Dictionnaire international des militants anarchistes
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LUCAS, Auguste
Paris
Article mis en ligne le 22 février 2017
dernière modification le 22 mars 2024

par Guillaume Davranche, R.D.

Au milieu des années 1880, Auguste Lucas, ancien garçon marchand de vin qui demeurait 64 rue Julien Lacroix, appartenait à la Ligue des antipatriotes, aux groupes Les Antipropriétaires et L’Egalité sociale et prenait assez fréquemment la parole dans les meetings anarchistes à Paris. Il fut également membre de la Chambre syndicale des hommes de peine, fondée en 1887 par Leboucher et Louiche. Son frère, ouvrier mécanicien, avait combattu sous la Commune et, exilé en Belgique, était mort dans la misère peu après l’amnistie.
Le 18 septembre 1887, lors du meeting international organisé par la Ligue des antipatriotes, à la salle Favié, il diffusait le numéro 2 du journal Le Drapeau rouge.

Il s’agit sans doute du Lucas qui, le 9 avril 1881, avait présidé la réunion privée organisée rue de la Révolte à Saint-Ouen par le Cercle d’étude et d’action politique local en vue de soutenir les grévistes de l’usine Claparède de Saint-Denis et dans lequel Luise Michel et Augustine Debouis avaient pris la parole devant 800 personnes environ.

Le 9 mars 1883, Lucas avait pris part à la manifestation des Invalides au côté de Louise Michel. A cette époque il avait, semble-t-il, pour compagne, une fille Bailly.

En 1886, avec entre autres Legrand, Le Bolloch et Breux il aurait été membre du groupe anarchiste Le Tocsin. Il demeurait alors 25 rue Ramponneau.

En 1887 il était signalé dans les réunions tenues rue de Ménilmontant par le groupe Les Libertaires du XXe (voir Louiche) et rue Myrha par le groupe du quartier de la Goutte d’or.

Au printemps 1888 il aurait fondé avec Couchot le nouveau groupe appelé Groupe d’action, chargé selon la police d’organiser des meetings en faveur de la propagande par le fait.

Le 14 mai 188 il avait comparu comme prévenu libre et avait été semble-t-il mis hors de cause, lors d’un procès suivant des incidents survenus dans le meeting boulangiste organisé le 25 mars précédent salle Rivoli par Sureau et Landriot (voir ces noms). A ce même procès avaient été condamnés Moucheraud (1 mois), Sureau et Landriot (6 mois par défaut). A l’issue de ce procès, Lucas estimait que Landriot était un mouchard auquel il “fallait casser les reins”.

Le 25 mai 1888, en pleine agitation boulangiste, lors d’une réunion tenue rue Vieille du Temple à propos de la manifestation de commémoration de la Commune prévue au Père Lachaise le 27 mai, et à laquelle assistaient une trentaine de compagnons - dont Pennelier, Diamisis, Bricou, Courtois, Castagnede, Brunet, Mateigne, Gardrat, Quinque, Beluze - Lucas avait proposé d’empêcher les boulangistes de pénétrer dans le cimetière pour y déposer une couronne et un buste du général Boulanger et de “leur casser la gueule, de briser le buste et leur jeter les morceaux à la tête”. Sur proposition de Bricou, la majorité des compagnons présents décidèrent plutôt de laisser les boulangistes entrer dans le cimetière et “une fois sur la tombe des fédérés, de leur casser les reins, sans être trop dérangé [par la police]” (APpo BA 75).

Le 27 mai 1888, les anarchistes – dont Louise Michel et Eugène Pottier et les divers groupes – commémorèrent la Commune de Paris au côté des blanquistes de la tendance Vaillant (antiboulangiste). Trois drapeaux noirs furent déployés au milieu des drapeaux rouges, dont l’un, porté par Lucas, était frappé de l’inscription « Aux martyrs de Chicago ».
Tandis que l’anarchiste Leboucher, puis Édouard Vaillant discouraient devant le mur des fédérés, Lucas était grimpé à califourchon sur le mur avec ses camarades Teyssier et Saunier, exhibant son drapeau noir du mieux qu’il le pouvait.
A ce moment arriva devant le mur une procession formée de guesdistes et de blanquistes-boulangistes conduits par Rouillon, portant une couronne de fleurs de L’Intransigeant de Rochefort. Une dispute éclata, anarchistes et blanquistes voulant empêcher la couronne de toucher le mur des fédérés. Juchés sur le mur, Lucas, Saunier et Teyssier encourageaient leurs camarades à repousser l’assaut des pro-boulangistes.
Soudain Lucas sortit un revolver et tira trois coups en direction de Rouillon. Ayant manqué sa cible, il lui cria : « Si je te manque aujourd’hui, je ne te raterai pas la prochaine fois ! » Puis il sauta en contrebas du mur, dans le jardin de la villa Godin, au 89 de la rue de Bagnolet. Quand la police arriva, il avait filé bien que, selon le Ça ira du 10 juin 1888, il se soit blessé grièvement dans cette chute de près de 8 mètres.
Rouillon était indemne, mais deux ouvriers blanquistes, blessés par les balles de Lucas, durent être emmenés à l’hôpital dans la panique. Quant à Saunier et Teyssier, restés sur le mur, ils furent mis à bas et rossés par la foule malgré les tentatives d’interposition des militants anarchistes. Dans la confusion, la couronne de L’Intransigeant fut piétinée et jetée par-dessus le mur.

