Dictionnaire international des militants anarchistes
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TORTELIER, Joseph, Jean-Marie
Né à Bain-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine) le 26 décembre 1854 - mort le 1er décembre 1925 - Ouvrier menuisier - CGT - Paris
Article mis en ligne le 27 mars 2014
dernière modification le 7 mars 2024

par ps

Du compagnon Tortelier nous ne savons que peu de chose. Populaire orateur de réunions publiques, il n’a laissé aucun écrit, ni brochure, ni correspondance. Cet oublié est pourtant un militant de premier plan qui a sa place à côté des Pelloutier, Pouget, Delesalle, Monatte, venus de l’anarchisme et bâtisseurs de la CGT.

Le père de Joseph Tortelier, facteur, mourut jeune ; la mère demeura seule avec quatre enfants à élever. Joseph, à onze ans, débuta son apprentissage de menuisier, son instituteur l’aidant à compléter son instruction. À dix-huit ans, il fit venir sa mère et ses sœurs à Rennes puis se maria.

Ce n’est que dix ans plus tard, en 1882, qu’apparaît le militant Tortelier, un des signataires de la commission d’augmentation des salaires de la Chambre syndicale des ouvriers menuisiers. Il fut, cette année-là, délégué des ouvriers menuisiers en bâtiment de la Seine au congrès de Saint-Étienne et il se rangea parmi les « possibilistes ».

Nous retrouvons Tortelier l’année suivante au début de la crise économique qui sévit jusqu’en 1887 et entraîna un important chômage. C’est en effet le syndicat des menuisiers dont Tortelier était un des animateurs qui organisa la manifestation des sans-travail du 9 mars 1883 à l’Esplanade des Invalides. Dispersés, les manifestants se regroupèrent et dévalisèrent quelques boulangeries. Des arrestations suivirent et les organisateurs de la manifestation passèrent en correctionnelle. Tortelier fut condamné le 3 avril à trois mois de prison, peine confirmée en appel. Il déclara alors « qu’il ne démordrait pas de ses idées révolutionnaires. Quand on ne donne pas de moyens d’existence à l’ouvrier, ajouta-t-il, il a le droit de prendre où il trouve » (cf. Le Voltaire, 15 août 1883).

À cette époque, Tortelier ne se déclarait pas anarchiste, mais « socialiste révolutionnaire » ou encore « communiste ». Il participait à de nombreuses réunions et l’informateur de police qui assista à celle qui se tint à Saint-Germain-en-Laye le 5 août lui trouva « un timbre de voix agréable et un physique doux, ce qui paraît donner plus de saveur, auprès des vrais frères qui se trouvent à la réunion, à ses excitations à la révolte, au bouleversement et à la destruction, par tous les moyens possibles, de ce qui existe » (sic). Quant à Mermeix (op. cit.), il l’a vu ainsi vingt ans plus tard : “Homme de taille courte, d’encolure puissante, aux gestes brusques, à la voix rauque, toujours débraillé dans son costume. Peut-être pas méchant, il avait l’air rude et même un peu effrayant  », mais un informateur de la police estimait que « son genre familier, un peu trivial même, son air " copain " lui donnent accès dans tous les milieux ouvriers où il est généralement écouté ».

En août 1884, Tortelier, avec deux autres ouvriers menuisiers, fut membre de la délégation qui se rendit en Suède à l’Exposition internationale ; chacun d’eux avait reçu 1 000 f du conseil municipal pour frais de déplacement.

C’est au cours de cette même année 1884, que Tortelier devint anarchiste. Lors d’un meeting tenu à Paris le 14 octobre, il expliqua pourquoi : « C’est une question de milieu. Ceux qui parmi les révolutionnaires croient à l’efficacité de la panacée parlementaire sont dans l’erreur. » Plus tard, il raconta à Pierre Monatte « comment il avait été gagné aux idées anarchistes, un jour qu’il était allé faire, pour le parti allemaniste, une réunion aux ardoisiers de Trélazé. Les compagnons de ce vieux foyer révolutionnaire l’avaient entrepris toute une nuit et l’avaient conquis » (cf. La Révolution prolétarienne, février 1926).

