquel appartenaient également A. Bérard, Courapied, Gustave Faliès, Gallois, Lagarde, Mollin, Thomachot et Vaillat.

Ce jeune militant, qui collaborait également au journal Le droit Social (Lyon, 24 numéros du 12 février au 23 juillet 1882) ainsi qu’à La Vengeance Anarchiste (Paris, 2 numéros en mars –avril 1883) dont le gérant était Prosper Legrand et se présentait comme la suite de L’Etendard révolutionnaire de Lyon, avait su s’imposer parmi les leaders du mouvement anarchiste ; mais, très rapidement, certains compagnons lui furent hostiles. Il avait cependant l’espoir de triompher de leur animosité et de jouer un rôle dirigeant dans le mouvement : “… J’exerce une influence énorme sur une masse de révolutionnaires de bonne foi qui ne sont pas peut-être encore complètement anarchistes, mais qui n’en sont pas loin. Je puis dire que j’ai là une véritable armée sous la main…” (Lettre de Gautier à Crié du 10 février 1881, relative au congrès de Londres du 14 juillet 1882, citée par le procureur de la République Regnault dans son réquisitoire au « Procès des 66 », audience du 11 janvier 1883).

Le 21 octobre 1882, il fut arrêté à Lyon sur le quai de la gare de Vaise où il s’apprêtait à aller à Villefranche pour une réunion publique où il devait prendre la parole avec Bordat (voir Portfolio). Impliqué dans le procès, dit « Procès des 66 », qui s’ouvrit le 8 janvier 1883, devant le tribunal correctionnel de Lyon à la suite des violentes manifestations des mineurs de Montceau-les-Mines d’août 1882 et des attentats à la bombe perpétrés à Lyon en octobre 1882 (voir Cyvoct). Selon l’importance des charges retenues contre eux, l’accusation avait classé les prévenus en deux catégories (voir Bordat). Gautier, prévenu de la deuxième catégorie, fut avec Kropotkine, Bordat et Bernard l’un des accusés les plus en vue du procès. Cette notoriété était due à la qualité du militant, propagandiste qui avait parcouru la France en tous sens ; elle était due aussi à son réel talent oratoire qui n’était pas sans influencer auditoire et jurés ainsi que l’attestent deux lettres du procureur Fabreguette au garde des Sceaux : “… La plaidoirie du dernier de ces inculpés [E. Gautier] a été, à beaucoup d’égards, remarquable, et, avec le prestige du talent, il s’était presque emparé de l’auditoire…” (lettre du 12 janvier 1883 au garde des Sceaux). “… Gautier, très habile, très adroit, véritablement éloquent par moments, a très sérieusement discuté notre prévention…” (lettre du 27 février 1883 au garde des Sceaux).
Dans sa défense qu’il présenta lui-même, il s’efforça de réfuter la thèse de l’accusation qui soutenait que l’AIT avait été reconstituée à Londres le 14 juillet 1881. Il affirma qu’il n’y avait ni association internationale ni parti anarchiste français, qu’il n’existait que des groupes locaux sans liens entre eux, “simples rendez-vous où des amis se réunissent chaque semaine pour parler entre eux des choses qui les intéressent. La plupart du temps, même, on n’y voit guère que de nouvelles figures, à l’exception d’un petit noyau de quatre ou cinq fidèles” (Procès des anarchistes… de Lyon, op. cit., audience du 8 janvier 1883, p. 10). Le 27 février, devant la cour d’appel, Gautier dira encore : “… Je mets au défi l’accusation de prouver que ces groupes anarchistes aient été autre chose que des lieux de rendez-vous, de simples réunions temporaires, dont le personnel varie à chaque fois, où le premier venu peut entrer ; d’où il peut également sortir sans remplir aucune formalité, sans payer aucune cotisation, sans même qu’on lui demande son nom ni ses opinions.” (Procès des anarchistes… Lyon, op. cit., audience du 27 février 1883, p. 152).
Il fut condamné, le 19 janvier 1883, à cinq ans de prison, 2 000 f d’amende, dix ans de surveillance et quatre ans d’interdiction des droits civils. Ce jugement fut confirmé le 13 mars 1883 par la cour d’appel de Lyon.

En prison, il s’isola de ses codétenus anarchistes et adopta une attitude qui lui valut des propositions de grâce de la part du directeur de Sainte-Pélagie. Dans une lettre datée du 22 juin 1885, ce dernier assura le préfet de police “que l’ordre public ne sera en aucune circonstance ni menacé ni troublé par lui” (Arch. Nat. BB 24/875). Par ailleurs, ses nombreux amis s’entremirent pour obtenir sa grâce et demandèrent à cette fin audience au président de la République. Finalement, le 12 juillet 1884, Gautier bénéficia d’une remise de peine d’un an ; le 13 août 1885, il fut définitivement gracié et le 1er février 1886, il obtint la remise des peines accessoires.

Après sa libération, il devint journaliste au XIXe siècle sous le nom de Raoul Lucet . Bien qu’il s’abstînt alors de toute allusion malveillante à l’égard de ses anciens amis, ceux-ci lui pardonnèrent difficilement son abandon des doctrines anarchistes. Il dut toutefois rester lié à Sébastien Faure puisque celui-ci lui demanda de préfacer un de ses principaux ouvrages, "La Douleur universelle. Philosophie libertaire", publié à Paris en 1895. Il avait d’ailleurs des relations d’amitié avec certains syndicalistes révolutionnaires comme en témoigne sa protestation contre la détention d’Édouard Sené publiée dans La Bataille syndicaliste du 1er octobre 1913.

Pendant la Première Guerre mondiale, il subit les attaques de la revue Pendant la Mêlée, n° 3, 25 décembre 1915, parce qu’il s’en était pris à deux journaux socialistes du Centre qui menaient campagne en faveur de la paix. En 1921 (cf. Le Figaro, 19 août) dans un article écrit après la mort de Prouvost, il paraissait avoir oublié ses premiers enthousiasmes et jugeait avec hauteur les révolutionnaires…

OEUVRE : Propos anarchistes : I Le Parlementarisme, Paris, s. d., 31 p. (Musée social, 6289) ; II Les Endormeurs 1) Les Libertés politiques, 1880, 29 p. ; III Les Endormeurs 2) Les heures de travail, 23 p. — Le Darwinisme social. Étude de philosophie sociale, Paris, 1880, XVI — 89 p. (Bibl. Nat. 8° R 5 795). — Étienne Marcel, Paris, 1881, 208 p. (Bibl. Nat. 8° Ln 27/32 827). — L’Anarchie (en collaboration avec E. Baillet et G. Faliès), 1882, 2 p. — Manifeste anarchiste du groupe de propagande anarchiste de Paris, Paris, 1885. — Préface à La Douleur universelle. Philosophie libertaire de S. Faure, Paris, 1895 (Bibl. Nat. 16° R 2670).


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