Les anarchistes durent annuler le meeting qu’ils avaient programmé le soir rue des Amandiers. Certains - dont A. Carteron - déclarèrent que l’acte de Lucas était « inqualifiable » et s’en désolidarisèrent totalement ou laissèrent “à chaque anarchiste le responsabilité de ses actes”, n’approuvant ni ne désapprouvant l’acte de Lucas. Toutefois lors d’une réunion tenue le 28 mai salle Gaucher, rue de la Montagne Sainte Geneviève, et à laquelle avaient participé une soixantaine de compagnons, Tennevin, Malato et Lutz notamment avaient pris la défense de Lucas, estimant qu’on “"ne pouvait s’opposer autrement à la manifestation des boulangistes” et l’avaient fait acclamer par l’assistance. Le lendemain 29, à l’issue d’une autre réunion d’une quarantaine de compagnons - dont Boutin, Espagnac, Gouzien, Davenne, Thirion, Duprat, Paillette, Couchot, Bécu - un groupe était allé rue Montmartre à la rédaction du Cri du peuple où Devertus (alors détenu à Sainte Pélagie) avait traité Lucas de "fou et irresponsable" et de L’Intransigeant où Rouillon et Rochefort avaient accusés Lucas d’être un "mouchard", et avait exigé l’insertion d’une note où ils se déclaraient "solidaires de Lucas". Puis ils avaient envahi les bureaux de L’Intransigeant, situés dans le même immeuble, où Rochefort avait menacé de “brûler la cervelle au premier qui entrerait dans la salle de rédaction” et avait refusé de publier la note. Il s’en était suivi une intervention de la police et le départ des compagnons aux cris de “Vive Lucas ! Vive la Commune !”. (APpo BA 75).

Quelques jours plus tard, le Ça ira s’inscrivait en faux contre les rumeurs qui voulait faire de Lucas un fou ou un mouchard. Le journal expliqua simplement que Lucas était « hardi, dévoué, bon camarade » mais d’une instabilité et d’un manque de caractère qui « engageaient tous les camarades à se tenir sur une réserve prudente à son égard ».

Le 14 juin suivant, lors d’une réunion rue d’Angoulême à laquelle avaient entre autres assisté Espagnac, Lutz, Gouzien, les frères Laurens, Davenne, Beluze, Pivier Maglia (ou Miaglia), Fleury, Quinque, Riemer, la femme Gaillard, Rovigo et d’autres, il avait été décidé d’organiser le 23 juin à la salle Horel, une soirée au bénéfice de la famille de Lucas, avec le concours de Malato, Gouzien et Espagnac entre autres. La soirée eut finalement lieue le 31 juillet en présence d’une centaine de compagnons. Une collecte avait été faite et avait rapportée 4, 50 francs qui furent ajoutés aux 30 francs environ de bénéfice de la réunion.

Après cet épisode, Lucas, qui avait été condamné le 6 septembre 1888 à 5 ans de réclusion, devait disparaître de la scène militante. Au lendemain du procès, un groupe de compagnons réunis 53 rue Vieille du Temple, avaient blâmer son attitude en Cour d’assises tout en comprenant, cependant, qu’il avait dû faire tout son possible pour être acquitté dans l’intérêt de sa famille réduite à une profonde misère pour laquelle une quête avait été faite. Toutefois, suite au vol de dynamite à la carrière de Soissy sous Etiolles (voir Etievant), il fut l’objet fin février 1892, comme plusieurs militants, d’une perquisition à Belleville où il résidait.

Après sa condamnation La Révolte avait écrit que la violence ayant motivé sa condamnation n’était pas de nature à faire de la propagande, mais que « Lucas était un bon camarade qui a droit à toute notre sympathie ».

A l’automne 1892 un Lucas était signalé dans les réunions du groupe des Ve et XIIIe arrondissement aux Vendanges de Bourgogne, rue Pascal, puis en 1893, salle Messiez, 127 rue Mouffetard. En septembre il aurait été candidat abstentionniste dans la première circonscription du XXe arrondissement. Il pourrait s’agir du même.

S’agit il de Paul, Auguste Lucas, l’oncle de Paul Roussel, membre de L’Autonomie individuelle ?


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