Dictionnaire international des militants anarchistes
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BROUTCHOUX, Benoît
Né le 7 novembre 1879 à Essertenne (Saône-et-Loire) - mort le 2 juin 1944 - Trieur de charbon ; terrassier ; cafetier - FCA - FCAR - CGT – CGTU – Montceau-les-Mines (Saône et loire) – Lens (Pas-de-Calais) - Paris
Article mis en ligne le 22 avril 2016
dernière modification le 26 janvier 2024

par Guillaume Davranche, ps
Benoit Broutchoux

Surtout connu pour avoir été la figure majeure de l’anarchisme et du syndicalisme révolutionnaire dans le bassin minier du Pas-de-Calais avant 1914, Benoît Broutchoux joua également un rôle important dans l’opposition à la guerre et, dans les années 1920, au sein de l’organisation anarchiste et de la minorité syndicaliste révolutionnaire de la CGT puis de la CGTU. Son activité professionnelle aura au final été très variée : charretier, mineur, terrassier, tenancier d’estaminet, journaliste, imprimeur, métallurgiste, chauffeur de taxi et même correcteur.

Anarchiste de Montceau-les-Mines

Fils du métallurgiste Sébastien Broutchoux et de Lazarette Clair, Benoît Broutchoux était l’aîné de 8 enfants. Encore enfant, il travailla dans une ferme comme charretier, puis travailla dans une mine de la compagnie de Blanzy à Montceau-les-Mines. Il ne fut pas mineur de fond, mais trieur de charbon, puis marqueur de wagons. Le 3 février 1894, il fut blessé à la jambe dans un accident, ce qui lui ouvrit droit à une indemnité de 75 centimes par jour. Il devint alors manœuvre aux agglomérés, puis apprenti à l’atelier de vannerie jusqu’en mai 1897.

À 18 ans, il partit sur le trimard et arriva à Paris en 1898, où il s’embaucha comme terrassier sur le chantier du métro. C’est à cette époque qu’il commença à fréquenter les milieux anarchistes et syndicalistes, où Henri Pérault fut quelque peu son mentor. Il adhéra au syndicat des terrassiers et aurait écrit pour une feuille libertaire, Le Chemineau (non répertoriée dans la thèse de René Bianco).

Au printemps 1900, Benoît Broutchoux revint à Montceau-les-Mines et entreprit de créer un groupe anarchiste. Müller, le commissaire spécial de Chalon-sur-Saône, nota à l’époque : « Broutchoux est en train de fonder à Montceau un groupe anarchiste qui compte déjà d’assez nombreux adeptes, des jeunes voyous braillards, des imbéciles et des hommes mauvais sujets, repris de justice bons à tout faire, la lie de Montceau […]. Broutchoux est très intelligent, paraît-il. Il a bonne langue, la réplique aisée et ne se laisse pas facilement démonter. »

Le 19 mai 1900, lors d’une réunion tenue à Chalon-sur-Saône, il avait discouru sur l’antimilitarisme et de la propagande par le fait avec une telle violence que cela avait provoqué les protestations des socialistes révolutionnaires Goujon, Bouveri et Chalot.
Broutchoux, sans emploi, composait des chansons antimilitaristes (dont La Carmagnole de Montceau-les-Mines) et, avec deux compagnons, B. Lequin et Philibert Douharet (ou Douheret), les chantait et les vendait deux sous sur les marchés.

Il intervint dans le conflit des métallurgistes du Creusot, prenant la parole devant les grévistes et le 4 juin aux obsèques de l’ouvrier Brouillard tué dans l’émeute du 2 juin. La violence de ses paroles lui valut alors d’être arrêté et incarcéré quelques jours pour « excitation au meurtre et au pillage, injures à l’armée, paroles outrageantes au gouvernement parlementaire ». Peu avant cette arrestation, il avait été le fondateur avec F. Guillon du groupe La Bibliothèque d’éducation libertaire de Montceau. Outre ses chansons il diffusait également à cette époque le manifeste pour Le Journal du peuple de Sébastien Faure.

Le 7 septembre 1900, le tribunal correctionnel de Châlons-sur-Saône, devant lequel il était poursuivi avec P. Douheret, le condamna par défaut à six mois de prison et deux années d’interdiction de séjour dans divers départements pour s’être, le 5 août, battu avec le commissaire spécial des chemins de fer Müller, lors d’une manifestation contre des « jaunes » (ou des cléricaux ?). Arrêté le 24 octobre à Montceau-les-Mines après avoir insulté deux gendarmes, il aurait été délivré par un groupe de compagnons et avait réussi réussit à s’échapper en bicyclette avant de se réfugier en Suisse où il vécut sous le nom de Dejoly.

Ayant repassé la frontière, Broutchoux fut arrêté et expédié au service militaire. Il fut incorporé au 156e régiment d’infanterie le 17 novembre 1900, mais seulement pour quelques jours. Le 28 novembre, le conseil de révision le dispensa en tant qu’aîné de 8 enfants.
Le 7 décembre il fut poursuivi avec les camarades Barry, Panay, Barbier et la femme Beurjot qui l’avaient aidé à fuir le 24 octobre, et fut condamné à 4 mois de prison et 2 ans d’interdiction de séjour.
Ayant fait opposition au jugement du 7 septembre, il fut défendu par Aristide Briand devant la Cour d’appel de Dijon qui, le 31 janvier 1901, ramena sa peine à 4 mois de prison.
Finalement, Broutchoux fut rappelé au régiment, et accomplit le temps de service qu’il lui restait, du 21 mars 1901 au 21 février 1902. Le certificat de bonne conduite lui fut accordé.