A l’automne 1884 il avait participé à la fondation de l’organe anarchiste communiste Terre et Liberté d’Antoine Rieffel.

A l’été 1886 il avait donné une série de conférences dans le Gard, à Sommières avec Isidore Brunet et à Bessèges et Rochessadoule avec Paul Reclus (septembre 1886). Cette même année 1886 il était signalé dans les réunions de la Ligue des antipatriotes.

Selon un rapport sur « l’organisation des forces socialistes révolutionnaires à Paris » rédigé fin 1887, Tortelier fréquentait alors différents groupes anarchistes et notamment la Ligue des antipropriétaires spécialisée dans les déménagements "à la cloche de bois" et celui de La Panthère des Batignolles créé en octobre 1882, auquel appartint Clément Duval : ce dernier comparut devant les assises de la Seine le 11 janvier 1887 et fut condamné à la peine de mort, peine commuée en travaux forcés à perpétuité, pour avoir opéré « une reprise individuelle » dans un hôtel particulier, rue de Monceau. Tortelier se déclara l’ami de Duval et se plaignit qu’on l’ait empêché de témoigner en sa faveur. Il fut l’orateur de divers meetings tenus pour protester contre cette condamnation, notamment le 23 janvier à la salle de la Boule Noire où, devant environ 350 personnes, il avait adjuré le peuple, en cas d’exécution de Duval, “de se porter en foule à la place de la Roquette pour empêcher un assassinat”

A cette même époque il était régulièrement signalé dans les réunions du groupe La Sentinelle révolutionnaire du XVIIIe arrondissement et di groupe de la Goutte d’or dont il était souvent l’organisateur avec Gilles des réunions publiques.

Le 18 mai 1887, à la sortie d’une réunion publique organisée à Chatou par le groupe L’Avant Garde avec entre autres Louise Michel, Moucheraud, Niquet, Villaret et Bidault, il avait été légèrement blessé au front lorsque à 500 mètres de la gare de Rueil un groupe de réactionnaires leur avaient lancé des pierres et tiré une vingtaine de coups de révolvers. Le compagnon Moucheraud qui avait vu l’assaillant de Tortelier avait alors tiré cinq ou six coups de son arme en sa direction. Puis un autre groupe de réactionnaires, aux cris de “A bas les parisiens et Louise Michel !” les avaient attaqué, blessant grièvement à coups de couteaux trois compagnons.

Tortelier fut, avec Octave Jahn, F. Niquet et Émile Bidault, un des animateurs de la Ligue des Antipatriotes fondée en août-septembre 1886 et de la Ligue des Antipropriétaires. Mais c’est en tant que propagandiste de la grève générale qu’il joua un rôle de premier plan. Cette idée n’était pas inconnue et on la rencontre dès le XVIIIe siècle et la Révolution française. Avec les congrès de la Première Internationale, elle fut à l’honneur puis disparut en même temps que l’Internationale elle-même. C’est en 1886 qu’elle resurgit aux États-Unis au temps des luttes menées pour la journée de huit heures. Des États-Unis l’idée passa en France deux ans plus tard. Les rapports de police, attentivement étudiés, permettent de préciser le rôle joué dans cette renaissance par Tortelier qui s’est rendu aux États-Unis pour une série de conférence comme en atteste un compte-rendu très détaillé dans Le Réveil des mineurs publié en Pensylvannie