Dès sa libération, il quitta Montceau-les-Mines en en compagnie d’un groupe de mineurs révoqués. D’après le témoignage de la mère de Ringeas transmis à Phil Casoar et Stéphane Callens, le départ s’imposait car il était à l’époque dans la ligne de mire du patronat local. Il ne pouvait plus trouver à s’embaucher nulle part, et il était devenu la bête noire d’une partie de la population ouvrière, groupée dans des syndicats jaunes. Il s’installa alors à Auchel dans le Pas-de-Calais. Se faisant appeler Benoît Delorme grâce aux papiers que lui prêta un de ses camarades, il travailla comme terrassier aux chemins de fer de Béthune.

À la fin de 1902, Benoît Broutchoux s’établit à Lens avec sa compagne, l’anarchiste Fernande Richir. Là il travailla aux fours à coke de la fosse 8. En octobre 1902, il intervint dans la grève des mineurs, essayant de déborder le syndicat réformiste dirigé par le député Émile Basly. Appréhendé par la police le 16 octobre pour « entraves à la liberté du travail » alors qu’il haranguait la foule, il était condamné, sous le nom de Delorme, le 13 novembre à 40 jours de prison. De nouveau poursuivi le 18 novembre, la véritable identité de Delorme-Broutchoux fut révélée, la peine de quarante jours de prison fut augmentée de trois mois usage de faux papiers (peine confirmée en appel le 6 janvier 1903)

Figure de proue du Jeune Syndicat des mineurs

Sorti de prison début 1903, Broutchoux rejoignit la Fédération syndicale des mineurs du Pas-de-Calais, créée par les guesdistes et appelé plus couramment « jeune syndicat », par opposition au « vieux syndicat » dirigé par Basly. Quoique libertaire, Broutchoux prit rapidement une position prépondérante dans le « jeune syndicat » et y fit triompher les thèses du syndicalisme révolutionnaire.

Le 10 avril 1903 il avait été condamné avec Désiré Bachy (voir ce nom) à 15 francs d’amende et 5 jours de prison pour « tapage nocturne ». Selon le groupe La révolte de Lens, tous deux avaient été poursuivis suite à la dispersion par la police d’un banquet tenu en mars pour commémorer la Commune et dont le député maire Basly avait refusé la permission de nuit à l’établissement où le banquet devait avoir lieu. Les convives étaient alors sortis en chantant « Vive la Commune ! » Puis Bachy et Broutchoux s’étaient retrouvés « nez à nez avec Basly » à qui ils avaient demandé des comptes. Ce dernier leur avait répondu qu’il ne connaissait pas « les communards ni ceux qui voulaient rappeler leur souvenir », ce à quoi « les camarades répondirent qu’à la grève de 93, il les connaissait très bien puisqu’ils avaient été congédiés et pourchassés à cause de lui » (cf. Les Temps nouveaux, 9 mai 1903)

En avril 1903, Broutchoux, Georges Dumoulin et Augustin Dehay lancèrent Le Réveil syndical (avril-octobre 1903) qui, en janvier 1904 devint L’Action syndicale (Lens, ai moins 261 numéros du 17 janvier 1904 au 2 octobre 1910). Dans le premier édito de cet organe officieux du jeune syndicat, Broutchoux présentait le journal comme “anticlérical, antimilitariste, anticapitaliste, antifumiste et grève généraliste”. Il habitait alors au 69, rue Émile-Zola, à Lens.

Le vieux syndicat adhérait à la Fédération nationale des mineurs (réformiste), tandis que le jeune syndicat était affilié à l’Union fédérale des mineurs (révolutionnaire) qui, début 1903, fut admise à la CGT. Dans le Pas-de-Calais cependant, la scission fut personnalisée à l’extrême. Benoît Broutchoux était devenue une célébrité dans la région de Lens, puis dans le Pas-de-Calais et, pendant plusieurs années, la vie syndicale y fut rythmée par l’opposition irréductible entre « baslicots » et « broutchoutards ». Broutchoux et « le broutchoutisme » étaient les cibles privilégiées de Basly et du journal lillois auquel il collaborait, Le Réveil du Nord.

Au printemps 1904, suite à un article exposant les théories néo-malthusiennes paru sous sa signature dans L’Action syndicale, il fut poursuivi avec notamment Désiré Becquet et Méresse, et condamné à 20 jours de prison pour « outrages à la morale publique ». En appel, début juin, il fut ensuite acquitté comme ses camarades.

En janvier 1905, Broutchoux, devant purger une peine de prison, demanda à Pierre Monatte de le remplacer à la direction de L’Action syndicale. Monatte, qui put constater sa renommé dans le bassin houiller, rapporta par la suite de Broutchoux : “Son anarchisme n’était pas doctrinaire. Il était fait de syndicalisme, d’antiparlementarisme, de libre pensée, d’amour libre, de néo-malthusianisme et de beaucoup de gouaille. Pour tous, amis et adversaires, il était Benoît, Benoît tout court.”. Le 4 novembre 1905, naquit son fils Germinal à Sallaumines (Pas-de-Calais).

La catastrophe de Courrières (Pas-de-Calais), survenue le 10 mars 1906, par l’émotion qu’elle suscita, permit au jeune syndicat de déborder le vieux syndicat, obligé de se rallier à la grève déclenchée le 15 mars. Au comité de grève, Broutchoux, rejoint par Monatte, lança le mot d’ordre « huit heures, huit francs » et appela le vieux syndicat à rejoindre le comité de grève, ce qu’il refusa. Le 20 mars, alors que 2 000 mineurs marchaient sur la mairie de Lens où se tenait un congrès du vieux syndicat, avec à leur tête la citoyenne Sorgue, déléguée de la CGT, et Broutchoux, celui-ci fut arrêté par la police. Le 23 mars 1906, il fut condamné par le tribunal de Béthune à deux mois de prison pour « violences à agent et rébellion » suite à une bagarre sur la place de la Mairie à Lens. Pierre Monatte le remplaça de nouveau à la tête de L’Action syndicale pendant son incarcération. La grève se poursuivit jusqu’au 6 mai, avec des flambées insurrectionnelles à Liévin, Anzin et Denain.

Grève 1906

À sa sortie de prison, en mai 1906, Benoît Broutchoux prit la gérance d’un estaminet à Lens, au 69, rue Émile-Zola. En novembre y fut installée une petite imprimerie achetée à Wingles. Baptisée Imprimerie communiste, elle devait tirer L’Action syndicale entre 3 500 et 5 000 exemplaires, allant parfois jusqu’à 12 000.

Au congrès du 31 mai 1906, Georges Dumoulin fut élu secrétaire appointé du jeune syndicat. Une rivalité ne tarda pas à apparaître entre lui et la figure charismatique de Benoît Broutchoux qui avait la haute main sur L’Action syndicale. Dumoulin appréciait fort peu le ton que Broutchoux imprimait au journal, davantage « antibaslicot » que syndicaliste.

Du 5 au 8 octobre 1906, Dumoulin et Broutchoux furent délégués du Pas-de-Calais au congrès d’unité minière qui se tint à la bourse du travail de Paris, et qui vota le principe de la réunification entre les deux fédérations de mineurs.
L’unité minière ayant été réalisée, il restait à faire admettre la fédération unifiée à la CGT, ce à quoi rechignaient, pour des raisons différentes, Basly, Broutchoux et les dirigeants syndicalistes révolutionnaires de la CGT. Le cas du Pas-de-Calais, où la haine entre le jeune et le vieux syndicat rendait impossible l’unification locale, retarda considérablement ce processus. Il en résulta un second motif de discorde entre Broutchoux et Dumoulin qui, jugeant pour sa part ce processus inéluctable, fut de plus en plus favorable à l’unité (sur cette question, voir Georges Dumoulin).

Du 8 au 16 octobre, Broutchoux fut délégué de la Fédération des mineurs du Pas-de-Calais au congrès confédéral d’Amiens de la CGT. Il ne cosigna pas la motion Griffuelhes (plus tard appelée « Charte d’Amiens ») mais fit partie du groupe de 3 porte-parole (avec Merrheim et Latapie) chargé de représenter le courant syndicaliste révolutionnaire à la tribune du congrès. Il y défendit l’indépendance de la CGT mais, déjà, critiqua le « traité de philosophie » de Louis Niel qui plaidait pour le neutralisme. Il vota néanmoins en faveur de la motion Griffuelhes.

Après Amiens, les tractations se poursuivaient pour l’adhésion de la fédération unifiée des mineurs à la CGT. Espérant la faire échouer, Basly fit publier dans Le Réveil du Nord du 8 décembre 1906 une violente attaque contre Broutchoux, l’accusant d’avoir détourné 6 814, 80 francs d’une souscription faite en faveur des veuves de Courrières. L’accusation était mensongère, mais était facilitée par le fait que Broutchoux traitait sans distinction excessive sa propre trésorerie, celle de L’Action syndicale et celle de son estaminet. L’affaire nécessita le recours à deux jurys d’honneur puis Le Réveil du Nord fut condamné en correctionnelle 23 octobre 1907 pour diffamation.

En août 1907, Broutchoux assista au congrès international anarchiste d’Amsterdam. Il approuva Dunois qui proposait l’organisation des anarchistes, se disant “fortement convaincu que l’organisation est encore le moyen le plus efficace pour empêcher ce fétichisme qui s’attache trop souvent à la personne de certains agitateurs et leur confère une autorité de fait on ne peut plus dangereuse”. Il se prononça également contre la thèse de Malatesta sur le syndicalisme, signalant qu’il appartenait à un “syndicat d’ouvriers mineurs absolument acquis aux idées et aux méthodes révolutionnaires”. A son retour d’Amsterdam, il fut informé qu’il était poursuivi pour "excitation de militaires à l’insoumission lors de réunions publiques" et parvint à se cacher (cf. Le Libertaire, 8 septembre 1907) jusqu’à son arrestation.
Le 28 septembre 1907, Broutchoux fut arrêté pour des propos insultant envers la police, tenus dans un meeting à Denain le 20 juillet. Sa compagne Fernande Richir, qui avait refusé d’ouvrir la porte aux gendarmes, fut également interpellée et poursuivie pour "outrages à agents". Le 3 octobre, à Béthune, il fut condamné à six jours de prison pour "outrages à agents" lors de l’arrestation de sa femme. Le 14 novembre, devant la Cour d’assises du Nord il fut de nouveau condamné à trois mois de prison et 16 francs d’amende pour « complicité d’incitation de militaires à la désobéissance » pour la préface qu’il avait rédigé à une brochure de Lorulot, L’Idole-Patrie - Lorulot avait été condamné à 15 mois de prison et 16francs d’amende et Cachet à 3 mois et 16 francs d’amende. Le 31 décembre, la cour d’appel de Douai le condamna encore à deux mois de prison pour outrage à magistrat, et à vingt jours pour outrage à agent de la force publique.