Le mot apparaît le 9 août 1888 au cours d’une réunion organisée par les groupes anarchistes du XXe, tenue salle du Commerce, 94, rue du Faubourg-du-Temple, en pleine grève des terrassiers et en faveur des victimes de la police lors des funérailles, la veille, d’Émile Eudes. Quatre cents auditeurs sont venus entendre les orateurs — Louise Michel, Malato, Tortelier, Espagnac, Gouzien… — développer en termes presque identiques la même idée, à savoir que seule la grève générale est capable de conduire à la Révolution sociale. Tortelier, qui en mars 1888 avait fondé la chambre syndicale anarchiste des ouvriers menuisiers, en particulier, affirma : « Ce n’est que par la grève universelle que l’ouvrier créera une société nouvelle, dans laquelle on ne trouvera plus de tyrans. » Et les meetings de succéder aux meetings. En novembre, Tortelier se rendit à Londres avec l’anarchiste Viard, délégué par la chambre syndicale des Hommes de peine, pour assister au congrès corporatif international et il y développa son point de vue sans réussir d’ailleurs à le faire adopter. Si donc Tortelier ne fut pas l’inventeur ou le réinventeur de la grève générale, du moins en fut-il l’apôtre le plus tenace en dépit d’oppositions résolues parmi les compagnons souvent réservés à cette époque sur l’entrée des anarchistes dans les groupements corporatifs. Mais Tortelier ne se décourageait pas et, deux ans durant, il revint sans cesse à sa « marotte de la grève générale », selon le mot de Jean, un informateur de police. S’est-il rendu aux USA vers 1890 pour une tournée de conférences ainsi qu’on l’a dit ou écrit parfois (cf. Plus Loin, 15 janvier 1926, par exemple) ? Rien n’est moins certain, bien qu’un indicateur ait rapporté que lors d’une réunion tenue le 3 mars 1891, rue Léon, Baudelot l’ait blâmé “d’être parti pour l’Amérique comme un simple commis voyageur en anarchie” tandis que le compagnon Brunet avait indiqué que Tortelier était malade et qu’il n’avait fait ce voyage que dans le seul but de rétablir sa santé (APpo BA 77). En tous cas, aux printemps 1890 et 1891 il semblait avoir fait une tournée de conférences dans la Loire (Saint-Étienne, Firminy, Chambon…) sur le thème de la grève générale, notamment à Saint-Étienne où le 1er mars 1891, il avait réuni 150 personnes selon la police.

Cependant, l’idée de grève générale était reprise par Pelloutier d’une part qui s’en fera le champion au congrès régional de l’Ouest en septembre 1892, tandis qu’à la même date, à Marseille, au 5e congrès de la Fédération nationale des syndicats, Aristide Briand en sera l’éloquent défenseur. La question était désormais posée. En juillet 1893, au congrès national des Chambres syndicales et groupes corporatifs ouvriers, Tortelier intervint une fois encore en faveur de la grève générale « immédiate ». Tortelier ne fut plus délégué à aucun congrès national, après 1893. Comme beaucoup de pionniers, il fut à la tâche, mais non à l’honneur, et il ne lui aura pas été donné d’assister aux grands congrès qui jalonnèrent la montée des forces syndicales : Bourges (1904) et Amiens (1906).

Sa mère, décédée en mars 1887 à son domicile du 34 rue Myrrha, fut enterrée civilement en présence de plusieurs compagnons.

Au printemps 1888, il avait été l’auteur, selon la police, d’un manifeste contre le général Boulanger (voir portfolio). Il était à cette même époque l’un des animateurs du groupe Les Libertaires du XVIIIe (ou de Montmartre). Cette même année 1888 il participait aux réunions du Cercle anarchiste international de la salle Horel et avait été désigné comme délégué de la chambre syndicale des menuisiers au congrès ouvrier de Troyes (décembre 1888).

Début juillet 1889, après avoir été condamné à Troyes en avril à un mois de prison pour "outrages à agents" suite à des incidents lors de réunions du congrès ouvrier à Troyes le 31 décembre 1888, Tortelier avait été arrêté à Paris où il demeurait 24 rue Myrrha et avait été écroué à Sainte Pélagie. Il demeura ensuite, semble-t-il, rue Hermel-prolongée.

Le 27 octobre 1889, ce fut sur sa proposition que, lors d’une réunion du Cercle anarchiste international de la sale Horel, fut adoptée l’organisation de deux réunions publiques pour se procurer les fonds nécessaires à l’impression de la défense de V. Pini (voir ce nom). Le 11 septembre précédent, lors d’une réunion publique du groupe La Sentinelle de Montmartre, où il était l’un des orateurs avec Louise Michel et de Sébastien Faure, il avait fait l’apologie de Pini et et de Duval et avait “engagé les partisans de la propagande par le fait à agir comme eux”.

A la fin de l’été 1890, aux cotés de V. Bernhard, Cabot, Coudry, Courtois, Dufour, Millet, Paul Reclus et Siguret, il avait été le cosignataire d’un appel à la fondation d’un quotidien anarchiste (cf. La Révolte, 31 août 1890). A cette même époque il avait émis l’intention d’être candidat abstentionniste dans le quartier de Clignancourt.