Pendant son incarcération, Broutchoux confia L’Action syndicale - dont sa compagne Fernande assurait la gérance - à l’individualiste Halzir Hella, ce qui devait provoquer la colère de Dumoulin.

Le 12 avril 1908, mécontent de la gestion de L’Action syndicale, Dumoulin proposa au congrès du jeune syndicat que le journal soit placée directement sous le contrôle du syndicat. Broutchoux s’y opposa, estimant que L’Action syndicale n’était pas exclusivement syndicaliste, mais était également l’organe des “groupes révolutionnaires, antimilitaristes, libres-penseurs, des anarchistes isolés”.
Malgré qu’il ait été mis en minorité, Broutchoux n’en fit qu’à sa tête, et conserva le contrôle de L’Action syndicale. Le 3 mai 1908, il fit publier à la Une un dessin représentant Basly en train de se faire soudoyer par le patronat. Le jour même, 4 militants du jeune syndicat qui vendaient le journal furent violemment molestés par des partisans de Basly à Liévin, et l’un d’eux perdit la vie (voir Albert Sauvanet dans le Maitron). Intimement, Dumoulin semble avoir fait porter à Broutchoux la responsabilité de ce drame — qui anéantissait toute possibilité de fusion avec le vieux syndicat. Le 5 mai, le bureau du syndicat prit acte de ce que la décision du congrès du 12 avril était « inapplicable » et se déclara désormais « étranger » à tout ce qui, dans L’Action syndicale, ne porterait pas la signature du syndicat.

Cependant, le climat d’hystérie contre le vieux syndicat suite à la mort de Sauvanet fut fatal à Dumoulin. Lors d’un congrès extraordinaire le 14 juin 1908 à Lens, Broutchoux reprit la main. La motion Dumoulin qui proposait de créer un nouveau journal sous contrôle du jeune syndicat ne recueillit que 3 voix, contre 13 à celle qui réaffirmait la confiance en L’Action syndicale et conférait à Broutchoux des appointements équivalents à ceux de Dumoulin. Le conflit avec Broutchoux se termina par l’exclusion de Dumoulin « comme jaune et fumiste », à l’unanimité des présents au congrès régional du 31 janvier 1909 à Lens.

Au printemps 1908, Broutchoux envoya à la Fédération anarchiste de la Seine et de Seine-et-Oise (voir Marceau Rimbault) l’adhésion de 8 groupes du Pas-de-Calais (rapport de police du 8 novembre 1908). S’agissait-il de sections du jeune syndicat ?

Délégué par le jeune syndicat au congrès confédéral de Marseille en octobre 1908, Broutchoux y apparut comme un des porte-parole de la tendance la plus radicale de la CGT. Dès son arrivée, il avait demandé que le drapeau tricolore “cette loque n’est pas sa place”, soit enlevé de la port d’entrée du congrès. Il critiqua l’adhésion de la Fédération des syndicats de mineurs à la CGT, mais resta isolé sur ce combat désormais d’arrière-garde. Il souhaita également la création d’une commission “chargée de faire l’éducation antimilitariste et antipatriotique de la classe ouvrière et de préparer efficacement l’insurrection en cas de guerre”. Avec Émile Janvion, il donna également la réplique à Louis Niel sur la question de l’antimilitarisme, de l’antipatriotisme et de l’antiparlementarisme, et relativisa la portée de la « Charte d’Amiens ».

Sur cette période, Broutchoux semble avoir fortement subi l’influence de Janvion. Un article de ce dernier, « Le péril maçonnique dans le syndicalisme » avait été reproduit dans L’Action syndicale du 31 mai 1908, et après Marseille on retrouva des figures de style empruntées à Janvion sous la plume de Broutchoux. Quand le journal de Janvion, Terre libre parut, en novembre 1909, Broutchoux lui donna un article où il critiquait fortement le neutralisme syndical.

Broutchoux était durant cette période au sommet de sa renommée dans le monde syndicaliste. Dans Ces Messieurs de la CGT, les journalistes Girod de Fléaux et Leclercq écrivaient de lui : “Broutchoux […] est non seulement connu des grands chefs parisiens, mais des moindres syndiqués. Prononcez son nom devant n’importe lequel d’entre eux, il vous répondra : “L’homme des mineurs du Nord ? Un rude lapin !…””

Animateur de l’anarchisme dans le Pas-de-Calais

Pour éviter une absorption par la Fédération des syndicats de mineurs désormais pleinement affiliée à la CGT, le jeune syndicat avait négocié une adhésion à la Fédération des ardoisiers, de tendance révolutionnaire. Il devait cependant s’en faire radier en 1909 pour défaut de cotisations. Le jeune syndicat perdit alors peu à peu son caractère syndical, pour se restreindre à ses noyaux anarchistes.

En octobre 1909, le jeune syndicat organisa à Lille une manifestation de soutien à trois anarchistes emprisonnés suite à un attentat contre un commissariat de Tourcoing en avril 1908. Broutchoux fut arrêté et condamné le 13 octobre par le tribunal correctionnel de Lille à un mois de prison et à cinquante francs d’amende pour violence sur agent.

Après sa libération, en décembre 1909, Broutchoux encouragea la grève du chantier du canal du Nord et félicita les ouvriers pour leurs actes de sabotage. Le 18 janvier 1910, il fut arrêté à Metz-en-Couture (Pas-de-Calais) au milieu de cinquante grévistes, alors qu’il venait d’attaquer violemment le préfet du département. Son avocat s’étant engagé à ce que le militant ne retourne plus sur les chantiers du canal du Nord, Broutchoux fut relâché. Il devait cependant être à nouveau arrêté à Rouvroy (Pas-de-Calais) le 13 février 1910, alors qu’il attendait un ouvrier du canal.