Vers le début juin 1891, il aurait été arrêté à son retour d’un voyage en Amérique pour purger une peine de 2 mois de prison à laquelle il avait été condamné l’année précédente.

Le 13 février 1892, aux cotés notamment de Leboucher, Martinet, Tresse et Brunet, il fut l’un des orateurs au meeting tenu salle du Commerce devant 1200 socialistes révolutionnaires et anarchistes pour protester contre l’exécution de 4 compagnons espagnols à Xeres (voir Portfolio).

Lors de la grande rafle anti anarchiste du 19 février 1894, son domicile, 1 rue de la Fontaine du But, avait été l’objet d’une perquisition où la police avait saisi divers papiers et journaux anarchistes.

Après 1893, les principales étapes de la vie militante de Tortelier furent les suivantes :

En 1895, il appuya la campagne de Victor Barrucand pour le pain gratuit, considérant qu’avec le logement et le vêtement gratuits on s’acheminera vers une consommation selon les besoins et une société libertaire.

En juillet 1896, Tortelier assista, à Londres, au congrès international socialiste des travailleurs et chambres syndicales ouvrières qui, sur le plan international, fut celui de la rupture définitive entre anarchistes et socialistes. Il y était, avec Broca, le délégué d’un groupe d’ouvriers menuisiers.

Début décembre 1896, il était allé avec Pouget animer une réunion à Ivors (Aisne) dans la forêt de Villers-Cotteret à l’issue de laquelle fut formé un syndicat des bûcherons dont l’un des animateurs était Lefèvre.

Le 8 janvier 1898, Le Libertaire, dont il était membre de la rédaction, annonçait pour le 15 janvier une grande réunion avec la participation des orateurs : Sébastien Faure, Henri Dhorr, Broussouloux, Tortelier et Louise Michel, et l’ordre du jour suivant : le huis-clos de l’Affaire Dreyfus. Jusque-là les anarchistes étaient demeurés indifférents devant le drame qui divisait la France. Le premier, Sébastien Faure, chercha à voir clair dans l’Affaire et cette réunion avait pour but de protester contre le huis-clos. Les autres journaux anarchistes jugèrent sa démarche sans ménagements, et Jean Grave, rendant compte de la réunion, écrivait :« Relevons seulement les paroles du compagnon Tortelier, qui, seul, selon nous, est resté dans la logique anarchiste : Je viens à la réunion, puisqu’on a mis mon nom sur les affiches sans me consulter, et que je ne veux pas laisser passer cela sans déclarer que les anarchistes n’ont qu’à se réjouir de ce que les dirigeants et les galonnés se mangent le nez. Tant mieux ! Tant mieux ! Pour ce qui est de Dreyfus et d’Esterhazy, je m’en fous ! » (cf. Les Temps nouveaux, 22-28 janvier 1898). Il se peut d’ailleurs que Tortelier ait participé par la suite à la défense de Dreyfus comme le firent de nombreux anarchistes dont Jean Grave lui-même.

Le 9 septembre 1899, lors d’une réunion publique des anarchistes révolutionnaires à la Maison du peuple de Saint-Ouen et dont il était le président, il appela les femmes présentes “à ne pas élever leurs enfants dans l’amour de l’armée” mais au contraire de leu inculquer les principes antimilitaristes.

Puis Tortelier rentra dans l’ombre. On l’oublia. En 1901, il figurait sur une liste de "disparus-recherchés pour être mis sous surveillance spéciale » le décrivant : « 1m66, cheveux et sourcils chatains foncés, moustache assez forte, teint brun, maigre… souvent coiffé d’un béret bleu ou d’un chapeau de paille ».
A l’été 1903 la police signalait à nouveau sa présence dans des réunions, notamment celles du groupe Les Iconoclastes du XVIIIe arrondissement qui était alors animé notamment par Libertad et G. Renard.

Le Libertaire du 11 décembre 1925 annonçait sa mort ; il fut enterré le 4 décembre à Eaubonne en Seine-et-Oise où il s’était retiré ; au nom des vieux militants, L. Guérineau prononça quelques mots d’adieu.


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