Les 9 et 10 mars 1910, Broutchoux se rendit à Albi au congrès fondateur de la Fédération des travailleurs du sous-sol de la CGT, et y donna l’adhésion de ce qui restait du jeune syndicat.

À l’époque, Broutchoux s’était fortement rapproché de La Guerre sociale, et il répondit favorablement au projet de Parti révolutionnaire (PR) de Miguel Almereyda. Dans cet objectif, un congrès des groupes anarchistes du Pas-de-Calais interdit aux « politiciens » et aux « individualistes » fut convoqué le 10 juillet 1910 à la Maison du peuple, 50, rue de Paris à Lens. Le congrès rassembla 26 délégués de 12 localités, ainsi que des observateurs de La Guerre sociale, du Nord et de la Somme. Il y fut constituée une Fédération révolutionnaire du Pas-de-Calais, qui se proclama section départementale d’un PR encore à naître. Elle eut son siège au domicile de Broutchoux, 32, avenue du 4-Septembre à Lens, et J. Le Brun fut son secrétaire.

Un mois plus tard, au congrès des groupes anarchistes du Nord (voir Jean-Baptiste Knockaërt), on décida de fusionner les trois journaux anarchistes de la région : Le Combat du Nord de Tourcoing, L’Action syndicale de Lens et Le Réveil artésien d’Arras. Finalement, seuls les deux premiers fusionnèrent pour donner naissance au Révolté, dont le n°1 parut le 9 octobre 1910, toujours tiré sur l’Imprimerie communiste, chez Broutchoux.

À l’époque, le « jeune syndicat » était réduit à ses noyaux anarchistes, et, pour l’essentiel, ses sections locales se confondaient totalement avec celles de la Fédération révolutionnaire du Pas-de-Calais. Celle-ci était censée devenir la section départementale du futur PR, mais la dynamique fut cassée quand Hervé renia l’antimilitarisme et l’antipatriotisme début 1911, et le PR ne vit jamais le jour. Dès janvier 1911, les militants du Nord relancèrent Le Combat, et Broutchoux poursuivit seul Le Révolté. Il semble alors qu’en dehors de Lens et d’Arras, les groupes anarchistes du Pas-de-Calais se soient étiolés.

En avril 1911, sa fille Églantine, âgée de 8 ans, mourut d’une bronchite. À l’automne 1911, il soutint les mouvements de ménagères contre la vie chère, et s’efforça de les détourner de la vindicte contre les commerçant, pour les orienter vers une contestation anticapitaliste. Le 11 septembre, il fut arrêté à Aniche et, le 18 janvier fut condamné à un an de prison au titre des lois scélérates contre les « menées anarchistes ». Bénéficiant d’une amnistie, il sortit de prison en juillet 1912.

Au congrès confédéral du Havre, en septembre 1912, Broutchoux fut délégué par plusieurs syndicats de mineurs. Il s’opposa au projet gouvernemental de retraites ouvrières et, avec Dumoulin, il donna la réplique à Victor Renard sur la question de l’indépendance de la CGT vis-à-vis des partis politiques. Il y déclara entre autres : “Je ne trouve pas qu’il faille la triple organisation : politique, syndicale et coopérative […] ; je n’ai jamais vu d’individu à trois jambes, et je n’en ai vu qu’à deux pattes : l’une, syndicalisme, l’autre, coopération, à condition que la coopération ne soit pas simplement une boutique commerciale […]. On ne vit pas avec des lois, on vit de la production et de la consommation.”

Le 25 novembre 1912, au soir de la conférence extraordinaire de la CGT contre la guerre et les trois ans de service militaire, Broutchoux figura parmi les orateurs du grand meeting syndicaliste de la salle Wagram. Ce même mois de novembre il avait été avec Victor Grimbert et Charles Dhooghe, l’un des orateurs du grand meeting contre la guerre organisé à Reims par le Comité de défense sociale, l’union des syndicats et la section locale du parti socialiste. A cette occasion il avait été l’objet d’un procès verbal pour « infraction à la police des chemins de fer », ayant pénétré sur le quai de la gare sans ticket.

Début 1913, Broutchoux adhéra à la Fédération communiste anarchiste (FCA) et prit la parole en son nom lors d’un meeting le 3 mars aux Sociétés-savantes à Paris.
Il fut délégué à la conférence des bourses et des fédérations de la CGT, les 13, 14 et 15 juillet 1913, et fit partie de la minorité qui, avec Arthur Marchand et Raymond Péricat, prôna la grève générale le 24 septembre contre les trois ans. Il ne fut pas suivi.

Le 15 août 1913, il représenta le syndicat des mineurs de Lens au congrès de l’union départementale du Pas-de-Calais, qui le désigna comme secrétaire à l’unanimité des syndicats présents, exception faite des typographes d’Arras. Il prit ensuite le train pour Paris, afin de participer au congrès anarchiste national qui se tint du 15 au 17 août. Il y attaqua violemment les individualistes mais tempéra les critiques portées contre la CGT.

En octobre 1913, Le Révolté ayant disparu, Broutchoux lança L’Avant-garde, domiciliée chez lui au, 28, avenue du 4-Septembre prolongée, à Lens. Il était à ce moment-là le secrétaire du groupe FCAR de Lens, dont le siège était également à son domicile.

Minoritaire de la CGT puis de la CGTU

À la déclaration de guerre, L’Avant-garde du 2 août 1914 titra « Contre la guerre ». Le préfet du Nord ordonna l’arrestation des 41 militants figurant au Carnet B de son département, dont Broutchoux. Puis on décida de les libérer tous afin de les mobiliser. Mais l’officier chargé de les relâcher apposa par inadvertance sa signature au bas d’une page, après le quarantième nom. Le 41e, au verso, était Broutchoux, ce qui lui valut de rester en prison jusqu’en septembre. Le 8 novembre 1914, il épousa Fernande Richir à Montcenis (Saône-et-Loire), se déclarant « journaliste ».

Le 21 novembre 1914, il fut incorporé au 59e régiment territorial et se retrouva dans les tranchées sur les hauteurs des Vosges. Il semble s’être, à l’époque, quelque peu réconcilié avec Dumoulin, et ils échangèrent des lettres. Broutchoux passa ensuite par le 8e régiment du train, le 23e d’infanterie coloniale, le 56e RI, puis le 29e RI. Dans la première quinzaine de janvier 1916, il fut gazé. Hospitalisé pour des lésions pulmonaires, il fut transféré à l’arrière le 13 janvier, sans être démobilisé. C’est à cette époque qu’il rejoignit la minorité pacifiste du syndicalisme. À l’automne 1916, on trouvait sa signature, en tant que secrétaire de l’UD du Pas-de-Calais, dans un manifeste du Comité de défense syndicaliste (CDS, voir Paul Véber).

Le 5 février 1917, il s’installa avec Fernande au 198, rue de Noisy-le-Sec, à Bagnolet. En convalescence pour un mois, du 17 novembre au 16 décembre 1917, Broutchoux prolongea semble-t-il sa permission car, du 23 au 25 décembre, avec notamment Boudoux et Péricat, il fut le porte-parole de la minorité syndicaliste pacifiste à la conférence de la CGT à Clermont-Ferrand.

Le 19 février 1918, il fut détaché par l’armée comme tourneur à l’usine d’automobiles Alda, à Courbevoie. Installé rue Damrémont à Paris 18e, avec Fernande Richir, il était alors un des animateurs de la minorité syndicaliste opposée à la guerre, participant au CDS, à CQFD de Sébastien Faure et à La Plèbe de Fernand Desprès.

Le 6 avril, il fut arrêté pour « propos alarmistes » dans un tramway, pour être intervenu dans une algarade entre voyageurs au sujet de la guerre avec, semble-t-il Marius Blanchard. Il fut laissé en liberté.

Le 15 mai 1918, en pleine grève des métallurgistes parisiens, il abandonna son travail à Courbevoie et partit pour la province, pour tenter de faire le lien entre le mouvement de grève parisien et les événements de province. Il s’agissait de mettre en œuvre le « plan » du CDS : aboutir à une grève générale pour la paix. Il aurait alors voyagé dans le Midi. Il assista probablement au congrès des syndicats minoritaires à Saint-Étienne, les 18 et 19 mai 1918, et prit part aux grèves stéphanoises. Il fut en effet ciblé par un mandat d’amener le 29 mai 1918, en même temps que les syndicalistes des métaux Flageollet, Bidault et Andrieux.

Le 15 juillet 1918, en son absence, le 1er conseil de guerre de Paris lui accorda un non-lieu pour ses propos défaitistes du 6 avril.

Son absence prolongée de l’usine Alda fut enregistrée par l’armée en septembre 1918, et il fut noté comme déserteur. Broutchoux vécut alors à Paris sous le nom de Fernand Pesch, et travailla comme chauffeur d’automobile. Il habita avec Fernande Richir au 10, bd Pasteur, à Paris 15e.

Le 3 février 1920, il fut arrêté par la police comme complice dans une affaire de vol. Il avait, à plusieurs reprises, convoyé du chocolat dérobé dans des wagons plombés à la gare d’Émerainville-Pontault (Seine-et-Marne). Le 27 mars il fut condamné à treize mois de prison ; le 19 juin, en appel, sa peine fut ramenée à huit mois de prison et à cinq ans d’interdiction de séjour dans près d’une trentaine de départements, dont la Seine et le Nord.

Sorti de prison, Broutchoux retourna néanmoins dans le Nord, et vécut sous le nom de Jules Saunier. Le 8 octobre 1920, le 2e conseil de guerre de Paris jugea son abandon de poste à l’usine Alda et le condamna à un an de prison pou désertion avec les circonstances atténuantes, et son pourvoi fut rejeté le 18 novembre. Il ne semble pas avoir effectué cette peine et, le 10 février 1921, fut enfin démobilisé officiellement. Le 14 avril 1921, la commission de réforme de la Seine le reconnut invalide à 15 % pour ses lésions pulmonaires.

Dans le Nord, Broutchoux fut recruté comme cimentier par le militant ouvrier Francis Goulon et, avec 37 autres cimentiers de son chantier, tous « d’opinions communistes ou anarchistes », ils formèrent une association, L’Hirondelle, qui se réunissait tous les samedis. Reconnu lors de la manifestation du 1er mai 1921 à Valenciennes, il fut surveillé de près par la police. Le 18 mai, il fut arrêté par la police en gare de Valenciennes, après une altercation avec des contrôleurs. Une semaine plus tard, il était condamné à 8 jours de prison pour violence sur agent. Il ne fut cependant pas inculpé, à ce moment-là, pour l’infraction à l’interdiction de séjour.

En juillet 1921, Benoît Broutchoux participa au congrès CGT de Lille comme délégué des peintres en bâtiment de Nice. Durant une échauffourée en plein congrès, il fut blessé d’un coup de nerf-de-bœuf et, à la sortie, la police l’arrêta pour infraction à l’interdiction de séjour. En août, les poursuites sur ce point furent abandonnées, les interdictions de séjour ayant été amnistiées en 1914.

Broutchoux revint alors s’installer avec Fernande à Paris 5e, au 7, rue Berthollet. Il semble qu’il ait, à l’époque, occupé des fonctions à la Fédération ouvrière et paysanne des anciens combattants (FOP, voir Arthur Marchand dans le Maitron).

Devenu militant de la CGTU, Broutchoux n’assista pas au congrès confédéral de Saint-Étienne mais, soutien de la motion Monmousseau, il fut élu à la commission exécutive de la CGTU. Il semble qu’à l’époque, il se soit rallié à l’idée d’une nécessaire dictature révolutionnaire, sur le modèle russe. Ainsi, le 28 janvier 1923, il intervint dans une réunion publique du PCF où il déclara : “libertaires et communistes sont cousins ; il est plus que temps que les prolétaires ne fassent qu’un seul bloc”. Il affirma également : “la CGTU désire l’union syndicale de tous les travailleurs de n’importe quelle tendance et lorsque ce sentiment d’unité sera réalisé, lendemain de ce beau jour sera un lever de soleil communiste, libertaire et syndicaliste”. Sans doute est-ce que Pierre Le Meillour voulait dire quand il évoqua l’« erreur bolchevisante d’un jour » de Broutchoux dans Le Libertaire du 21 février 1931.

Fidèle à la ligne majoritaire de la CGTU, Benoît Broutchoux, syndiqué aux métaux, participa à faire chuter le bureau fédéral « anarcho-syndicaliste » (voir Célestin Ferré) de la Fédération unitaire des métaux et, le 21 mars, fut élu à la nouvelle commission exécutive fédérale.

Broutchoux n’en restait pas moins fidèles aux conceptions fondamentales du syndicalisme révolutionnaire et il estima bientôt que Monmousseau et la majorité confédérale trahissaient les décisions de Saint-Étienne en se mettant sous la coupe de Moscou. Il se dissocia alors de la majorité de la CGTU et, en juin 1923, fit partie, avec Marie Guillot et Joseph Lartigue, des fondateurs des Groupes syndicalistes révolutionnaires (GSR), qui furent, avec le Comité de défense syndicale (CDS, anarcho-syndicaliste), le 2e groupe minoritaire de la CGTU.

À l’occasion du comité confédéral national des 22 et 23 juillet 1923, devant l’accumulation de violations de l’indépendance syndicale par les communistes, la minorité demanda la convocation d’un congrès extraordinaire de la CGTU. Cette demande fut repoussée par 58 mandats contre 38. Suite à cela, Benoît Broutchoux démissionna de la CE confédérale avec 11 autres minoritaires, et 2 minoritaires (Marie Guillot et Cazals) démissionnèrent du bureau confédéral.

Du 29 au 31 juillet, Broutchoux fut délégué au IIe congrès de la Fédération unitaire des métaux, où il apparut comme un des principaux représentants de la minorité, avec Célestin Ferré, Henri Bott, Lucien Chevalier, Jules Massot et Théo Argence.

Le 5 août 1923, il représenta les GSR au congrès de l’union départementale CGTU du Rhône, où le CDS était majoritaire.

Au congrès CGTU de Bourges, du 12 au 17 novembre 1923, il attaqua la direction confédérale dans un discours sans concession et plein de verve : “Nous allons avoir une nouvelle dynastie de fonctionnaires à la CGTU, qui sera encore plus regrettable que celle de la vieille CGT. Je vais vous dire pourquoi : la nôtre sera surtout composée de jeunes, et ceux-là vivront plus longtemps que ceux de la rue Lafayette.  » Témoignant soixante ans plus tard auprès de Phil Casoar et de Stéphane Callens, Louis Anderson rapporta de Broutchoux qu’«  il n’avait qu’à paraître à la tribune, toute la salle s’esclaffait. Il avait de l’humour, il était délicieux. C’était le syndicaliste dans toute sa pureté”. Broutchoux se déclara pour une vaste réconciliation englobant toutes les fractions du syndicalisme, mais se déclara, pour sa part, toujours « partisan » de la dictature (compte-rendu, p. 43).

Après le congrès de Bourges, les GSR et le CDS fusionnèrent, pour donner naissance en novembre 1923 à la Minorité syndicaliste révolutionnaire (MSR) de la CGTU. Broutchoux fit partie du comité de rédaction du journal de la MSR, La Bataille syndicaliste, précédemment journal du CDS.

Le conflit des tendances s’exacerba à la CGTU après l’assassinat de Clos et Poncet par le service d’ordre du PCF à la Grange-aux-Belles, le 11 janvier 1924. Les 1er et 2 novembre 1924, la majorité de la MSR, décida de quitter la CGTU pour créer l’Union fédérative des syndicats autonomes (UFSA), avec toujours La Bataille syndicaliste comme journal.

Broutchoux, pour sa part, resta à la CGTU et continua à y militer quelques mois. Il fut encore délégué au congrès des usines métallurgiques du 30 mars 1924.
En avril, avec d’autres minoritaires — Verdier, Pothion, Labonne — il tenta en vain de renverser le conseil d’administration de la coopérative La Famille nouvelle, également passé sous le contrôle du PCF. Le conflit fut ensuite porté devant la justice par les communistes.

En mai 1924, il appartint au Groupement de défense des révolutionnaires emprisonnés en Russie (voir Jacques Reclus). Il collaborait à cette époque à la série quotidienne du Libertaire et lors des élections législatives du 11 mai 1924, il fut avec Laporte l’un des candidats abstentionnistes de l’Union anarchiste dans le 19e arrondissement de Paris.

En juin 1924, la direction de la CGTU se plaignait que Broutchoux l’attaque dans Le Libertaire sous le pseudonyme de Saint-Dicat, Pépin le Bref et L’Arquebuse. En septembre suivant il démissionna de la rédaction du Libertaire quotidien.

Le 1er novembre 1924 il avait participé à la conférence de la minorité syndicaliste révolutionnaire qui, à la Maison des syndicats de l’Avenue Mathurin Moreau, avait réuni une centaine de délégués CGT, CGTU et autonomes et dont il fit le compte rendu dans Le Libertaire (2 novembre 1924).

Le 5 juillet 1925, il prit part au congrès des syndicats CGTU de la région parisienne, non en tant que syndiqué, mais en tant que représentant de la Fédération ouvrière et paysanne des anciens combattants. Il fit une déclaration en faveur de l’unité syndicale.

À l’époque il travailla brièvement comme correcteur à l’imprimerie du Croissant, puis reprit un travail de chauffeur de taxi.

Une gloire d’antan

Atteint de la syphilis, Benoît Broutchoux se retira ensuite du militantisme actif. Toujours chauffeur de taxi, l’État lui accorda une pension d’invalidité de 720 francs le 12 mai 1927. Il habitait alors au 114, bd de la Villette, un immeuble appartenant à l’union des syndicats de la Seine et où logeait de nombreux militants syndicaux, dont May Picqueray.

Progressivement, il fut atteint par des troubles du comportement tels que, le 21 juillet 1930, atteint de paralysie générale, Fernande demanda son internement à l’hôpital Sainte-Anne. Le médecin qui l’examina nota sur le bulletin d’admission : “affaiblissement des facultés intellectuelles, dysmnésie, perte de l’autocritique, expansivité, satisfaction, jovialité, incapacité professionnelle, irritabilité, impulsivité, bris de carreaux, malpropreté, vols démentiels à l’étalage, pupilles irrégulières, Argyll, dysarthrie, tremblement”. Le 19 septembre 1930, il fut reconnu invalide à 30 %. Son état s’étant amélioré, il sortit de Sainte-Anne le 6 novembre 1930.

Le 12 février 1931, son fils Germinal fut tué par un gendarme à Bobigny suite à un vol de voiture. Benoît Broutchoux fut alors attaqué par L’Humanité qui écrivit : “La victime, Germinal Broutchoux, était le fils du fameux Broutchoux, diviseur et traître à la classe ouvrière.” Le Libertaire le défendit, notamment Le Meillour, dans un article intitulé « Fermez vos gueules ! » La mort de son fils fut un choc pour Broutchoux qui, fou de chagrin, jeta par la fenêtre de son logis tout ce qui lui passait sous la main, jusqu’à ce que la police intervienne.

Au début des années 1930 il était membre du Comité de défense sociale dont les responsables étaient Felix Beaulieu « Beylie » (secrétaire) et Gaston Rolland (trésorier) et qui se réunissait chaque semaine au restaurant coopératif La Solidarité, 15 rue de Meaux.

Dans les années 1930, il fut très ami avec le jeune Ringeas, le secrétaire de la Jeunesse anarchiste, qui rapporta de lui ce souvenir : “Broutchoux, il était venu au Libertaire ; un copain m’a dit : “c’est Broutchoux”. J’ai parlé avec lui, je ne l’ai plus quitté d’une semelle. On s’était pris d’amitié. J’étais très très jeune, lui n’était pas extrêmement vieux, mais il faisait vieux, il commençait à perdre les pédales. […] Il me parlait de ses luttes, mais il se mélangeait déjà les pinceaux. Ses luttes, je les connaissais avant de le connaître. Mais ce qu’il me racontait là, c’était le désintéressement, c’était l’homme qui avait lutté sans jamais savoir ce que ça pourrait lui rapporter d’autre que de la prison ou des coups dans la gueule. Il savait aussi que ça faisait partie du truc. Il ne s’est jamais dit “pourquoi moi et pas les autres ?”. Je pense qu’il devait connaître des moments de lassitude et d’amertume très grands. »

En juin 1934, une dernière fois, il revint dans le Pas-de-Calais. Un journaliste le croisa par hasard et l’interviewa brièvement. Le lendemain, Le Grand Écho du Nord consacra sa Une à cette « ancienne vedette du monde ouvrier ».

En décembre 1938, la Revue anarchiste Plus loin de Marc Pierrot et la revue cégétiste anticommuniste Syndicats ouvrirent une souscription pour venir en aide à Benoît et Fernande Broutchoux, qui vivaient dans la misère. Parmi les donateurs, on relevait les noms de Lecoin, Dumoulin et Dehay, ancien trésorier du jeune syndicat.

En juin 1940, le couple déménagea à Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne). Broutchoux y mourut le 2 juin 1944, “après dix années de maladie et rongé par un mal qui avait fait de lui un petit enfant capricieux dont le cerveau n’avait plus que des lueurs fugitives”, écrivit Georges Dumoulin dans la revue vichyste L’Atelier du 17 juin 1944. Il fut enterré à l’église “où ce qui restait de lui n’avait pas sa place”.


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